Les motifs de révision d’une sentence sur compétence (art. 190a LDIP)
TF, 17.04.2025, 4A_46/2024* et TF, 26.06.2024, 4A_528/2024*
La révision d’une sentence au sens de l’art. 190a al. 1 let. a LDIP est exclue lorsqu’elle repose sur des moyens de preuve postérieurs à la sentence à réviser, même s’ils concernent des faits antérieurs à celle-ci.
La révision d’une sentence en raison de la commission d’une infraction, au sens de l’art. 190a al. 1 let. b LDIP, suppose que la partie qui s’en prévaut démontre l’existence d’un lien de causalité entre l’infraction et le dispositif de la sentence. L’infraction doit avoir exercé une influence effective, directe ou indirecte, sur la sentence à réviser.
Faits
Un investisseur britannique détient des participations dans une société qui dispose de droits d’utilisation du sol sur des terres situées dans la province de Shaanxi en Chine. Il engage une procédure arbitrale, à Genève, à l’encontre de la République populaire de Chine sur la base de l’Agreement concerning the Promotion and Reciprocal Protection of Investments de 1986 conclu entre la Chine et le Royaume-Uni (TBI). La Chine aurait porté atteinte à ses investissements en expropriant les droits d’utilisation du sol de la société sans compensation. Il conclut donc au paiement d’une indemnité.
La Chine conteste la compétence du tribunal arbitral. Par sentence intermédiaire du 30 décembre 2021, ce dernier rejette ces objections et se déclare compétent.
Le 23 janvier 2024, la Chine dépose une demande de révision de la sentence sur compétence auprès du Tribunal fédéral (procédure 4A_46/2024).
Le 4 octobre de la même année, elle dépose une nouvelle demande de révision de cette même sentence auprès du Tribunal fédéral (procédure 4A_528/2024).
Dans ses deux demandes, elle conclut à l’annulation de la sentence et au renvoi de l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue sur la compétence.
Par deux arrêts distincts, l’un du 17 avril, l’autre du 26 juin 2024, le Tribunal fédéral statue sur le bien-fondé des motifs de révision avancés par la Chine.
Droit
L’art. 190a LDIP permet à une partie de demander la révision d’une sentence. La révision est ouverte tant à l’égard de sentences finales (y compris partielles) que de sentences intermédiaires. Toutefois, la sentence doit lier le tribunal arbitral et, donc, revêtir la force de chose jugée. Les ordonnances de direction de la procédure ou les sentences relatives à des mesures provisionnelles ne peuvent pas faire l’objet d’une révision, étant entendu que le tribunal arbitral peut les modifier en cours de procédure.
Une partie peut demander la révision de la sentence lorsqu’elle découvre des faits ou des moyens de preuve qu’elle n’a pas pu invoquer dans la procédure précédente bien qu’elle ait fait preuve de la diligence requise ; les faits ou moyens de preuve postérieurs à la sentence sont exclus (art. 190a al. 1 let. a LDIP). La voie de la révision est aussi ouverte si une procédure pénale établit qu’un crime ou un délit a influencé la sentence au préjudice de la partie concernée (art. 190a al. 1 let. b LDIP). Le Tribunal fédéral interprète ces dispositions à la lumière de sa jurisprudence relative à l’art. 123 al. 2 LTF, dès lors que leur contenu est essentiellement similaire. Enfin, la révision doit être demandée dans un délai de 90 jours à compter de la découverte du motif de la révision (art. 190a al. 2, 1ère phr. LDIP).
1. La demande de révision de janvier 2024 (TF, 17.04.2025, 4A_46/2024*)
Dans sa première demande de révision, la Chine se fonde sur la découverte d’un courriel et d’un document intitulé « undertaking », tous deux datés de 2012. Elle prétend que ces titres démontreraient que l’investisseur a acquis la nationalité britannique dans le seul but de bénéficier de la protection du TBI. Ce faisant, il aurait commis un abus de droit qui tiendrait en échec la compétence du tribunal arbitral. Or, la Chine ne prouve pas avoir découvert ces deux documents dans les 90 jours précédant la demande de révision (art. 190a al. 2, 1ère phr. LDIP). Par conséquent, ces moyens sont irrecevables.
