La constitutionnalité de la compétence d’approbation des décisions cantonales du SEM

TF, 19.03.2025, 2C_681/2023*

L’art. 99 al. 2 LEI accorde au SEM la compétence de refuser l’approbation des décisions des autorités cantonales, y compris des autorités judiciaires de recours. Dans cette dernière hypothèse, l’art. 99 al. 2 LEI viole le droit constitutionnel à la séparation des pouvoirs car il fait du SEM une quasi-autorité de surveillance des tribunaux cantonaux. Pour le surplus, l’art. 99 al. 2 LEI respecte la CEDH. Partant, l’art. 190 Cst. impose au Tribunal fédéral et aux autres autorités de l’appliquer malgré son inconstitutionnalité.

Faits

Un ressortissant irakien est au bénéfice d’une autorisation de séjour régulièrement renouvelée depuis 2002. En 2012, il se marie à une citoyenne suisse avec laquelle il a deux enfants. Entre 2007 et 2021, il fait l’objet de multiples condamnations pénales, notamment pour des infractions à la LCR, faux dans les titres, escroquerie, contrainte et pornographie. En 2009 et 2013, il reçoit des avertissements en matière de droit des étrangers. Il est également lourdement endetté.

En 2018, l’office cantonal zurichois de la migration refuse le prolongement de son autorisation de séjour. Le Tribunal administratif zurichois admet partiellement le recours formé contre cette décision et ordonne à l’office cantonal de prolonger l’autorisation de séjour. Dans ce cadre, l’office cantonal demande l’approbation du prolongement du titre de séjour au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) selon l’art. 99 LEI.

En avril 2021, le SEM refuse l’approbation de la prolongation du titre de séjour et ordonne le renvoi du ressortissant de la Suisse. Le recours formé par le ressortissant contre la décision du SEM est rejeté par le TAF. Il forme alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si la compétence d’approbation du SEM à l’égard des décisions judiciaires cantonales est conforme au droit conventionnel et constitutionnel.

Droit

L’art. 99 al. 2 LEI a été révisé afin de permettre au SEM de mener la procédure d’approbation des autorisations quand bien même une autorité judiciaire cantonale a statué sur la légalité du titre de séjour. Cette disposition a pour conséquence que (1) le justiciable doit entamer une seconde procédure judiciaire, devant les juridictions fédérales, lorsque la décision refusant l’approbation intervient après une décision judiciaire cantonale et que (2) le SEM peut interdire la mise en œuvre d’une décision judiciaire octroyant un titre de séjour en refusant son approbation. A ce titre, l’art. 99 al. 2 est susceptible de violer (1) le droit conventionnel à un recours effectif (art. 13 CEDH) et (2) le droit constitutionnel à la séparation des pouvoirs.

Le droit à un recours effectif (art. 13 CEDH) est un droit accessoire, garantissant une procédure effective en cas de violation alléguée d’un autre droit garanti par la CEDH. Une procédure est effective au sens de l’art. 13 CEDH lorsqu’elle se déroule devant des autorités judiciaires ou administratives présentant des garanties suffisantes d’indépendance et dont la décision permet de remédier, matériellement, aux violations des droits conventionnels. Bien que l’art. 13 CEDH ne garantisse pas un droit à une certaine organisation procédurale, la procédure ne doit pas être excessivement longue.

En l’espèce, le fait que le refus d’approbation au sens de l’art. 99 al. 2 LEI puisse imposer une seconde procédure judiciaire ne viole pas l’art. 13 CEDH, pour autant que chaque procédure soit menée devant des autorités suffisamment indépendantes, garantisse le droit d’être entendu et permette un redressement approprié. A cet égard, l’allongement de la durée totale de la procédure qu’entraîne nécessairement la seconde procédure judiciaire ne permet pas de conclure, abstraitement, qu’elle serait ineffective en contrariété à l’art. 13 CEDH. Ce n’est qu’au regard de la durée concrète d’une procédure qu’il est possible de déterminer si celle-ci est conforme aux exigences conventionnelles. Partant, l’art. 99 al. 2 LEI n’est pas, dans son principe, contraire à l’art. 13 CEDH.

