L’indemnisation du gain réalisé par une violation de droits d’auteur

TF, 11.09.2024, 4A_145/2024*

L’indemnisation du gain réalisé par une violation de droits d’auteur dépend de la bonne foi de l’auteur de l’atteinte. Si ce dernier savait ou devait savoir qu’il portait atteinte à des droits d’auteur, une action en remise de gain (art. 423 CO) ou en responsabilité civile (art. 41 CO) pourraient être ouvertes. En revanche, si l’auteur de l’atteinte ignorait de bonne foi l’illicéité de ses actes, seule une action en enrichissement illégitime serait ouverte.

Faits

Un sculpteur est titulaire de différents brevets ainsi que de la marque « Feuerring », protégeant ses créations de grandes vasques en acier permettant de cuire des aliments. Une société commercialise de son côté des produits nommés « Grillring », dont les modèles présentent des designs similaires aux produits « Feuerring » du sculpteur.

Ce dernier met en demeure la société le 12 juin 2014 pour violation de plusieurs brevets et exige une déclaration de cessation. Plusieurs mises en demeure ayant le même objet se succèdent jusqu’au 19 février 2019, date à laquelle le sculpteur envoie une dernière mise en demeure, invoquant pour la première fois des violations de ses droits d’auteur.

Le 14 mars 2019, le sculpteur saisit le Tribunal de commerce du Canton d’Argovie, réclamant l’interdiction de vendre et diffuser les produits « Grillring », leur destruction et une indemnisation à fixer après avoir évalué les comptes de la société. Le Tribunal de commerce accepte partiellement la demande, reconnaissant notamment une violation des droits d’auteur concernant certains modèles. Un recours est formé devant le Tribunal fédéral, qui confirme le jugement du Tribunal de commerce et lui renvoie l’affaire pour fixer l’indemnité.

Le 31 janvier 2024, le Tribunal de commerce accorde au sculpteur une indemnité de CHF 50’581.80 pour enrichissement illégitime et rejette les autres prétentions financières. Le sculpteur estime que le montant accordé est insuffisant et forme un recours au Tribunal fédéral. Celui-ci est dans un premier temps amené à se prononcer sur la possibilité d’une action en remise du gain ou en responsabilité civile, et dans un second temps à préciser la manière dont l’indemnité doit être calculée.

Droit

Le Tribunal fédéral relève tout d’abord que les actions permettant d’obtenir une indemnisation découlant de la violation de droits d’auteur sont prévues par le Code des obligations, conformément au renvoi de l’art. 62 al. 2 LDA. Les prétentions invoquées par le recourant se fondent ici sur la gestion d’affaires imparfaite (art. 423 CO), la responsabilité civile (art. 41 CO) et l’enrichissement illégitime (art. 62 CO).

Le droit à la remise du gain, selon les règles de la gestion d’affaires sans mandat (art. 423 CO), est soumis à trois conditions : (i) une atteinte illicite aux droits d’un tiers par le gérant, (ii) la volonté de gérer l’affaire dans son propre intérêt et (iii) un comportement de mauvaise foi du gérant.

En l’espèce, les deux premières conditions ne sont pas contestées, car les droits d’auteur relatifs au design des produits « Feuerring » du recourant ont été atteints de manière illicite par la société, laquelle a également tiré profit de cette atteinte en commercialisant ses produits « Grillring ». La condition de la mauvaise foi du gérant est plus délicate, car elle implique de déterminer si celui-ci savait ou devait savoir qu’il portait atteinte aux droits d’auteur du recourant.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que les droits d’auteur ne découlent pas d’un registre et sont difficiles à rechercher, contrairement aux brevets. En effet, l’octroi de droits d’auteur à une œuvre dépend d’une appréciation, particulièrement pour les œuvres d’art appliqué (art. 2 al. 2 let. f LDA), car l’individualité de l’œuvre doit être établie. A cet égard, le but utilitaire de l’objet et les contraintes techniques doivent laisser la place à une création individuelle ; dans le cas contraire, il s’agit d’un produit purement artisanal qui ne bénéficie d’aucune protection.

In casu, le recourant n’a invoqué des prétentions relevant des droits d’auteur qu’à partir de son courrier du 19 février 2019. Dans les échanges de mise en demeure antérieurs, il s’était limité à des revendications liées au droit des brevets. La société n’avait donc aucune raison de soupçonner une éventuelle violation de droits d’auteur avant le 19 février 2019.

En outre, le Tribunal fédéral souligne qu’une mise en demeure évoquant des prétentions fondées sur les droits d’auteur ne suffit pas à écarter la bonne foi de la société, car la situation était juridiquement incertaine : le seuil d’originalité requis pour qu’une œuvre soit qualifiée d’art appliqué au sens de l’art. 2 al. 2 let. f LDA est élevé et la portée de la protection est étroite. Par conséquent, la société pouvait, même après la mise en demeure, continuer à supposer de bonne foi que ses actes ne violaient pas les droits d’auteur du recourant.

L’action en dommages-intérêts en vertu de la responsabilité civile (art. 41 CO) peut également être écartée. En effet, elle suppose l’existence d’une faute, qui correspond au manque de diligence de l’auteur de l’atteinte. Or, de la même manière que la mauvaise foi n’a pas pu être retenue car la société n’avait aucun motif de penser qu’elle violait des droits d’auteur, aucune faute ne peut lui être imputée.

Le Tribunal fédéral examine finalement l’action en enrichissement illégitime. Selon l’art. 62 al. 1 CO, doit être compensé l’enrichissement que le débiteur a obtenu aux dépens d’autrui, sans cause légitime. En l’espèce, la société ayant bénéficié de la violation des droits d’auteur du recourant, ce dernier doit obtenir une redevance équitable pour les ventes réalisées de manière illicite. Cette redevance s’inspire de la pratique courante dans le secteur concerné. Lorsqu’aucune redevance usuelle ne peut être recherchée, il appartient au juge de se demander ce que des parties raisonnables auraient convenu dans de pareilles circonstances, en statuant en équité par application analogique de l’art. 42 al. 2 CO.

En l’occurrence, le Tribunal fédéral confirme le calcul du montant de la redevance hypothétique établi par l’instance précédente. Celle-ci s’est fondée sur les revenus nets générés par la vente des produits « Grillring », qui s’élèvent à CHF 3’084.26 par unité. Elle a ensuite appliqué un taux de redevance de 10%, usuel pour les produits de luxe. Le total s’élève à un montant de CHF 50’581.80 pour 164 produits vendus.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Johann Melet, L’indemnisation du gain réalisé par une violation de droits d’auteur, in: https://lawinside.ch/1518/