Droit d’être entendu.e et interprétation de la sentence (art. 189a LDIP)

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TF, 25.03.2024, 4A_603/2023*

L’interprétation de la sentence (cf. art. 189a LDIP) est soumise à la même procédure que celle ayant mené à la sentence initiale. Partant, la procédure doit nécessairement être contradictoire et les parties ont le droit d’être entendues. Le non-respect du délai de 30 jours pour soumettre une demande d’interprétation ne viole pas l’ordre public formel (art. 190 al. 2 let e LDIP).

Faits

En septembre 2022, des parties signent une convention d’arbitrage octroyant compétence au Tribunal arbitral rabbinique de Zurich. Le déroulement de la procédure est soumis à la loi juive (cf. art. 189 al. 1 LDIP).

En décembre 2022, le défendeur interjette recours au Tribunal fédéral contre la sentence finale, laquelle ne contient ni motivation juridique, ni exposé des faits, dès lors que l’oralité prédomine selon le droit procédural juif. Ne pouvant de facto examiner le bien-fondé des griefs soulevés, le Tribunal fédéral rejette le recours et confirme la sentence (cf. ATF 149 III 338, résumé in LawInside.ch/1331).

En novembre 2023, le tribunal arbitral rend une sentence interprétative, « après avoir pris connaissance de la décision du tribunal de district de Zurich du 29 septembre 2023 ainsi que de la demande d’interprétation du représentant de la partie demanderesse du 12 octobre 2023 » (traduction libre). Le défendeur recourt à l’encontre de cette sentence au Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à déterminer si le tribunal arbitral a violé l’ordre public formel et le droit d’être entendu du défendeur.

Droit

L’art. 189a LDIP est entré en vigueur le 1er janvier 2021. Cette disposition transpose essentiellement la jurisprudence antérieure du Tribunal fédéral. Elle prévoit que le tribunal arbitral peut, d’office ou sur demande d’une partie, rectifier, compléter ou interpréter la sentence qu’il a rendue dans un délai de trente jours (art. 189a al. 1 LDIP). Pour ce faire, il doit suivre la même procédure que celle appliquée pour rendre la sentence initiale. Partant, la procédure doit être contradictoire et le droit d’être entendu.e doit être accordé aux parties, sous réserve d’une requête manifestement mal fondée. Un nouveau délai de recours est accordé à l’égard du passage interprété, rectifié ou complété (art. 189a al. 2 LDIP). Ainsi, la sentence subséquente est soumise au même régime de recours que la sentence initiale. Les griefs sont toutefois limités à la partie interprétée, rectifiée ou complétée (cf. ATF 131 III 164 consid. 1.2.1).

Dans un premier grief, le défendeur fait valoir que le tribunal arbitral aurait violé l’ordre public procédural (art. 190 al. 2 let. e LDIP), au motif que la partie adverse a requis une demande d’interprétation au-delà du délai de 30 jours prescrit par l’art. 189a al. 1 LDIP.

À titre préalable, le Tribunal fédéral souligne que cette disposition est de nature dispositive. En l’espèce, les parties ont soumis la procédure au droit juif. Or, il n’est pas démontré que ce dernier soumet l’interprétation de la sentence à un délai similaire. En effet, la sentence litigieuse ne fait pas état des règles de procédures sur la base desquelles elle a été rendue. Par conséquent, l’art. 189a LDIP ne trouve potentiellement pas application.

En outre, la violation de l’ordre public procédural suppose une violation des principes de procédures fondamentaux et généralement reconnus. Une application erronée, voire arbitraire, d’une règle de procédure ne conduit pas forcément à une violation de l’ordre public formel. Selon le Tribunal fédéral, le délai de trente jours prescrit par l’art. 189a LDIP ne constitue pas un principe de procédure fondamental généralement reconnu, même s’il est prévu par de nombreux règlements d’institutions d’arbitrage (cf. p. ex. art. 37 Règlement ASA ; art. 36 Règlement CCI  ; ég. art. 33 al. 1 Loi type de la CNUDCI). Le grief s’avère donc mal fondé.

Dans un second grief, le défendeur se plaint d’une violation du droit d’être entendu.e et de l’égalité de traitement (art. 190 al. 2 let. d LDIP, cf. ég. art. 182 al. 3 LDIP), au motif que le tribunal arbitral a rendu la sentence interprétative sans lui donner l’occasion de s’exprimer, ni même lui notifier la demande de la partie adverse.

La sentence n’expose pas le déroulement de la procédure, conformément au principe de l’oralité prescrit par le droit de procédure juif (cf. ég. ATF 149 III 338, résumé in LawInside.ch/1331). Cependant, rien ne fait état d’une réponse du défendeur. Il faut en déduire qu’aucune réponse ne lui a été demandée et que la demande d’interprétation ne lui a même pas été notifiée. Ce constat n’est d’ailleurs pas contesté par le tribunal arbitral. Par conséquent, le tribunal arbitral a violé le droit d’être entendu du défendeurLe fait que le tribunal arbitral puisse interpréter ou rectifier la sentence de sa propre initiative n’y change rien. Dans cette hypothèse également, ce dernier doit tout de même entendre préalablement les parties, sous réserve d’une simple rectification d’une erreur manifeste d’écriture ou de calculs.

Le demandeur fait valoir que le défendeur ne démontre pas en quoi une audition préalable aurait pu exercer une influence sur la sentence interprétative. Malgré sa nature formelle, le droit d’être entendu.e ne constitue pas une fin en soi. En effet, l’intérêt à l’annulation de la décision suppose en général que le recourant expose en quoi la décision aurait été différente si son droit d’être entendu avait été respecté.

Or, en l’espèce, le tribunal arbitral n’a pas simplement omis d’apprécier certains arguments présentés, mais n’a pas du tout donné la possibilité à la partie défenderesse de s’exprimer. Par conséquent, il ne peut lui être demandé d’exposer les arguments susceptibles d’exercer une influence sur l’issue de la procédure qu’elle aurait fait valoir à l’encontre de la demande d’interprétation. En outre, elle aurait pu soulever le non-respect du délai de l’art. 189a al. 1 LDIP ; ce qui aurait pu influencer la sentence.

Partant, le recours est admis et la sentence interprétative annulée.

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, Droit d’être entendu.e et interprétation de la sentence (art. 189a LDIP), in : https://www.lawinside.ch/1440-2/