La Chine se prévaut également de la découverte d’aveux écrits qui démontreraient qu’un témoin a déposé un faux témoignage. Cette nouvelle preuve permettrait de démontrer que l’investisseur a acquis ses participations dans la société de manière illicite. Partant, la protection du TBI lui aurait été déniée et le tribunal arbitral se serait déclaré incompétent.
Ce moyen, daté du 9 octobre 2023, est postérieur à la sentence du 31 janvier 2021, bien qu’il se rapporte à des faits antérieurs à celle-ci. La question se pose alors de savoir si des moyens ultérieurs à la sentence qui visent à prouver des faits antérieurs à celle-ci sont recevables.
Bien que la question ait été controversée sous l’empire de l’ancien droit (cf. art. 137 let. b OJ), l’art. 123 al. 2 let. a LTF exclut expressément les « faits ou moyens de preuve postérieurs à l’arrêt ». Le Tribunal fédéral a considéré en lien avec cette disposition que seules les preuves postérieures à la décision sont recevables, quand bien même elles se rapportent à des faits préexistants. La même solution doit s’appliquer en lien avec l’art. 190a al. 1 let. a LDIP, étant donné que la disposition prévoit que « les faits ou moyens de preuve postérieurs à la sentence sont exclus ».
En l’espèce, le moyen de preuve amené par la Chine est postérieur à la sentence. Par conséquent, la demande de révision doit être rejetée dans la mesure où elle se fonde sur ce moyen.
Pour ces raisons, le Tribunal fédéral rejette la première demande de révision.
2. La demande de révision d’octobre 2024 (TF, 26.06.2024, 4A_528/2024*)
La Chine fonde sa seconde demande de révision sur la découverte d’un jugement pénal rendu par un tribunal chinois le 4 juin 2024. Conformément à ce que le Tribunal fédéral a jugé en lien avec la première demande de révision, ce nouveau moyen n’ouvre pas la voie à la révision selon l’art. 190a al. 1 let. a LDIP, étant donné qu’il est ultérieur à la sentence à réviser.
Conformément à l’art. 190a al. 1 let. b LDIP, la voie de la révision est ouverte lorsqu’une procédure pénale révèle qu’un crime ou un délit a influencé la sentence à la défaveur de la partie concernée. Il n’est pas nécessaire que la procédure pénale ait abouti à une condamnation. La procédure pénale peut s’être déroulée à l’étranger, pour autant que les garanties procédurales découlant de l’art. 6 § 2 et 3 CEDH et 14 al. 2 à 7 Pacte ONU II aient été respectées. De surcroît, l’infraction peut avoir été commise tant par une partie que par un tiers.
La question déterminante est celle de l’existence d’un lien de causalité entre l’infraction et le dispositif de la sentence : l’infraction doit avoir exercé une influence effective, directe ou indirecte, sur la sentence qui fait l’objet de la révision.
Selon la Chine, le jugement pénal serait pertinent quant à la question de la compétence du tribunal arbitral, en ce qu’il démontre que l’investisseur aurait acquis les actions de la société de manière illicite. Elle considère en outre que les droits d’utilisation du sol sont également illicites.
Dans sa sentence sur compétence, le tribunal arbitral a jugé qu’une personne qui a acquis des participations de manière illicite ne les détient pas réellement, de sorte qu’un investissement au sens de l’art. 1 par. 1 let. a ch. ii TBI devrait être nié. Le TBI ne s’appliquerait donc pas et le tribunal arbitral serait incompétent.
Or, l’investisseur a acquis ses participations par quatre opérations de transferts d’actions distinctes. Toutefois, le jugement pénal ne se rapporte qu’à l’un de ces quatre transferts, lequel porte sur 10 % des actions de la société.
Par conséquent, l’investisseur ne démontre pas que les infractions ont exercé une influence telle sur la sentence que cette dernière aurait abouti à un résultat différent. En effet, l’investisseur disposerait encore des actions acquises par les autres actes d’acquisition pour bénéficier de la protection du TBI.
Enfin, la question de la licéité des droits d’utilisation du sol peut demeurer ouverte, dès lors que le tribunal arbitral a fondé sa compétence uniquement sur les actions de la société. Il a considéré que ces droits n’étaient pas pertinents dans l’appréciation de sa compétence.
Partant, le Tribunal fédéral rejette également la seconde demande de révision.
Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, Les motifs de révision d’une sentence sur compétence (art. 190a LDIP), in: https://lawinside.ch/1630/