L’indemnité en cas de déclassement

TF, 27.11.2024, 1C_275/2022

Un déclassement ne donne pas forcément lieu à une indemnité. Encore faut-il qu’il existe une haute probabilité de construction dans un avenir proche. Cette probabilité s’apprécie sur la base de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives. L’absence d’intention de bâtir réduit la vraisemblance de la réalisation d’une construction à brève échéance.

Faits 

En 2016, la commune de Mellingen révise son plan d’affectation. A cette occasion, une parcelle d’une surface de 30’000 m2 détenue en copropriété, antérieurement affectée à la zone à bâtir, est affectée à la zone agricole. Sur recours d’une copropriétaire, le Tribunal administratif du canton d’Argovie confirme la nouvelle planification de la commune.

La copropriétaire saisit le Tribunal administratif spécial du canton d’Argovie d’une demande d’indemnisation dirigée contre la commune de Mellingen à hauteur de CHF 2.5 mio. Ce Tribunal considère que seule la partie nord de la parcelle donne droit à une indemnisation pour expropriation matérielle. Saisi d’un recours de la copropriétaire et de la commune, le Tribunal cantonal juge que l’entier de la parcelle donne droit à une indemnisation pour expropriation matérielle, et non seulement la partie nord.

La commune interjette alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral qui doit déterminer si l’affectation en zone agricole de la parcelle donne droit à une indemnisation pour expropriation matérielle.

Droit 

A titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle qu’il y a expropriation matérielle au sens de l’art. 26 al. 2 Cst. et de l’art. 5 al. 2 LAT lorsque l’usage actuel d’une chose ou son usage futur prévisible est empêché ou limité de façon particulièrement grave, de telle sorte que son propriétaire se trouve privé d’une faculté essentielle découlant du droit de propriété. La possibilité d’une meilleure utilisation (la possibilité matérielle et juridique de bâtir) n’est prise en considération que si, au moment déterminant, elle apparaît très probable dans un proche avenir.

Il faut distinguer le non-classement du déclassement. Le premier vise, d’une part, l’adaptation des plans adoptés avant l’entrée en vigueur de la LAT et, d’autre part, l’adaptation des plans entrés en vigueur sous l’empire de la LAT mais qui n’étaient pas matériellement conformes au droit de l’aménagement du territoire. En principe, le non-classement ne donne pas lieu à indemnisation. Dans le second cas, le bien-fonds concerné est anciennement affecté à la zone à bâtir par un plan déjà conforme au droit fédéral avant le changement d’affectation. Le déclassement donne généralement droit à indemnisation pour autant que la construction soit hautement probable à court terme.

La conformité d’un plan d’affectation au droit fédéral s’apprécie à l’aune des principes d’aménagement. A cet égard, un plan conforme au droit fédéral n’est pas figé pour l’éternité : il peut être adapté aux circonstances nouvelles, notamment en cas de surdimensionnement de la zone à bâtir. Par ailleurs, le propriétaire d’un fonds en zone à bâtir ne peut pas compter sur le fait qu’il y restera toujours. Partant, même en cas de déclassement, il convient d’examiner si la réalisation d’une construction apparaissait comme hautement probable dans un proche avenir.

Dans le cas d’espèce relatif à un déclassement, la question centrale est celle de la vraisemblance de la construction à brève échéance. Si elle n’est pas donnée, aucune attente légitime du propriétaire n’est déçue et les éléments constitutifs de l’expropriation matérielle ne sont pas réunis. L’examen porte sur tous les éléments juridiques et matériels susceptibles d’influencer la possibilité d’utilisation future, y compris les critères subjectifs. Ces derniers ne sont toutefois pas décisifs pris isolément et doivent être appréciés en relation avec toutes les circonstances concrètes du cas d’espèce. Le fait que le propriétaire n’ait rien entrepris sur sa parcelle peut être pris en considération pour l’appréciation de la gravité de l’atteinte.

En l’occurrence, trois éléments sont déterminants. Premièrement, la parcelle n’a jamais été utilisée conformément à sa destination pendant trente ans. Deuxièmement, sur une partie du bien-fonds, un bâtiment d’exploitation agricole est établi. A cet égard, le Tribunal fédéral constate que l’on peut raisonnablement penser que la propriétaire avait opté pour une utilisation de la parcelle à des fins agricoles. Troisièmement, il apparaît qu’un désaccord règne entre les copropriétaires sur l’utilisation future du bien-fonds.. La copropriétaire intéressée n’étant pas seule décisionnaire, la probabilité d’une réalisation rapide d’une construction s’en trouve affaiblie. Ces contraintes réduisent la vraisemblance d’une construction à brève échéance. En outre, l’équipement n’est pas juridiquement garanti.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral conclut que les exigences relatives à une probabilité de réalisation suffisamment élevée d’une construction dans un proche avenir ne sont pas remplies.

Partant, il admet le recours de la commune.

Note

Cet arrêt a suscité de nombreux commentaires et critiques dans la doctrine en raison des nouveautés qu’il introduit en matière d’expropriation matérielle (cf. p.ex. Brückner, Tout déclassement ne fonde pas un droit à l’indemnisation du propriétaire, analyse de l’arrêt du TF 1C_275/2022, Newsletter immodroit.ch avril 2025).

Il convient de relever que l’arrêt n’a été publié sur le site du Tribunal fédéral que plusieurs semaines après la séance publique. Par ailleurs, alors que l’arrêt était initialement destiné à publication aux ATF, il s’avère qu’il n’a finalement pas fait l’objet d’une telle publication. Enfin, dans son rapport de gestion 2024 (p. 17), le Tribunal fédéral a interpellé l’Assemblée fédérale afin qu’elle légifère sur les conséquences en termes d’indemnisation ensuite de mesures de planification d’affectation, en se référant expressément au présent arrêt.

Proposition de citation : Margaux Collaud, L’indemnité en cas de déclassement, in: https://lawinside.ch/1632/