Une autorisation de séjour accordée sur la base de l’art. 8 CEDH à une écolière syrienne

TF, 23.07.2024, 2C_157/2023*

Le statut d’admis provisoire peut, dans certaines situations, porter atteinte au droit à la vie privée protégée par l’art. 8 CEDH, en particulier lorsque ce statut engendre des désavantages concrets en raison du jeune âge ou de la situation personnelle de l’individu. Si la personne concernée est par ailleurs bien intégrée et qu’un renvoi ne peut être envisagé dans un avenir proche, elle a droit à l’octroi d’une autorisation de séjour.

Faits

Une ressortissante syrienne âgée de cinq ans arrive en Suisse avec sa famille en 2014. Le Secrétariat d’État aux migrations rejette leur demande d’asile et prononce leur admission provisoire.

Sept ans plus tard, l’intéressée dépose une demande d’autorisation de séjour. Le Service de la population et des migrants du canton de Fribourg refuse la demande. Sur recours, le Tribunal cantonal confirme la décision.

L’intéressée interjette alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui doit déterminer si la recourante peut bénéficier d’une autorisation de séjour en lieu et place de son admission provisoire.

Droit

La recourante invoque une violation de son droit au respect de la vie privée protégé par l’art. 8 CEDH ainsi que par l’art. 13 Cst (dont la portée est identique à l’art. 8 CEDH). Elle soutient que son intérêt supérieur à un développement harmonieux n’a pas été suffisamment pris en compte lors de l’examen des critères de l’art. 8 CEDH.

La question qui se pose est de savoir si les autorités fribourgeoises avaient l’obligation positive de délivrer à la recourante une autorisation de séjour pour lui garantir les éléments protégés par l’art. 8 CEDH.

À titre préliminaire, le Tribunal fédéral rappelle que lart. 8 CEDH protège le droit à l’épanouissement personnel et au libre développement de la personnalité.

Selon la jurisprudence constante de la CourEDH, cet article ne garantit pas le droit d’entrer ou de résider dans un pays ou le droit à un titre de séjour spécifique. Les État parties peuvent contrôler ces aspects. Toutefois, les restrictions imposées violent l’art. 8 CEDH si elles entraînent des répercussions disproportionnées sur la vie privée de l’intéressé·e. Le titre de séjour octroyé doit permettre à l’intéressé·e d’exercer sans entrave ses droits au respect de la vie privée, telle que la possibilité d’exercer une activité professionnelle, de se marier ou d’étudier.

Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a constaté que le statut d’admis provisoire peut porter atteinte à la vie privée lorsqu’il entraîne des inconvénients pour l’individu. En effet, l’admission provisoire empêche de demander la naturalisation, entraîne des inconvénients en matière d’intégration progressive, impose des contraintes de mobilité intercantonale et internationale, et complique l’accès à la formation post-obligatoire. Les jeunes personnes d’origine étrangère présentes en Suisse depuis plusieurs années subissent plus fortement ces désavantages.

Par ailleurs, le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 84 al. 5 LEI prévoit que les demandes d’autorisation de séjour déposées par des étrangers admis à titre provisoire et résidant en Suisse depuis plus de cinq ans doivent être examinées de manière approfondie. Cette disposition ne confère pas un droit automatique à une autorisation de séjour, mais impose de prendre en compte le niveau d’intégration, la situation familiale et l’exigibilité d’un retour dans le pays de provenance pour la personne concernée.

En l’espèce, la durée du séjour de la recourante dépasse cinq ans. Âgée de douze ans au moment du rendu de l’arrêt attaqué, elle a passé la majorité de son enfance en Suisse. L’intérêt à ne pas subir les désavantages liés à son statut, tels que les contraintes de mobilité internationale à des fins de formation ou les difficultés d’accéder à une formation à la fin de la scolarité obligatoire, s’accroît. Ces désavantages concrets entraînent une atteinte à sa vie privée protégée par l’art. 8 CEDH.

Le Tribunal fédéral examine ensuite le niveau d’intégration de la recourante. Il rappelle que la recourante doit fournir un certain effort d’intégration, faute de quoi l’octroi d’une autorisation de séjour pourrait être refusé sur la base de art. 8 par. 2 CEDH.

Dans le cas présent, la recourante a passé la majeure partie de son enfance en Suisse. Elle maîtrise parfaitement le français et obtient d’excellents résultats scolaires. Elle présente donc une intégration suffisante.

Enfin, le Tribunal fédéral analyse l’exigibilité d’un retour en Syrie. Le statut d’admission provisoire est en effet maintenu tant que le renvoi apparaît impossible, illicite ou inexigible. L’intérêt public au maintien de ce statut diminue progressivement lorsqu’il devient évident qu’un retour dans le pays d’origine ne pourra être ordonné dans un avenir prévisible.

En l’espèce, le renvoi de la recourante vers Syrie ne saurait être ordonné dans un avenir prévisible.

Au vu de ces éléments, le Tribunal fédéral admet le recours. Il renvoie la cause au Service cantonal afin qu’il délivre une autorisation de séjour à la recourante.

Proposition de citation : Margaux Collaud, Une autorisation de séjour accordée sur la base de l’art. 8 CEDH à une écolière syrienne, in: https://lawinside.ch/1512/