La sauvegarde du délai de péremption suite au retrait de la requête de conciliation

TF, 06.11.2024, 5A_441/2024*

Un délai de péremption est sauvegardé si le demandeur dépose une requête de conciliation avant l’échéance du délai, la retire suite à un accord sur la renonciation à la procédure de conciliation et dépose dans les 30 jours une nouvelle requête de conciliation accompagnée d’une demande. 

Faits 

Le 10 décembre 2019, des héritiers déposent une requête en conciliation auprès du Tribunal de première instance de Genève. Cette requête vise à déterminer si les testaments du de cujus sont nuls ou réductibles en ce qu’ils contreviennent au pacte successoral rédigé quelques années auparavant (cf. art. 494 al. 3 CC).  

Les parties à la procédure renoncent à la conciliation. Les héritiers demandeurs requièrent la délivrance de l’autorisation de procéder alors que le défendeur observe qu’il n’y a pas lieu de délivrer une autorisation de procéder, car les demandeurs peuvent introduire une demande directement auprès de l’instance compétente. Par la suite, les demandeurs confirment qu’ils retirent leur requête de conciliation et prient le tribunal de leur faire parvenir un jugement de retrait indiquant que les parties ont renoncé à la procédure de conciliation et qu’une action peut être directement déposée auprès du Tribunal de première instance.

Par jugement du 24 mars 2021, vu notamment le dépôt de la requête de conciliation, l’accord des parties pour renoncer à la procédure de conciliation et le retrait de la requête de conciliation, le tribunal donne acte aux parties de ce qu’elles ont renoncé à la procédure de conciliation, constate que la procédure devient sans objet et raye la cause du rôle. Les parties ne recourent pas contre cette décision. 

Le 21 avril 2021, les demandeurs déposent une nouvelle requête de conciliation accompagnée d’une action au fond. Le tribunal déboute les demandeurs de toutes leurs conclusions. Statuant sur l’appel formé par les demandeurs, la cour de justice confirme pour l’essentiel le jugement. 

Les demandeurs forment un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à déterminer si les recourants ont sauvegardé leur délai de péremption (art. 494 al. 3 CC cum 533 al. 1 CC) en introduisant successivement une requête de conciliation puis, après avoir conclu avec l’intimé un accord de renonciation à la procédure de conciliation et retiré la requête, une action devant le tribunal.

Droit 

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que si l’acte introductif d’instance retiré ou déclaré irrecevable pour cause d’incompétence est réintroduit dans le mois qui suit le retrait ou la déclaration d’irrecevabilité devant le tribunal ou l’autorité de conciliation compétente, l’instance est réputée introduite à la date du premier dépôt de l’acte (art. 63 al. 1 CPC). Il en va de même lorsque la demande n’a pas été introduite selon la procédure prescrite (art. 63 al. 2 CPC). Le prononcé d’irrecevabilité cause la cessation de la litispendance, avec effet rétroactif. Celle-ci entraîne indirectement la perte du droit si le délai de péremption du droit matériel a expiré dans l’intervalle.

Ainsi, l’art. 63 CPC permet non seulement de faire rétroagir la litispendance, mais aussi de sauvegarder les délais de prescription et de péremption. En effet, il ressort de l’art. 64 al. 2 CPC que la litispendance coïncide avec l’ouverture d’action qui, selon le droit matériel, interrompt la prescription (art. 135 ch. 2 CO) ou permet de sauvegarder un délai de péremption. L’art. 63 CPC vise également le cas où l’autorité de conciliation est abordée à tort, alors que la tentative préalable de conciliation était exclue et que le tribunal aurait dû être immédiatement saisi. Même dans ces cas, le dépôt de la requête de conciliation fixe la litispendance (art. 62 al. 1 CPC) et le demandeur bénéficie de ses effets si la requête est redéposée à l’identique conformément à la jurisprudence développée au sujet de l’art. 63 CPC. 

Il ressort de ce qui précède que, lorsque les parties s’entendent pour renoncer à la conciliation, l’autorité de conciliation n’est pas compétente et les parties peuvent saisir directement le tribunal. Si l’autorité de conciliation est malgré tout saisie, mais qu’aucune des parties ne comparaît en invoquant cet accord dont aucune ne conteste la validité, elle ne peut ni délivrer une autorisation de procéder (art. 209 CPC), ni rayer la cause du rôle en raison du défaut des parties (art. 206 CPC). Dans une telle situation, l’autorité doit soit rendre une décision d’irrecevabilité, soit rayer la cause du rôle si la partie demanderesse retire sa requête en raison de l’incompétence provoquée par l’accord de renonciation.

Si les parties renoncent à la conciliation après l’introduction de la procédure de conciliation, les délais de péremption ne sont pas préservés. Pour cela, il faut que la partie demanderesse puisse se prévaloir de l’art. 63 CPC. En effet, cette disposition a été conçue en premier lieu pour éviter à la partie qui s’est adressée à une autorité incompétente la perte de son droit matériel ou la prescription de sa créance. Or, lorsque les parties renoncent à la conciliation après que le demandeur a saisi l’autorité de conciliation, elles rendent l’autorité de conciliation incompétente alors que celle-ci pourrait, sans leur accord de renonciation, se saisir valablement de leur cause.

Cependant, le Tribunal fédéral arrête qu’il n’y a tout de même pas lieu de refuser l’application de l’art. 63 CPC sous prétexte que l’autorité n’était pas d’emblée incompétente. Dès lors que l’art. 199 CPC permet aux parties d’exclure la compétence de l’autorité de conciliation, il serait excessivement formaliste de refuser à la partie demanderesse le maintien de la litispendance, et aux parties le droit de mener leur litige directement devant le tribunal, au motif que leur accord n’est intervenu qu’après le dépôt de la requête de conciliation par lequel la partie demanderesse a diligemment préservé son droit.

En l’espèce, les recourants ont retiré leur requête suite à l’accord conclu avec l’intimé après la saisine de l’autorité de conciliation, mais avant l’audience. Aucun élément ne permet de retenir une renonciation sans réserve des recourants à l’introduction de leur demande (art. 208 al. 2 CPC), ni un quelconque abus de droit de leur part à saisir l’autorité de conciliation. En outre, l’intimée a donné son accord pour renoncer à la procédure de conciliation et ne pouvait donc ignorer que cet accord entraînait le droit de saisir directement le tribunal.

Par conséquent, compte tenu du fait qu’il ressort du jugement de première instance que les recourants ont déposé, dans le délai d’un mois après leur retrait, la même écriture que celle déposée devant l’autorité de conciliation, l’art. 63 CPC doit trouver application. Ainsi, le délai de péremption de l’action fondée sur l’art. 494 al. 3 CC en lien avec l’art. 533 al. 1 CC est préservé par le maintien de la litispendance à titre rétroactif depuis le 10 décembre 2019. 

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours. 

Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, La sauvegarde du délai de péremption suite au retrait de la requête de conciliation, in: https://lawinside.ch/1544/