Le principe de la territorialité (art. 3 CP) et l’instigation (art. 24 CP)
ATF 144 IV 265 | TF, 23.07.2018, 6B_1120/2016*
Lorsqu’une instigation a lieu en Suisse, mais que tous les éléments constitutifs de l’infraction sont réalisés à l’étranger, l’instigation ne relève pas de la compétence territoriale de la Suisse (confirmation de jurisprudence).
Faits
Un prévenu désire vendre son véhicule mais ne trouve pas d’acheteur avec une offre lui paraissant suffisante. Il en parle alors à un ami et lui propose d’aller incendier la voiture afin de toucher une indemnisation de la part de l’assurance. Son ami se rend alors dans la banlieue lyonnaise et met ce plan à exécution.
Le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de La Broye condamne le prévenu pour diverses infractions mais l’acquitte de l’accusation d’instigation à incendie intentionnel. Le Tribunal cantonal confirme cet acquittement.
Le Ministère public central du canton de Vaud forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, lequel est amené à préciser l’application du principe de la territorialité lorsqu’une instigation est commise en Suisse.
Droit
L’art. 3 al. 1 CP ancre le principe de territorialité dans la loi : le Code pénal est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse. L’art. 8 al. 1 CP précise qu’un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l’auteur a agi ou aurait dû agir qu’au lieu où le résultat s’est produit. Aucune disposition légale ne règle toutefois la question du rattachement des actes de participation accessoire, tels que l’instigation et la complicité.
L’art. 24 CP dispose que quiconque a intentionnellement décidé autrui à commettre un crime ou un délit encourt, si l’infraction a été commise, la peine applicable à l’auteur de cette infraction. L’instigation n’est pas une infraction en soi, son illicéité découle uniquement de l’infraction principale. Elle constitue un acte de participation accessoire.
De jurisprudence constante, l’acte de participation accessoire est considéré comme avoir été commis au même endroit que l’infraction principale (ATF 104 IV 77). Cette solution est critiquée par une partie importante de la doctrine qui soutient l’existence d’une compétence territoriale en Suisse à l’égard de l’acte de participation accessoire même lorsque l’infraction a entièrement été commise à l’étranger. Ces critiques se réfèrent principalement à des considérations de politique criminelle et soulignent que l’actuelle solution pourrait avoir pour conséquence un conflit négatif de juridiction.
Ces critiques ne convainquent toutefois pas le Tribunal fédéral. En effet, le lieu où l’auteur décide de commettre une infraction n’est pas pertinent pour déterminer si cet auteur peut être poursuivi en Suisse ; seul le lieu où sont réalisés les éléments constitutifs est pertinent. Or, il n’est pas justifié de prévoir une solution différente lorsque l’auteur n’a pas décidé par lui-même de commettre une infraction, mais qu’il a été instigué. Retenir la solution inverse créerait une compétence des autorités helvétiques lorsque l’auteur a été instigué en Suisse, mais non lorsqu’il a décidé seul, en Suisse, de commettre une infraction à l’étranger.
Concernant l’éventuel conflit négatif de compétence, le Tribunal fédéral souligne que l’introduction d’une compétence juridictionnelle spécifique par voie jurisprudentielle contreviendrait au principe de la légalité. De plus, en l’espèce, le Ministère public n’a pas démontré que l’instigation à incendie intentionnel ne serait pas poursuivie en France. Au contraire, le Ministère public reconnaît qu’il devra dénoncer le prévenu aux autorités françaises.
Partant, le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence : lorsqu’un acte de participation accessoire est commis en Suisse, mais que tous les éléments de l’infraction principale sont réalisés à l’étranger, l’acte de participation accessoire ne relève pas de la compétence territoriale de la Suisse.
Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.
Note
Avant d’analyser les critiques de la doctrine, le Tribunal fédéral nous rappelle les conditions qui doivent être remplies pour qu’il procède à une modification sa jurisprudence : « un changement de jurisprudence doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, lesquels, sous l’angle de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne » (consid. 2.2).
En l’espèce, même si une partie importante de la doctrine critiquait la jurisprudence constante, le Tribunal fédéral a pu appuyer ses réponses aux critiques en se fondant sur une récente thèse qui soutient cette jurisprudence (cf. Villard Katia, La compétence du juge pénal suisse à l’égard de l’infraction reprochée à l’entreprise, Avec un regard particulier sur les groupes de sociétés, thèse Genève, Zurich 2017, p. 133 ss).
Proposition de citation : Célian Hirsch, Le principe de la territorialité (art. 3 CP) et l’instigation (art. 24 CP), in: https://lawinside.ch/658/