Extension d’une clause d’arbitrage à un Etat nouvellement constitué

ATF 149 III 431 | TF, 07.08.2023, 4A_575/2022*

Un Etat qui accède à l’indépendance dans le cadre d’une succession (partielle) de droit international public peut, à certaines conditions, être lié par une convention d’arbitrage conclue par l’Etat précédent

Faits

À compter de 2003, une société ayant sont siège dans l’actuelle République du Soudan du Sud dispose d’une licence lui permettant de construire et d’exploiter un réseau de télécommunication également dans une région du Soudan du Sud. En 2007, la société et le Ministry of Technology and Postal Services for the Government of Southern Sudan conviennent que leurs éventuels litiges seront soumis à un arbitrage CCI et renoncent par avance à tout recours. En 2011, la République du Soudan du Sud devient indépendante de la République du Soudan.

En 2018, la société entame une procédure d’arbitrage auprès de la Chambre Internationale de Commerce. Elle reproche au gouvernement de la République du Soudan du Sud des violations contractuelles, en particulier de l’avoir empêché d’exploiter les réseaux puis d’avoir résilié les contrats. Elle réclame à ce titre un montant d’environ USD 3 milliards. Dans ce qu’il a qualifié de sentence partielle, l’arbitre unique de la CCI se déclare compétent et constate plusieurs violations du contrat. La République du Soudan du Sud forme recours en matière civile au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur l’extension de la clause d’arbitrage à un État devenu indépendant et donc sur la portée subjective d’une telle clause.

Droit

À titre liminaire, bien que les parties aient valablement renoncé leur droit de recours au Tribunal fédéral (art. 192 LDIP), celui-ci s’estime compétent pour trancher du litige. En effet, l’examen de la portée subjective de la clause arbitrale, et donc de la compétence de l’arbitre unique, coïncide avec l’examen de l’opposabilité subjective de la renonciation au recours. Dans pareille circonstance, le recours au Tribunal fédéral est ouvert, faute de quoi la recourante ne pourrait pas se défendre contre l’applicabilité de la clause arbitrale qu’elle conteste.

La République du Soudan du Sud estime que la convention d’arbitrage ne la lie pas pour trois raisons.

  1. Premièrement, elle critique le fait que la sentence entreprise ne contienne aucune indication sur le point de rattachement parmi les trois prévus par l’art. 178 al. 2 LDIP. Le Tribunal fédéral relève qu’il suffit que la convention d’arbitrage corresponde au moins à l’un des trois ordres juridiques alternatifs mentionnés à l’art. 178 al. 2 LDIP entre lesquels il n’existe pas de hiérarchie. Il serait en revanche inadmissible de mélanger les différents ordres juridiques pour différents aspects particuliers. En l’espèce, il est vrai que l’arbitre unique n’a pas expressément cité des dispositions d’un ordre juridique étatique déterminé. Cependant il a établi que le droit suisse intervenant comme lex arbitre et le droit de la République du Soudan du Sud comme lex causa ce qui est suffisant au titre de l’art. 178 al. 2 LDIP .
  2. Deuxièmement, la République du Soudan du Sud soutient que le Ministry of Technology and Postal Services for the Government of Southern Sudan ne disposait pas des pouvoir de représentation nécessaires pour la représenter. Le Tribunal fédéral n’adhère pas à cette position et rappelle qu’un Etat ne peut pas se soustraire à une procédure d’arbitrage en faisant valoir que, selon son propre droit, la personne ou l’institution qui a signé pour lui la convention d’arbitrage n’était pas habilitée à le faire (art. 177 al. 2 LDIP).
  3. Troisièmement, la République du Soudan du Sud soutient qu’elle ne serait pas liée par la clause d’arbitrage faute pour elle d’avoir repris les obligations contractées par sa prédécesseur (la République du Soudan). Le Tribunal fédéral rappelle que le droit des contrats repose sur le principe de la relativité des conventions. Il en découle l’inapplicabilité d’une convention d’arbitrage à l’égard d’une partie tierce au contrat. Cela étant dit, dans certaines situations, le contrat oblige des personnes qui n’en sont pas parties. En particulier, il est envisageable qu’un État qui accède à l’indépendance reprenne les obligations de son prédécesseur. En l’espèce, la République du Soudan du Sud et la République du Soudan ont procédé à une répartition des droits et obligations revenant à chacune d’elles selon le principe de territorialité. La recourante a ainsi accepté de reprendre l’ensemble des obligations qu’avait contracté la République du Soudan sur son territoire. Une décision ministériel de 2012 de la République du Soudan du Sud le confirme. Il en ressort que la recourante agit à titre de successeur légal dans les contrats de télécommunication couvrant le territoire de la République du Soudan du Sud. Le Tribunal fédéral relève enfin que, après 2011, la la République du Soudan du Sud a continue d’exécuter le contrat conclu avec la société montrant ainsi sa volonté de reprendre les obligations contractuelles relatives à ce rapport d’obligation. La clause d’arbitrage est donc opposable à la République du Soudan du Sud.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Le résultat auquel parvient le Tribunal fédéral est convaincant en tant qu’il repose sur une analyse pragmatique de la situation. Compte tenu de la décision ministérielle précitée et du fait que la République du Soudan du Sud a continué de bénéficier du contrat conclu avec la société, il aurait une effet été difficilement indéfendable de considérer que la République du Soudan du Sud pouvait se soustraire aux effets de la clause CCI.

Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, Extension d’une clause d’arbitrage à un Etat nouvellement constitué, in: https://lawinside.ch/1482/