Le consentement et la traite d’êtres humains (art. 182 CP)

TF, 07.04.2025, 6B_296/2024*

Le consentement de la victime n’exclut la commission de l’infraction que s’il a été donné en toute liberté et en toute connaissance de ses effets. L’examen de la validité du consentement de la victime doit porter sur le moment où la victime a été enrôlée. Partant, les éléments de fait intervenus postérieurement ne sont pas déterminants.

Faits

Une personne se rend en Suisse en août 2011 et vit dans l’appartement familial d’un couple entre 2011 et 2017, période durant laquelle elle participe aux tâches ménagères du logement et s’occupe de leurs enfants. En juin 2018, elle dépose plainte contre le couple pour traite d’êtres humains, voies de fait, menaces et injures.

Le Tribunal criminel des Montagnes et du Val-de-Ruz reconnaît le couple coupable d’infraction à la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration, respectivement de complicité. La Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel rejette les appels formés par la victime ainsi que par le Ministère public.

La victime forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral.

Droit

En substance, la recourante fait grief à la cour cantonale de ne pas avoir retenu l’infraction de traite d’êtres humains à l’encontre du couple.

Selon l’art. 182 al. 1 CP, celui qui, en qualité d’offreur, d’intermédiaire ou d’acquéreur, se livre à la traite d’un être humain à des fins d’exploitation sexuelle, d’exploitation de son travail ou en vue du prélèvement d’un organe, est puni d’une peine privative de liberté ou d’une peine pécuniaire. Le fait de recruter une personne à ces fins est assimilé à la traite. La notion juridique d’exploitation du travail en tant que finalité de l’art. 182 CP recouvre notamment le travail forcé, l’esclavage ou le travail effectué dans des conditions analogues à l’esclavage en ce sens que la personne concernée doit mettre son temps et ses capacités physiques ou intellectuelles à disposition.

En l’espèce, la cour cantonale a nié l’existence d’un acte de recrutement car, selon la cour, la recourante n’a pas prouvé qu’elle avait effectué un essai de deux à trois mois à son domicile pour s’occuper de son propre enfant avant qu’elle ne se rende en Suisse. Toutefois, ce critère n’est pas pertinent pour déterminer s’il y a eu ou non recrutement au sens de l’art. 182 al. 1 in fine CP. Il s’agit plutôt de s’interroger sur le processus qui a amené la recourante à se soumettre à la subordination des intimés, puis d’examiner si les intimés la destinaient dès le début à l’exploitation de sa force de travail. Par conséquent, la cour cantonale aurait dû s’interroger sur un éventuel but d’exploitation, afin de se déterminer sur l’existence ou non d’un recrutement assimilable à de la traite.

En outre, la cour cantonale a nié l’existence d’une exploitation du travail dès lors qu’il n’était pas possible de retenir sur la base du dossier que la recourante aurait été considérée comme une « marchandise ». Toutefois, écarter la réalisation de l’infraction de traite d’êtres humains au motif que la personne concernée n’a pas été traitée comme de la marchandise s’avère trop restrictif. La cour cantonale a également exclu que le travail ait été exécuté sous la menace d’une peine au motif que la recourante pouvait sortir du domicile des intimés, qu’elle disposait d’un téléphone portable, qu’elle avait eu une relation avec un ami et, qu’au moment où elle a quitté le domicile des intimés, elle avait sans difficulté retrouvé sa carte d’identité. Cependant, ces éléments ne permettent pas à eux seuls d’exclure le fait que le travail a été exécuté sous la menace d’une peine et donc d’écarter l’existence d’un travail forcé. Par conséquent, la cour cantonale n’a pas examiné de manière complète si les prestations fournies par la recourante peuvent s’inscrire dans la notion d’exploitation du travail, notamment sous la forme du travail forcé.

Enfin, la cour cantonale a nié que la recourante se soit trouvée dans une situation de vulnérabilité. L’existence d’une situation de vulnérabilité est à mettre en lien avec la validité de l’accord exprimé par la victime. L’examen y relatif doit porter sur le moment où la victime est enrôlée. Il s’agit de se demander si l’existence d’une situation de vulnérabilité était de nature à influencer le libre choix de disposer de soi-même. En l’espèce, les éléments de fait mis en exergue par la cour cantonale n’apparaissent pas propres à établir ou à nier que la recourante se soit trouvée dans une situation de vulnérabilité particulière lorsqu’elle a donné son accord en vue de fournir des prestations de travail pour les intimés. En effet, les témoignages sur lesquelles s’appuie la cour cantonale ont trait à des faits intervenus postérieurement. Par conséquent, la cour cantonale n’a pas examiné de manière complète si la recourante se trouvait dans une situation de vulnérabilité.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie la cause à la cour cantonale pour nouvel examen.

Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, Le consentement et la traite d’êtres humains (art. 182 CP), in: https://lawinside.ch/1585/