L’atteinte à des droits et obligations du fait d’une ordonnance administrative
Une ordonnance ou pratique administrative ne porte atteinte à des droits et obligations au sens de l’art. 25a PA que si elle affecte la situation individuelle du justiciable avec un certain niveau de gravité. Un désavantage potentiel ou négligeable demeure insuffisant à cet égard.
Faits
Une société commercialise un outil d’analyse d’égalité salariale. Elle adresse au Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes une requête de décision relative à des actes matériels tendant à la modification de la directive du Bureau sur le contrôle du respect de l’égalité salariale entre femmes et hommes dans les marchés publics de la Confédération. Cette directive prévoit que les contrôles effectués par le Bureau en matière d’égalité salariale dans le cadre des marchés publics sont réalisés uniquement à l’aide de l’outil d’analyse « Logib » de la Confédération. Selon la société, il en découlerait une violation de sa liberté économique.
Par décision, le Bureau déclare la requête irrecevable. Le recours formé par la société est admis par le Tribunal administratif fédéral qui renvoie la cause au Bureau pour qu’il statue sur le fond. Le Département fédéral de l’intérieur forme un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral contre l’arrêt du Tribunal administratif fédéral. Le Tribunal fédéral doit déterminer si les conditions de recevabilité d’une requête de décision relative à des actes matériels sont réalisées.
Droit
L’art. 25a PA garantit que toute personne disposant d’un intérêt digne de protection et dont les droits et obligations sont atteints par un acte matériel fondé sur le droit public fédéral peut exiger de l’administration qu’elle s’abstienne, révoque, élimine les conséquences ou constate l’illicéité de cet acte.
La notion d’acte matériel au sens de l’art. 25a PA doit être interprétée largement et ne constitue en principe pas une condition décisive quant à la recevabilité de la requête. La recevabilité de la requête dépend avant tout de la réalisation d’une condition objective, à savoir l’existence d’une atteinte à des droits et obligations, et d’une condition subjective, à savoir l’existence d’un intérêt digne de protection. La réalisation de la condition objective nécessite que le justiciable démontre de manière vraisemblable subir une atteinte à un intérêt digne de protection. Un tel intérêt découle au premier titre des droits fondamentaux, mais peut aussi découler de tout autre position juridiquement protégée. S’il n’est pas nécessaire que l’atteinte soit directe, elle doit tout de même revêtir un certain degré de gravité pour être considérée digne de protection. La réalisation de la condition subjective nécessite, pour le surplus, une certaine proximité entre l’acte matériel et le justiciable. La notion d’intérêt digne de protection au sens de l’art. 25a PA correspond dans ce contexte à la notion d’intérêt digne de protection au sens des art. 6, 25 al. 2, 48 al. 1 let. c PA et 89 al. 1 let. c LTF.
En l’espèce, le fait que la directive prévoie l’utilisation systématique de l’outil d’analyse Logib lors des contrôles effectués par le Bureau n’est pas de nature à porter atteinte à la liberté économique (art. 27 Cst.) de l’intimée. En effet, l’emploi par un soumissionnaire de Logib plutôt que d’un outil d’analyse commercialisé par un acteur privé tel que l’intimée constitue effectivement un avantage pour le soumissionnaire du fait qu’il est plus aisément en mesure de collecter, traiter et transmettre les données nécessaires à l’occasion des contrôles. Toutefois, pour constituer une atteinte à la liberté économique digne de protection, il est encore nécessaire que les désavantages que pourraient subir les soumissionnaires en employant l’outil d’analyse de l’intimée se répercutent effectivement sur son activité économique, ce qui n’est pas établi en l’espèce. En effet, les contrôles effectués par le Bureau ne visent que les soumissionnaires qui ne sont pas soumis à l’obligation d’effectuer une analyse en matière d’égalité salariale selon l’art. 13a LEg. Or, l’intimée offre précisément ses prestations aux employeurs auxquels l’art. 13a LEg est applicable. De plus, l’avantage que procurerait l’emploi de Logib lors des contrôles est, en toute hypothèse, négligeable, consistant essentiellement en un gain de temps. En d’autres termes, la clientèle de l’intimée ne subit aucun désavantage qui pourrait se répercuter sur l’activité économique de cette dernière du seul fait de l’ordonnance, respectivement de l’utilisation de Logib par le Bureau à l’occasion de ses contrôles.
Partant, faute que la condition objective de l’art. 25a PA ne soit réalisée, c’est à bon droit que le Bureau a déclaré la requête de l’intimée irrecevable. Le Tribunal fédéral admet le recours.
Proposition de citation : Simon Pfefferlé, L’atteinte à des droits et obligations du fait d’une ordonnance administrative, in: https://lawinside.ch/1553/