La demande reconventionnelle devant le Tribunal de commerce, le dol et le délai convenable dans la demeure (2/2)
ATF 143 III 495 | TF, 04.09.2017, 4A_141/2017*
Dans l’analyse d’un dol (art. 28 CO), il n’y a pas lieu de prendre en compte l’éventuelle légèreté de la dupe; seul est pertinent le comportement du cocontractant. Cela étant, lorsqu’une partie se fait conseiller par un expert, le cocontractant est en droit de partir du principe que celle-ci dispose des connaissances nécessaires et ne nécessite donc pas d’information supplémentaire. Pour le surplus, savoir ce que signifie une déclaration « immédiate » selon l’art. 107 al. 2 CO dépend de la relation contractuelle du cas d’espèce et des intérêts des parties. En principe, une telle déclaration est également nécessaire en application de l’art. 108 CO.
La première partie de cet arrêt traite de recevabilité de la demande reconventionnelle devant le Tribunal de commerce. Vu son importance, elle a fait l’objet d’un résumé à part (LawInside.ch/506).
Faits
Dans le cadre d’une mise à l’enquête publique pour la refonte de son site internet, une commune retient l’offre d’une entreprise. Un expert externe conseil la commune dans ce choix. Suite à plusieurs divergences survenues entre les parties, la commune impartit à l’entreprise un ultime délai au 1er juillet pour s’exécuter. L’entreprise ne donne pas suite à ce délai et interpelle la commune environ un mois plus tard afin de savoir si elle doit réserver du personnel au service de celle-ci dans les mois à suivre. Fin septembre, la commune déclare se départir du contrat pour dol, retard dans l’exécution et dépassement des coûts.
Elle agit alors devant le Tribunal de commerce zurichois et réclame le remboursement des montants déjà payés ainsi que des dommages-intérêts. L’entreprise défenderesse forme une demande reconventionnelle en réclamant les montants restants dont le paiement était prévu contractuellement, ainsi que des dommages-intérêts. Elle obtient gain de cause s’agissant de la première de ces deux prétentions.
La commune agit devant le Tribunal fédéral qui doit trancher de (i) la recevabilité de la demande reconventionnelle devant le Tribunal de commerce, (ii) l’existence d’un dol de la part de l’entreprise et (iii) la possibilité pour la commune de se départir du contrat en vertu des règles sur la demeure.
Droit
La recevabilité de la demande reconventionnelle étant confirmée, le Tribunal fédéral passe à l’examen des deux autres aspects litigieux.
Le dol (art. 28 CO) peut prendre la forme d’un comportement actif (affirmations erronées) ou d’un silence du cocontractant en violation d’un devoir d’informer la dupe. La tromperie doit être intentionnelle, étant précisé que le dol éventuel suffit. De plus, l’erreur dans laquelle a été induite la dupe doit être causale à la conclusion du contrat.
Un devoir d’informer peut résulter de la loi, du contrat ou de la bonne foi. Cette dernière hypothèse se détermine d’après les circonstances du cas d’espèce. L’intention doit porter sur l’acte objet de la tromperie, l’erreur provoquée chez la dupe ainsi que l’influence sur la volonté de celle-ci.
Le fardeau de la preuve en ce qui concerne l’existence d’un dol est supporté par la dupe. Dès que l’objet du dol est prouvé, le lien de causalité avec la conclusion du contrat est présumé, mais le cocontractant peut apporter la preuve du contraire.
Le cocontractant ne peut pas en revanche se libérer en alléguant que la dupe aurait pu déceler l’erreur en faisant preuve de la diligence nécessaire. En effet, un éventuel comportement négligent de la dupe ne change rien au comportement qui fait l’objet de la tromperie ; seul est déterminant que celui-ci ait provoqué l’effet escompté.
En l’espèce, la cour cantonale a procédé à une pesée des intérêts entre l’intensité de la tromperie et la possibilité pour la dupe de se protéger. En application de l’art. 25 CO, elle est parvenue à la conclusion que la commune ne pouvait de bonne foi invoquer le dol en l’espèce.
En application de la jurisprudence citée plus haut, le Tribunal fédéral retient qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte, en droit civil, l’éventuelle légèreté de la dupe en lien avec le comportement dolosif du cocontractant. Ainsi, l’art. 25 CO ne trouve en principe pas application en cas de dol et de crainte fondée.
Dans le cas particulier, le litige porte sur la question de savoir quelle est l’étendue des obligations des parties ainsi que le prix convenu pour celles-ci. Après avoir examiné les arguments de fait de chacune des parties, le Tribunal fédéral retient que le différend porte en réalité sur l’interprétation du contrat, et qu’aucun dol de l’entreprise ne peut être retenu en l’espèce.
