Le licenciement abusif du travailleur âgé
Le Tribunal fédéral rappelle que le caractère abusif d’un licenciement peut résider dans la manière dont il est donné, en particulier lorsqu’il est effectué sans les égards appropriés dans le cas d’un travailleur proche de l’âge de la retraite et au service de son employeur depuis de nombreuses années.
Faits
Un boulanger travaille au service d’une société pendant 19 ans, en particulier au sein de l’un des laboratoires. Hormis trois avertissements espacés dans le temps, l’employé donne entière satisfaction à son employeur, comme le relève son certificat de travail final.
En mai 2020, dès la réouverture du laboratoire après les restrictions liées à la crise sanitaire du COVID-19, la société met fin aux rapports de travail du boulanger, sans que sa lettre de licenciement ne contienne de motivation. Le boulanger fait opposition à son licenciement, qu’il estime abusif. La société évoque alors des motifs économiques à l’appui du licenciement.
Suite à une tentative infructueuse de conciliation, le boulanger ouvre action par-devant le Tribunal des prud’hommes genevois. Ce dernier retient l’existence d’un congé abusif et condamne la société au paiement d’une indemnité équivalent à trois mois de salaire.
La Chambre des prud’hommes de la Cour de justice ayant confirmé cette décision, la société saisit le Tribunal fédéral, qui doit se déterminer sur l’existence d’un congé abusif.
Droit
Le Tribunal fédéral rappelle qu’en droit suisse du travail, la liberté de résiliation prévaut. Ainsi, pour être valable, un congé ne doit pas, en principe, reposer sur un motif particulier. Ce principe trouve toutefois l’une de ses limites dans les cas où le licenciement doit être qualifié d’abusif au sens de l’art. 336 CO.
Par ailleurs, selon la jurisprudence fédérale constante, la liste de cas contenue dans cette disposition n’est pas exhaustive. En effet, un congé peut être qualifié d’abusif dans d’autres circonstances par le truchement de l’art. 2 al. 2 CC et l’interdiction de l’abus de droit, pour autant que les situations en question soient comparables, par leur gravité, aux cas mentionnés à l’art. 336 CO.
De plus, le caractère abusif d’un congé peut également découler de la manière dont il est donné. Bien qu’un motif de congé puisse être légitime, la partie mettant fin aux rapports de travail doit le faire avec des égards. Dans ce contexte, une atteinte grave aux droits de la personnalité du travailleur peut dès lors conférer un caractère abusif au congé.
L’employeur doit par ailleurs faire preuve d’égards particuliers vis-à-vis des travailleurs proches de l’âge de la retraite et lui ayant dédié une grande partie de leur carrière. Ces égards ne peuvent toutefois faire l’objet d’une analyse qu’au cas par cas, sans établissement d’une règle générale. Ce sont en effet les circonstances du cas concret qui restent déterminantes. En outre, le congé peut aussi être qualifié d’abusif s’il consacre une disproportion des intérêts en présence, notamment lorsque le congé est sans portée propre pour l’employeur.
En l’espèce, il ressort des faits constatés par l’instance précédente que l’employé, âgé de 62 ans au moment où il a été « sèchement congédié » après 19 ans de rapports de travail, avait donné entière satisfaction à son employeur. Ce dernier l’a licencié le jour où l’employé reprenait le travail après une période de chômage technique, et ce alors qu’un autre employé avait été engagé peu de temps auparavant en remplacement d’un salarié ayant quitté l’entreprise.
L’employé avait d’ailleurs, au cours de la procédure, produit plusieurs certificats médicaux pour démontrer la souffrance psychologique que la situation avait provoquée chez lui, allant jusqu’à des états d’épisodes dépressifs majeurs ayant nécessité deux hospitalisations.
Par ailleurs, bien que le congé ait été motivé plus tard par la fermeture provisoire du laboratoire auquel était affecté l’employé, la société aurait dû discuter avec lui de solutions alternatives. Elle exploitait en effet d’autres laboratoires, entre lesquels plusieurs de ses employés alternaient, et au sein duquel l’employé concerné lui-même avait déjà travaillé.
Le Tribunal ne discerne aucune violation du droit dans l’appréciation faite par l’instance précédente, qui a retenu le caractère abusif du congé. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Camille de Salis, Le licenciement abusif du travailleur âgé, in: https://lawinside.ch/1495/