Le moment de la conversion d’une créance en monnaie étrangère invoquée en compensation d’une créance en francs suisses

TF, 06.03.2023, 4A_398/2022*

La compensation d’une créance en francs suisses par une créance libellée en monnaie étrangère est possible moyennant la conversion de la créance en monnaie étrangère. Le moment déterminant pour la conversion de créance est celui où se produisent les autres effets de la compensation selon l’art. 124 al. 2 CO, à savoir au premier moment où les créances pouvaient être compensées. Ce moment correspond, pour le créancier invoquant la compensation, au moment où sa créance est exigible et que la créance compensée est exécutable et non au moment de la déclaration de compensation.

Faits

Une société de production de produits pharmaceutiques s’associe avec une société de vente de produits pharmaceutiques afin de conclure un contrat portant sur la fourniture de ce type de produits à trois autres sociétés. Aux termes de ce contrat, la société productrice s’engage à vendre des produits pharmaceutiques aux trois autres sociétés par l’intermédiaire de la société avec laquelle elle s’est associée. En contrepartie, les trois sociétés débitrices payent un montant annuel minimal à la société de vente de produits pharmaceutiques.

À la suite de divergences quant aux montants des rémunérations, la société de vente de produits pharmaceutiques ouvre conjointement action avec la société de production contre les trois autres sociétés afin d’obtenir le paiement d’arriérés. Parmi les diverses prétentions produites, les deux sociétés font notamment valoir que, dans le cadre d’une compensation de créances invoquées face aux créances en rémunération de la société de vente de produits pharmaceutiques, l’une des trois sociétés a appliqué à la conversion de ses créances compensatoires libellées en euros, respectivement en dollars américains, un taux de change erroné.

Après avoir été déboutées devant les instances cantonales, les sociétés créancières intentent un recours en matière civile au Tribunal fédéral qui est amené à trancher la question de savoir quel est le moment déterminant pour fixer le taux de change applicable à la conversion d’une créance en monnaie étrangère invoquée en compensation d’une créance en francs suisses.

Droit

L’art. 124 al. 2 CO traite des effets de la compensation. Cette disposition prévoit que si la compensation est efficace, les deux dettes sont alors réputées éteintes rétroactivement, jusqu’à concurrence du montant de la plus faible, depuis le moment où elles pouvaient être compensées.

En premier lieu, outre les conditions usuelles de la compensation de créances, le Tribunal fédéral rappelle que la compensation de créances libellées en monnaies différentes est possible à deux conditions : il faut (1) qu’un taux de change permettant la conversion des créances d’une monnaie vers l’autre existe et (2) que la conversion de la créance en monnaie étrangère ne soit pas rendue impossible par une clause de valeur effective (cf. art. 84 al. 2 CO).

En second lieu, le Tribunal fédéral tranche la controverse s’agissant du moment déterminant pour fixer le taux de change applicable à la conversion de la créance en monnaie étrangère. En substance, la controverse est celle de savoir si le moment déterminant est celui de la déclaration de compensation selon l’art. 124 al. 1 CO ou celui où se produisent les autres effets de la compensation selon l’art. 124 al. 2 CO.

Le Tribunal fédéral retient la seconde solution. En effet, il faut déduire de l’art. 124 al. 2 CO que l’effet rétroactif de la compensation sur l’extinction des dettes est également déterminant pour la fixation du taux de conversion. Ainsi, l’effet rétroactif de la compensation s’applique également à la conversion des créances en monnaie étrangère : le moment déterminant pour la conversion des créances est donc celui où se produisent les autres effets de la compensation, à savoir au premier moment où les créances pouvaient être compensées. Ce moment correspond, pour le créancier invoquant la compensation, au moment où sa créance est exigible et que la créance compensée est exécutable, et non au moment de la déclaration de compensation.

En l’espèce, l’une des trois sociétés a partiellement compensé les créances de la vente de produits pharmaceutiques (libellées en francs suisses) avec ses propres créances libellées en euros et en dollars américains envers la société créancière. À cette fin, elle a converti ses créances en francs suisses au taux de change applicable au moment où les créances en monnaies étrangères sont devenues exigibles. Le Tribunal fédéral admet que la conversion des créances en vue de la compensation est survenue au moment opportun en application de l’art. 124 al. 2 CO. Le recours est donc rejeté.

 

Proposition de citation : Victor Sellier, Le moment de la conversion d’une créance en monnaie étrangère invoquée en compensation d’une créance en francs suisses, in: https://lawinside.ch/1298/