Le conflit d’intérêts de l’avocat lorsque son associé est administrateur d’une société

TF, 11.07.2016, 2C_45/2016

Faits

Un avocat défend une partie plaignante dans une procédure pénale à l’encontre d’un prévenu. Le prévenu est apporteur d’affaires et actionnaire à 5% d’une société, dont le conseil d’administration est présidé par un avocat associé à l’avocat qui représente les intérêts de la partie plaignante.

Les avocats du prévenu ont dénoncé l’avocat de la partie plaignante à la Commission du barreau du canton de Genève pour conflit d’intérêts. Par décision, la Commission du barreau a enjoint l’avocat de cesser de représenter la partie plaignante, en estimant qu’il y avait un conflit d’intérêts. Sur recours de l’avocat, la Cour de justice du canton de Genève a confirmé la décision de la Commission du barreau dans son résultat. La Cour a estimé que le conflit d’intérêts résulte du fait que, en tant qu’actionnaire de la société, le prévenu participe à la nomination, à la révocation et à la décharge du conseil d’administration et que, dans une telle configuration, l’associé président du conseil d’administration pourrait avoir accès au dossier pénal.

L’avocat de la partie plaignante forme ainsi un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui doit se prononcer sur l’existence d’un conflit d’intérêts dans la situation en cause.

Droit

En vertu de l’art. 12 let. c LLCA, l’avocat doit éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. Le Tribunal fédéral rappelle que l’interdiction de plaider en cas de conflit d’intérêts constitue une règle cardinale de la profession d’avocat. Cette règle trouve son fondement dans le devoir général de diligence de l’avocat (art. 12 let. a LLCA) et dans son devoir d’indépendance (art. 12 let. b LLCA).

Selon le Tribunal fédéral, il y a notamment conflit d’intérêts dès que survient la possibilité d’utiliser dans un nouveau mandat les connaissances acquises antérieurement sous couvert du secret professionnel dans l’exercice d’un premier mandat. Seul le risque concret de conflit d’intérêts est prohibé. Un risque abstrait ou théorique ne suffit donc pas à retenir l’existence d’un conflit d’intérêts. Aussi, l’existence d’un conflit d’intérêts se répercute sur les associés de l’avocat concerné.

En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que la société n’est pas impliquée dans la procédure pénale à l’égard du prévenu et qu’aucun lien n’existe entre celle-ci et la partie plaignante, cliente de l’avocat. Il n’y a donc pas de risque concret de conflit d’intérêts sous cet angle. Dans le même sens, il n’existe aucun litige entre la société et le prévenu, de sorte qu’il n’y a non plus pas de risque concret de conflit d’intérêts sous cet angle.

Enfin, contrairement à la position de la Cour de justice, le Tribunal fédéral considère que le fait que le prévenu soit actionnaire de la société pour laquelle l’associé de l’avocat recourant est président du conseil d’administration ne constitue non plus pas un risque concret de conflit d’intérêts. En effet, s’il est vrai que le prévenu peut potentiellement avoir une influence sur la reconduction du mandat d’administrateur de l’associé de l’avocat recourant, la faiblesse de sa participation au capital (5%) ne permet pas d’établir l’existence d’un risque concret de pression, ce d’autant que la société n’est pas impliquée dans la procédure pénale. Enfin, le simple fait que l’associé administrateur pourrait avoir accès au dossier pénal ne crée pas une situation de conflit d’intérêts qui empêcherait l’avocat de la partie plaignante, tenue au secret professionnel, de défendre son client en toute indépendance.

Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours, annule l’arrêt de la Cour de justice du canton de Genève et retient que l’avocat recourant est en droit de représenter la partie plaignante dans la procédure pénale en cause.

Proposition de citation : Alborz Tolou, Le conflit d’intérêts de l’avocat lorsque son associé est administrateur d’une société, in: https://lawinside.ch/287/