Violation du devoir de récusation en procédure d’adjudication, quid iuris ?
Une décision d’adjudication rendue en violation du devoir de récusation doit en principe être annulée, sans que le recourant n’ait à démontrer que la décision aurait été différente en cas de respect de ce devoir. Exceptionnellement, l’autorité de recours peut renoncer à l’annulation si elle démontre que la violation n’est pas importante et qu’elle n’a en réalité nullement influé sur le choix de l’adjudicataire.
Faits
L’Aéroport de Genève lance un appel à candidatures suivi d’un mandat d’étude parallèle pour le projet « CAP 2030, plateforme multimodale et galerie commerciale CFF », estimé à 520 millions de francs.
Le groupe EGIS, mandaté comme expert externe pour évaluer certains aspects des offres, entretient des relations contractuelles avec Bouygues Bâtiment International, les deux groupes étant associés dans un projet de concession aéroportuaire à Paris.
L’Aéroport adjuge le marché au consortium formé par Losinger Marazzi et Bouygues Bâtiment International, noté 3.89. HRS Real Estate SA, classée deuxième avec une note de 3.49, recourt à la Cour de justice genevoise en invoquant une violation du devoir de récusation. Déboutée, elle dépose un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral.
Droit
Le Tribunal fédéral retient que la question des conséquences d’une violation du devoir de récusation lors de procédures d’adjudication soulève une question juridique de principe, rendant le recours en matière de droit public recevable (art. 83 let. f LTF).
Selon l’art. 29 al. 1 Cst., toute personne a droit à ce que sa cause soit traitée équitablement. Ce droit permet d’exiger la récusation des membres d’une autorité administrative dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur leur indépendance ou leur impartialité. Ces exigences s’appliquent également aux experts externes appelés à collaborer à l’évaluation des offres.
En l’espèce, les liens contractuels importants entre EGIS et Bouygues créent une apparence de prévention et font raisonnablement craindre un risque de traitement partial des offres.
En principe, toute décision prise en violation d’un devoir de récusation doit être annulée, sans que le recourant n’ait à démontrer qu’elle aurait été différente en cas de respect de ce devoir. Exceptionnellement, l’autorité de recours peut renoncer à l’annulation, lorsque la violation constatée n’est pas importante et que celle-ci n’a en réalité nullement influé sur le choix de l’adjudicataire. Un tel fait requiert un haut degré de preuve, dont la charge incombe à l’autorité adjudicatrice et/ou au soumissionnaire retenu.
En l’espèce, la violation n’apparaît pas particulièrement grave. Le groupe EGIS n’a eu qu’une influence indirecte et partagée en évaluant deux sous-critères d’adjudication sur neuf, sans les noter. Cependant, il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que cette violation n’a eu aucune influence sur le résultat final. Certes, la recourante reste seconde si les conclusions qu’elle formule en relation avec la notation de ces seuls et mêmes sous-critères sont admises. Toutefois, il est pratiquement impossible pour un soumissionnaire évincé d’apprécier l’influence réelle d’une violation du devoir de récusation. Ses moyens de recours se limitent souvent aux éléments d’appréciation manifestement erronés, car la contestation de l’évaluation des offres suppose un excès ou abus du pouvoir d’appréciation. Partant, les corrections demandées par la recourante ne permettent pas d’évaluer toutes les conséquences d’une violation du devoir de récusation.
Il n’existe aucune certitude que le jury aurait noté de la même manière les offres en l’absence de cette violation, d’autant que le consortium adjudicataire n’a pas obtenu une évaluation globale très supérieure et que le jury ne s’est pas distancié de l’expertise contestée. La Cour de justice a donc violé l’art. 29 al. 1 Cst. en confirmant la décision d’adjudication.
Le Tribunal fédéral admet le recours et ordonne à l’Aéroport de désigner un autre expert afin de procéder à une nouvelle évaluation des offres, sur la base de laquelle il devra rendre une nouvelle décision d’adjudication.
Proposition de citation : Timothée Pellouchoud, Violation du devoir de récusation en procédure d’adjudication, quid iuris ?, in: https://lawinside.ch/1644/





