La demande d’autorisation d’une manifestation dans le cadre du WEF 2023
En refusant totalement le passage par une route cantonale d’une manifestation contre le WEF 2023, les autorités grisonnes ont violé la liberté d’opinion (art. 16 Cst) et la liberté de réunion (art. 22 Cst) du recourant.
Faits
Le 10 novembre 2022, pour le compte du « Strike WEF Kollektiv », une personne demande l’autorisation d’organiser une manifestation, intitulée « Winterwanderung für Klimagerechtigkeit » (marche hivernale pour la justice climatique). La manifestation doit prendre la forme d’une randonnée de deux jours (14 et 15 janvier 2023) à l’occasion du Forum économique mondial de Davos (le « WEF »). Les organisateurs annoncent un maximum de 300 participants.
Mi-décembre 2022, une rencontre a lieu entre le requérant et des représentants des services cantonaux et communaux concernés. Est notamment discutée la question de l’itinéraire de la marche, en particulier le fait que le passage par la route cantonale ne sera pas autorisé.
Début janvier 2023, les communes de Küblis, Klosters et Davos accordent l’autorisation demandée, sous réserve de certaines charges et conditions. Parallèlement, par décision du 10 janvier 2023, l’Office cantonal compétent refuse de permettre l’utilisation de la route cantonale entre Küblis et Klosters. L’itinéraire autorisé contraint les manifestant·es à emprunter des routes secondaires et des chemins pédestres sur ce tronçon.
Les autorités cantonales rejettent les divers recours de l’intéressé. Par la voie d’un unique recours en matière de droit public dirigé contre les quatre arrêts du Verwaltungsgericht, il saisit le Tribunal fédéral, qui doit déterminer s’il y a eu violation de sa liberté d’opinion et de réunion.
Droit
Tant l’art. 16 Cst que l’art. 10 CEDH garantissent la liberté d’opinion et accordent à toute personne le droit de former librement son opinion, de l’exprimer et de la diffuser. De même, l’art. 22 Cst et l’art. 11 CEDH garantissent le droit d’organiser des réunions, d’y participer ou de s’abstenir d’y participer.
Parmi les réunions, les manifestations se distinguent des autres rassemblements notamment par leur fonction spécifique d’appel, c’est-à-dire par leur objectif d’attirer l’attention du public sur une préoccupation des participant·es. S’agissant de questions politiques, elles contribuent à la formation démocratique de l’opinion en permettant l’expression publique de préoccupations et de conceptions qui s’expriment moins dans le cadre des procédures ou institutions démocratiques existantes.
Dans ce contexte, la liberté d’opinion et de réunion impose, dans certaines limites, la mise à disposition d’un terrain public ou, dans certaines circonstances, d’un autre site que celui envisagé, qui tienne compte d’une autre manière du besoin de publicité. Il existe donc en principe, sur la base de la liberté d’opinion et de réunion, un droit conditionnel à l’utilisation du domaine public pour les manifestations ayant un effet d’appel.
En l’espèce, le refus d’emprunter la route cantonale constitue une atteinte à la liberté d’opinion et de réunion, en ce sens que la fonction d’appel innée à la manifestation est elle-même atteinte. Le Tribunal fédéral doit donc examiner si les conditions de l’art. 36 Cst, donnant les conditions nécessaires à la restriction des droits fondamentaux, étaient remplies.
S’agissant du principe de la proportionnalité, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que le déplacement de tout l’itinéraire hors de la route cantonale constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d’opinion et de réunion.
Le Tribunal fédéral effectue en particulier une comparaison avec les circonstances du WEF de 2020. Lors de cet événement, une marche avait été organisée le long d’une route cantonale avec un nombre de participants trois fois plus important que celui annoncé pour 2023. Selon les éléments à disposition du Tribunal fédéral, elle n’avait pas généré de problèmes particuliers. Par ailleurs, une mesure moins incisive, comme le passage par des tronçons de la route cantonale, aurait été envisageable.
Le Tribunal fédéral constate par ailleurs que le droit du recourant à voir sa cause jugée dans un délai raisonnable, comme le prévoit l’art. 29 Cst, a également été violé. En effet, bien que le recourant ait déposé sa demande deux mois avant la date de la manifestation, il n’a reçu la décision correspondante que quelques jours avant cette date. De plus, il était clair pour les autorités concernées, dès la rencontre de mi-décembre 2022, qu’elles n’autoriseraient pas le passage par la route cantonale. Le requérant pouvait attendre d’elles qu’elles rendent une décision encore en 2022, malgré les fêtes de fin d’année.
Partant, le Tribunal fédéral admet le recours, constate la violation des art. 16 Cst, 22 Cst et 29 Cst et annule les quatre arrêts du Verwaltungsgericht.
Proposition de citation : Camille de Salis, La demande d’autorisation d’une manifestation dans le cadre du WEF 2023, in: https://lawinside.ch/1519/