L’applicabilité du moratoire sur les zones à bâtir aux procédures pendantes
ATF 143 II 393 | TF, 07.10.15, 1C_449/2014*
Faits
Lors de la révision de son plan d’aménagement local, une commune du Canton de Fribourg affecte une parcelle en zone à bâtir. Les instances cantonales rejettent les recours formés contre la décision communale et approuvent la révision du plan d’aménagement, en dépit de la révision de la LAT intervenue en cours de procédure devant le Tribunal cantonal.
Dans ce contexte, le Tribunal fédéral doit déterminer si le moratoire sur les nouvelles zones à bâtir prévu par le nouveau droit de l’aménagement du territoire s’applique aux procédures déjà pendantes au moment de son entrée en vigueur.
Droit
La LAT révisée durcit les exigences pour un classement en zone à bâtir, dans le but de remédier aux lacunes de la législation antérieure. En vertu du nouvel art. 38a al. 1 LAT, les cantons doivent adapter leurs plans directeurs conformément aux exigences du nouveau droit dans les cinq ans suivant l’entrée en vigueur de celui-ci. Entre-temps, la surface totale des zones à bâtir légalisées dans le canton ne doit pas augmenter (art. 38a al. 2 LAT).
Il faut déterminer si l’interdiction d’augmenter la surface des zones à bâtir s’applique également aux décisions de classement qui faisaient l’objet d’un recours au moment de son entrée en vigueur. Le droit transitoire (art. 52a al. 1 OAT) est peu clair à cet égard.
En principe, l’autorité de recours applique le droit en vigueur au jour où l’autorité de première instance a statué. Par application analogique des articles 1 et 2 du Titre final du CC, l’application immédiate du nouveau droit est cependant admise lorsqu’elle répond à un intérêt public majeur et que son application ne souffre aucun délai. Le pouvoir d’examen de l’autorité de recours doit également être pris en compte, l’applicabilité immédiate ne se justifiant pas lorsque l’autorité de recours ne dispose que d’un pouvoir d’examen restreint.
Au vu du surdimensionnement notoire des zones à bâtir, en particulier dans le Canton de Fribourg, les autorités cantonales et communales devront probablement déclasser de nombreuses parcelles, ce qui est plus délicat et plus coûteux qu’un non-classement. L’adoption de toute nouvelle zone constructible aggravera cette problématique en rendant nécessaire le déclassement d’une surface équivalente. Dans ces circonstances, la validation de plans d’affectation qui établissent de nouvelles zones à bâtir va à l’encontre d’un intérêt public prépondérant. Il convient donc de reconnaître que l’art. 38a al. 2 LAT s’applique aux recours pendants au moment de son entrée en vigueur, pour autant que l’autorité de recours ait au moins un pouvoir d’examen complet en légalité. La nouvelle affectation de parcelles en zone à bâtir ne peut ainsi être confirmée que si une surface équivalente est déclassée dans le canton.
En l’espèce, la cause était pendante devant la dernière instance cantonale au moment de l’entrée en vigueur de la LAT révisée. L’art. 38a al. 2 LAT lui est applicable, dès lors que la cour a un pouvoir d’examen complet en droit. En l’absence d’un déclassement correspondant, l’affectation en zone à bâtir de la parcelle litigieuse n’est pas conforme au nouveau droit et le plan d’affectation ne peut être validé. Le dossier est donc renvoyé aux instances précédentes pour nouvelle décision.
Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, L’applicabilité du moratoire sur les zones à bâtir aux procédures pendantes, in: https://lawinside.ch/110/
Je me permets simplement de réagir à la question du pouvoir d’examen de l’instance de recours. Le considérant 2.4 in fine de l’arrêt a la teneur suivante:
« Il convient ensuite de tenir compte du pouvoir d’examen de l’instance de recours auprès de laquelle la cause est pendante: un pouvoir d’examen complet en légalité peut déjà suffire à une application immédiate du nouveau droit. »
Malheureusement, le TF n’est pas plus disert sur cette question.
A mon sens, l’autorité de recours cantonale de 2eme instance, qui ne dispose en général pas de la compétence pour revoir l’opportunité de la décision (cf. 33 al. 3 litt. B LAT), dispose d’un pouvoir d’examen restreint, mais complet en légalité, et pourra donc appliquer le nouveau droit pour la cause pendante devant son instance.
Par conséquent, cette deuxième condition du pouvoir d’examen n’est en réalité pas un obstacle à l’application du nouveau droit, toutes les instances de recours disposant d’un pouvoir d’examen complet en légalité.
Qu’en pensez-vous?
Il est regrettable que le TF n’ait pas mieux précisé sa pensée dans cette décision.
La portée du critère du pouvoir d’examen de l’autorité de recours est en effet peu claire.
Dans l’ATF 106 Ib 325, le Tribunal fédéral a jugé son pouvoir de cognition insuffisant pour appliquer au cas d’espèce une loi entrée en vigueur après la décision de dernière instance cantonale. En substance, il ne pouvait connaître que des violations du droit fédéral (art. 104 ancienne OJ). Les juges fédéraux ont relevé que l’application immédiate du nouveau droit conduirait le Tribunal fédéral à statuer en instance unique, alors qu’il ne bénéficiait pas d’un pouvoir de cognition illimité en opportunité (« uneingeschränkte Ermessenskontrolle »).
Dans l’arrêt TF 1C_449/2014* résumé ci-dessus, un plein pouvoir d’examen en opportunité n’est cependant pas exigé, un « plein pouvoir d’examen en légalité » pouvant suffire. Les termes « plein pouvoir d’examen en légalité » pourraient se référer à la compétence de connaître de toute violation du droit (et non p. ex. uniquement de la violation du droit fédéral), ou à un pouvoir d’examen complet en fait et en droit (auquel cas la formule serait malheureuse).
Quoi qu’il en soit, au regard de la formulation choisie (« peut déjà suffire »), le Tribunal fédéral n’a pas entendu poser une exigence stricte. Il faudra ainsi examiner dans chaque cas d’espèce si le pouvoir de cognition de l’autorité de recours permet d’admettre l’application immédiate du nouveau droit.
Une part d’incertitude demeure, ce qui est regrettable du point de vue de la sécurité du droit. A mon sens, on peut retenir que le critère du pouvoir d’appréciation de l’autorité de recours limitera l’application directe du nouveau droit au niveau du Tribunal fédéral, mais n’aura que peu ou pas de portée à celui des instances cantonales. Le critère principal pour l’application immédiate du droit entré en vigueur en cours d’instance reste en tout cas celui de l’intérêt public prépondérant.