En effet, lorsqu’une partie se fait conseiller par un expert externe, le cocontractant est en droit de partir du principe que celle-ci dispose des connaissances nécessaires et par conséquent ne nécessite pas d’information supplémentaire. Cette considération exclut l’existence d’une violation du devoir d’information dans le cas particulier, de sorte que le dol doit être écarté. Ainsi, la commune ne pouvait pas se départir du contrat sur cette base.
La commune fonde également ses prétentions sur les règles de la demeure (art. 102 ss CO). Elle estime en effet avoir mis fin au contrat sur la base de l’art. 107 al. 2 CO.
L’application de cette disposition est subordonnée à la fixation par le créancier (ou par l’autorité) d’un délai convenable au débiteur pour s’exécuter (art. 107 al. 1 CO). Si à l’expiration de ce délai le créancier ne s’est pas exécuté, le créancier qui en fait la déclaration immédiate peut renoncer à ce droit et réclamer des dommages-intérêts pour cause d’inexécution ou se départir du contrat (art. 107 al. 2 CO).
Selon le Tribunal fédéral, savoir ce que signifie une déclaration « immédiate » dépend dans ce contexte de la relation contractuelle du cas d’espèce et des intérêts des parties. Le but de cette disposition est de protéger le débiteur en demeure contre d’éventuelles spéculations du créancier. En d’autres termes, le débiteur doit être informé sans délai des conséquences de son inexécution dans le délai de grâce. Il s’agit en outre de faire en sorte que la situation juridique et les relations en jeu soient claires.
En l’espèce, le délai convenable imparti à l’entreprise venait à échéance le 1er juillet 2017, et la commune a déclaré se départir du contrat plus de deux mois après. Ainsi, pendant cette période, l’entreprise a été laissée dans l’incertitude. C’est du reste ce qui l’a poussée à interpeller la commune en ce qui concerne le besoin de personnel pour les mois à suivre.
La déclaration de la commune intervenue à la fin du mois de septembre était par conséquent tardive, si bien qu’il n’a pas été mis fin au contrat sur la base de l’art. art. 107 al. 2 CO.
Finalement, le Tribunal fédéral doit se saisir de la question de savoir si une telle déclaration immédiate est nécessaire même dans les cas de l’art. 108 CO, soit lorsqu’ il peut être mis fin au contrat sans qu’un délai ne doive être fixé.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral retient qu’en principe une déclaration claire et immédiate est nécessaire même en application de l’art. 108 CO. Il convient toutefois de réserver le cas où le débiteur agit de façon contraire à la bonne foi en refusant l’exécution de façon claire, inconditionnelle et définitive, mais invoque par la suite l’absence de déclaration du créancier en ce qui concerne la renonciation à demander la prestation faisant l’objet du contrat.
Dans le cas particulier, l’entreprise n’avait pas refusé l’exécution de manière inconditionnelle et définitive. Dès lors, même à retenir l’une des hypothèses de l’art. 108 CO, la déclaration de la commune était indispensable, mais elle a été faite tardivement. Selon le Tribunal fédéral, elle aurait dû intervenir au plus tard lors de l’interpellation de l’entreprise intervenue à la fin du mois d’août, soit environ un mois et demi plus tard que l’expiration du délai de grâce.
Il s’ensuit que les règles sur la demeure ne permettaient pas non plus à la commune recourante de mettre fin au contrat.
Par conséquent, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Note
Il est intéressant de noter qu’en lien avec la question du dol l’instance cantonale avait procédé à l’analyse d’une part du comportement du cocontractant et d’autre part de la légèreté de la dupe. Cette manière de procéder a fait l’objet d’un arrêt récent du Tribunal fédéral rendu en matière d’escroquerie (TF, 19.07.2017, 6B_184/2017*, LawInside.ch/491). D’après l’arrêt résumé ici, cette jurisprudence n’est pas applicable en matière civile, vraisemblablement en raison de l’absence de la condition de l’astuce en lien avec l’art. 28 CO. Les conséquences pratiques d’une jurisprudence plus restrictive en matière pénale pour la dupe sont toutefois moindres étant donné que le dol est en principe un acte illicite qui autorise à réclamer le cas échéant des dommages-intérêts sur la base de l’art. 41 CO.
Proposition de citation : Simone Schürch, La demande reconventionnelle devant le Tribunal de commerce, le dol et le délai convenable dans la demeure (2/2), in: https://lawinside.ch/508/
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