Le principe de séparation des pouvoirs constitue, quant à lui, un droit constitutionnel au titre duquel les individus peuvent requérir que la séparation constitutionnelle des pouvoirs soit respectée par les autorités publiques. Dans ce contexte, l’art. 30 Cst. en lien avec l’art. 191c Cst. veut que, sauf disposition constitutionnelle contraire, toutes les autorités administratives, cantonales ou fédérales, soient liées par les décisions judiciaires, cantonales ou fédérales. Partant, lorsqu’une autorité administrative fédérale entend contester une décision judiciaire cantonale, il lui appartient d’agir par le moyen de droit prévu à l’art. 89 al. 2 let. a LTF. Cette disposition constitue un moyen de droit suffisant pour permettre au SEM d’assurer la bonne exécution du droit fédéral. En revanche, le moyen prévu à l’art. 99 al. 2 LEI, en octroyant la compétence au SEM d’approuver – ou non – des décisions judiciaires cantonales, élève le SEM en une quasi-autorité de surveillance des tribunaux cantonaux en violation du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.

Il s’ensuit que l’art. 99 al. 2 LEI est contraire au droit constitutionnel mais pas au droit conventionnel. Dans cette hypothèse, le Tribunal fédéral est limité par l’art. 190 Cst. à constater l’inconstitutionnalité de la disposition et à l’appliquer pour le surplus.

S’agissant de la légalité matérielle de la décision, le Tribunal fédéral constate qu’au vu de la gravité des condamnations du recourant ainsi que de sa situation financière, l’intérêt public à son renvoi est supérieur à son intérêt privé.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Le Tribunal fédéral a constaté la conformité de l’art. 99 al. 2 LEI à la CEDH en effectuant, pour l’essentiel, le contrôle de trois composantes de l’art. 13 CEDH. Il a ainsi retenu que les procédures se déroulent devant des autorités suffisamment indépendantes (c. 4.4.4) et garantissaient des droits procéduraux suffisants (c. 4.5-4.6). Pour le surplus, le Tribunal fédéral a considéré que, faute que l’art. 13 CEDH ne garantisse de droit à une certaine organisation procédurale, le droit conventionnel n’interdisait pas d’imposer plusieurs procédures judiciaires aux justiciables (c. 4.4.3 et 4.4.5). Dans cette perspective, le risque que cette procédure soit ineffective en raison de sa durée excessive ne saurait être apprécié in abstracto, mais uniquement au regard des circonstances concrètes (c. 4.5.3).

Le contrôle effectué par le Tribunal fédéral s’agissant de ce dernier aspect omet, à notre sens, de prendre en compte une série de principes dégagés par la CrEDH relatifs à l’impact de l’organisation de la procédure sur la durée de celle-ci.

La CourEDH reconnait aux Etats parties une large marge d’appréciation quant à la concrétisation d’une procédure effective au sens de l’art. 13 CEDH (CourEDH, 6.10.05, Lukenda c. Slovénie Requête no 23032/02, § 86). Pour ce motif, la jurisprudence retient, de longue date (p.ex. déjà CourEDH, 26.03.87, Leander c. Suède, requête no 9248/81, § 69 ss), que l’art. 13 CEDH ne proscrit pas d’imposer aux justiciables plusieurs procédures pour faire valoir leurs droits. Pour autant, cette marge d’appréciation ne permet pas n’importe quelle organisation judiciaire. La CrEDH a ainsi considéré qu’« a cumulation of remedies, which by extension leads to multiplication of judicial proceedings, by its nature, raises general doubts about its overall effectiveness » (CourEDH, 31.08.2018, Balogh and Others v. Slovakia, application no 35142/15, § 57). Dans cette perspective, « l’obligation d’engager deux procédures distinctes » est de nature à entrainer une « durée excessive » de la procédure et à « imposer une charge déraisonnable [au requérant] » (CourEDH, 6.10.05, Lukenda c. Slovénie Requête no 23032/02, § 70).

On peut raisonnablement douter que l’art. 99 al. 2 LEI soit conforme à ces principes. En effet, le système de l’art. 99 al. 2 LEI impose régulièrement au justiciable de mener deux procédures judiciaires distinctes pour s’assurer du respect des mêmes normes juridiques au regard de la même prétention de droit matériel. Cette organisation procédurale prolonge nécessairement significativement la procédure. Surtout, l’obligation d’engager deux procédures distinctes sur un même objet nous semble imposer une charge déraisonnable aux justiciables, au sens de la jurisprudence susvisée.

Proposition de citation : Simon Pfefferlé, La constitutionnalité de la compétence d’approbation des décisions cantonales du SEM, in: https://lawinside.ch/1586/