Le devoir de diligence du médecin
ATF 141 III 363 | TF, 19.08.2015, 4A_137/2015
Faits
Durant sa grossesse, une patiente est prise en charge par un gynécologue. Lors de l’accouchement, le gynécologue procède à une épisiotomie médiane et termine l’opération avec une ventouse obstétricale. Il s’avère que la patiente a été victime d’une déchirure périnéale qui lui a entraîné une incontinence fécale permanente.
La patiente reproche au gynécologue d’avoir manqué de diligence lors de l’intervention et lui réclame de ce fait des dommages-intérêts. Le Bezirksgericht de Zurich condamne le gynécologue au versement d’une indemnité de 60’000 francs à titre de tort moral. L’Obergericht de Zurich confirme ce jugement en retenant que le gynécologue aurait dû effectuer un examen rectal après l’accouchement. Du fait qu’un tel examen n’a pas donné lieu à un procès verbal, l’Obergericht en déduit que le gynécologue n’a pas examiné la patiente et qu’ainsi, il n’a pu détecter la déchirure périnéale, de sorte qu’il a violé son obligation de diligence.
Le gynécologue forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral.
Dans un premier temps, le Tribunal fédéral est amené à se prononcer sur la question de savoir si le gynécologue a manqué à sa diligence du seul fait qu’il a omis de rédiger un procès-verbal sur un contrôle rectal. Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral se penche sur la question de savoir si on peut reprocher au médecin d’avoir manqué de diligence en ne procédant pas à un contrôle rectal. Enfin, dans un troisième temps, il est question du devoir d’information du médecin et du consentement hypothétique du patient.
Droit
Le Tribunal fédéral rappelle que le contrat qui lie un patient à son médecin est soumis aux règles du mandat. Selon l’art. 398 al. 2 CO, le médecin doit observer la diligence que les circonstances requièrent pour protéger la vie et la santé de son patient. Un traitement qui n’est pas conforme aux règles de l’art engage la responsabilité du médecin.
Le Tribunal fédéral se penche premièrement sur l’absence d’un procès-verbal portant sur l’intervention du contrôle rectal. L’étendue du procès-verbal se détermine d’après son but. Selon le Tribunal fédéral, le procès-verbal a pour but principal d’assurer un traitement médical adéquat et non pas d’offrir au patient une preuve de l’intervention. Partant, l’enregistrement des données dans un procès-verbal doit porter sur ce qui est nécessaire et usuel du point de vue médical. On ne peut pas fonder sur le mandat du médecin un devoir de conserver les preuves qui irait au-delà de l’enregistrement des données nécessaires au traitement.
En l’espèce, le Tribunal fédéral retient en se fondant sur des expertises que le contrôle rectal est un examen standard, dont il n’est absolument pas usuel ni requis de consigner dans un document. Par conséquent, le médecin n’a pas manqué à la diligence en omettant de tenir un procès-verbal de l’intervention.
Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral se penche sur la question de savoir si le gynécologue a manqué à la diligence en ne diagnostiquant pas la déchirure périnéale. Selon le Tribunal fédéral, deux raisons peuvent expliquer le non-diagnostic de la déchirure périnéale : soit le gynécologue n’a pas fait de contrôle rectal, soit on est en présence d’une déchirure périnéale occulte, de sorte qu’elle ne pouvait être diagnostiquée, même en procédant à un contrôle rectal. Ainsi, le gynécologue viole son devoir de diligence s’il omet de procéder à un contrôle rectal, alors que celui-ci aurait permis de déceler la déchirure périnéale et prendre les mesures de soin nécessaires. À l’inverse, il ne viole pas sa diligence, si la déchirure périnéale était occulte.
Le Tribunal fédéral rappelle qu’il revient au patient d’apporter la preuve du manque de diligence du médecin. En l’espèce, il s’agit pour la patiente de prouver que le gynécologue n’a pas ou mal effectué un contrôle rectal et que la déchirure périnéale était apparente. On ne saurait présumer que le gynécologue n’a pas entrepris le contrôle rectal du seul fait que la déchirure périnéale n’a pas été constatée. En l’espèce, la patiente n’a pas apporté la preuve que le gynécologue a omis de procéder à un contrôle rectal. Elle n’a non plus pas prouvé que la déchirure périnéale était apparente. Partant, le médecin n’a pas manqué de diligence sur ce point.
Enfin, dans un troisième temps, le Tribunal fédéral analyse la question du consentement hypothétique du patient et du devoir d’information du médecin. La violation du devoir d’information constitue un manque de diligence. Il incombe au médecin de prouver que le patient a suffisamment été informé et qu’il a consenti dans l’intervention. Lorsque le médecin n’a pas informé le patient, il peut se libérer de sa responsabilité en soulevant le moyen du consentement hypothétique. Celui-ci vise à démontrer que dans l’hypothèse où le patient avait été correctement informé, il aurait accepté l’intervention. Le fardeau de la preuve du consentement hypothétique incombe au médecin. Le patient doit toutefois collaborer en rendant vraisemblables les motifs personnels qui l’auraient incité à refuser l’intervention s’il avait été correctement informé. Selon la jurisprudence, l’appréciation de ces motifs ne doit pas être faite selon un modèle abstrait, mais en fonction de la situation personnelle et concrète du patient. Si le patient n’a pas de motifs personnels à faire valoir, on procède à une analyse objective et concrète en se demandant comment aurait réagi un patient raisonnable dans la même situation.
Il ressort des faits que le gynécologue a lui-même choisi de procéder à un type d’intervention (épisiotomie médiane) sans informer la patiente qu’un autre type d’intervention était possible (épisiotomie médio-latérale). Sur le consentement hypothétique, la patiente n’a pas fait état des motifs personnels qui l’auraient conduit à refuser l’intervention choisie par le médecin. Partant, c’est selon des critères objectifs qu’il convient d’apprécier le consentement hypothétique. Le Tribunal fédéral rappelle qu’en principe, le consentement hypothétique ne doit pas être admis lorsque l’intervention présente un risque accru. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Aussi, la question n’est pas celle de savoir si le gynécologue a choisi la méthode adéquate, mais bien si la patiente aurait consenti au type d’intervention choisi si le médecin l’avait correctement informée. Le Tribunal fédéral retient que, du fait que la grossesse s’est déroulée sans complications et que le rapport de confiance était présent entre les parties, la patiente aurait consenti à l’intervention choisie par le médecin si elle avait été informée des deux possibilités. Le Tribunal fédéral retient ainsi le consentement hypothétique de la patiente à l’intervention. Partant, le médecin n’a pas manqué à la diligence sur ce dernier point.
Le recours est admis et la responsabilité du médecin est rejetée.
Proposition de citation : Tobias Sievert, Le devoir de diligence du médecin, in: https://lawinside.ch/78/