Un message publicitaire UDC constitutif d’une discrimination raciale
ATF 143 IV 193 | TF, 13.04.2017, 6B_610/2016*
Faits
Dans le contexte de la campagne de l’UDC pour «stopper l’immigration de masse», le parti politique publie sur son site internet et dans certains journaux une annonce publicitaire intitulée « voici les conséquences d’une immigration de masse incontrôlée ». En dessous du titre, en grandes lettres blanches sur fond noir, le message principal indique que «des Kosovars poignardent un Suisse» et que « quiconque ne le souhaite pas signe l’initiative populaire contre l’immigration de masse ». L’affiche décrit en outre un incident saurvenu avec des Kosovars : « Deux compagnons de lutte suisse, Roland (38) et Kari (45), sont assis le lundi 15 août sur une terrasse à Interlaken. Soudain, un taxi s’arrête devant eux et deux Kosovars (33 et 31 ans) en sortent. « Suisses de merde ! Salauds » disent-ils. Kari, douze fois titré en lutte suisse, répond alors « à quoi cela mène-t-il ? ». Un des deux Kosovars sort un couteau et le plante dans la gorge de Kari ».
Le Tribunal régional de Berne-Mittelland a reconnu le secrétaire général de l’UDC au moment de la publication de l’annonce, ainsi que sa suppléante, coupables de discrimination raciale (art. 261bis CP). La Cour d’appel du canton de Berne a confirmé les verdicts de culpabilité.
Le secrétaire général de l’UDC et sa suppléante recourent au Tribunal fédéral, lequel est amené à déterminer si les éléments constitutifs de l’énoncé de fait légal de l’art. 261bis CP sont en l’espèce réunis.
Droit
Dans un premier temps, le Tribunal fédéral répond à la question de savoir si le terme « Kosovars » employé par l’UDC se réfère à une « ethnie » au sens de l’art. 261bis CP.
Sous l’intitulé marginal « discrimination raciale », cet article réprime le comportement de quiconque aura incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse.
Se référant à la doctrine, Le Tribunal fédéral définit l’ethnie au sens de l’art. 261bis CP comme une portion de la population qui se définit elle-même comme un groupe et qui est reconnu comme tel par le reste de la population. Cette portion de la population s’identifie par une histoire, des normes de comportement et un système de vie communs (traditions, coutumes, morale, langue, etc.). Le Tribunal fédéral précise que la nationalité en tant que statut juridique n’est pas protégée par l’art. 261bis CP. En revanche, la nationalité en tant que rattachement aux caractéristiques ethniques d’un Etat est protégée par cette disposition.
Le Tribunal fédéral explique ensuite que le terme «Kosovars» décrit les personnes venant du Kosovo. Or plusieurs groupes ethniques occupent le Kosovo : la communauté albanaise du Kosovo, les Serbes, les Bosniaques, les Croates ou encore les Roms. Au demeurant, il considère que la notion d’ethnie inclut également la situation où plusieurs ethnies se regroupent sous un même terme générique. Ainsi, l’expression «Kosovars» ne se réfère pas simplement à une nationalité mais est un terme sous lequel sont regroupées les différents groupes ethniques présents au Kosovo. C’est dans ce sens que ce terme sera compris d’un lecteur moyen non-averti. Partant, en utilisant le terme «Kosovars», le secrétaire général de l’UDC et sa suppléante ont visé une ethnie au sens de l’art. 261bis CP.
Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral se penche sur la question de savoir si la publicité de l’UDC est abaissante ou discriminante (art. 261bis al. 4 CP). Le Tribunal répond par l’affirmative à cette question. Sur le plan objectif, il considère en effet que l’affiche de l’UDC laisse accroire que les Kosovars sont plus violents et criminels que la moyenne. Le fait que l’information principalement véhiculée soit basée sur un incident réel n’y change rien. En effet, bien que le Tribunal fédéral rappelle qu’une information vraie devrait toujours être autorisée quand bien même elle est prompte à alimenter un climat d’animosité, il considère en l’espèce que le but visé par l’affiche n’était pas d’informer le public de l’incident survenu à Interlaken mais de dénigrer les Kosovars. Au demeurant, le Tribunal fédéral considère que l’auteur d’un dénigrement collectif ne saurait justifier son acte par le fait que ce dernier reposerait sur un fait réel. A l’appui de cette position, il cite l’art. 173 ch. 3 CP aux termes duquel l’auteur d’une diffamation n’est pas admis à apporter la preuve libératoire de la véracité de ses affirmations s’il les a faites principalement dans le dessein de dire du mal d’autrui. Sur le plan subjectif, il considère que le secrétaire général de l’UDC et sa suppléante, en tant que professionnels dans le domaine de la communication, étaient conscients des effets que pouvait provoquer l’annonce, ou à tout le moins s’en sont accommodés.
Dans un troisième et dernier temps, le Tribunal fédéral examine si l’affiche de l’UDC incite à la haine ou à la discrimination (art. 261bis al. 1 CP). Une fois encore, il répond par l’affirmative considérant que cette disposition ne requiert pas que l’auteur ait explicitement incité à la haine ou à la discrimination. Pour que l’élément objectif de l’art. 261bis al. 1 CP soit rempli, il suffit que l’auteur contribue à créer un climat où la haine ou la discrimination puissent prospérer.
Le Tribunal fédéral confirme donc la condamnation et rejette le recours du secrétaire général de l’UDC et de sa suppléante.
Note
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours du secrétaire général de l’UDC et de sa suppléante à une majorité de trois voix contre deux.
Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, Un message publicitaire UDC constitutif d’une discrimination raciale, in: https://lawinside.ch/456/
Les commentaires sont désactivés.