L’extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité suite à la reprise d’une activité lucrative

TF, 3.10.24, 9C_290/2024*

Pendant la période de 14 semaines de droit à l’allocation de maternité, la mère perd son droit à l’allocation en cas de reprise d’une activité lucrative, même à temps partiel, sauf s’il s’agit d’une activité accessoire marginale. Le salaire de minime importance de l’art. 34d al. 1 RAVS, soit CHF 2’300 par année civile, peut servir de limite au-delà de laquelle une activité accessoire marginale est à considérer comme une activité lucrative menant à l’extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité. Cependant, ce montant ne peut pas être considéré comme une franchise et le salaire déterminant de la mère ne peut donc pas être proratisé : c’est le fait de reprendre une activité qui génère un revenu supérieur à CHF 2’300 par année qui est pertinent, et non le montant effectivement généré pendant les 14 semaines suivant l’accouchement. 

Faits

Une conseillère nationale travaillant également comme indépendante donne naissance à un enfant et perçoit une allocation de maternité. En raison de la participation de la conseillère nationale à des séances parlementaires, la caisse de compensation compétente nie le droit à l’allocation de maternité pour la période du 4 au 30 mars 2019. Le Tribunal administratif du canton de Berne rejette le recours de la mère contre cette décision, ce que confirme le Tribunal fédéral (ATF 148 V 253). Ce dernier indique que le mandat de conseillère nationale doit être considéré comme une activité lucrative dont la reprise donne lieu à l’extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité.

En 2021, la conseillère nationale perçoit à nouveau des allocations de maternité à la suite d’une naissance. La caisse de compensation nie le droit à l’allocation pour la période du 28 avril au 4 juillet 2021, durant laquelle la conseillère nationale a participé à des séances parlementaires. Le Tribunal administratif bernois rejette le recours de l’intéressée.

Saisi d’un recours, le Tribunal fédéral doit déterminer si la participation aux séances parlementaires constitue une activité lucrative ou si, en fonction de la rémunération effectivement obtenue pendant le congé de maternité, elle peut être considérée comme une activité accessoire marginale ne menant pas à l’extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité.

Droit

Le droit à l’allocation de maternité s’éteint en principe le 98e jour suivant l’accouchement (art. 16c al. 1 et 2 et 16d al. 1 LAPG). Selon l’art. 16d al. 3 première partie LAPG, le droit s’éteint cependant de manière anticipée si la mère reprend une activité lucrative ou si elle décède. A la suite de l’ATF 148 V 253 précité, la phrase suivante, en vigueur depuis le 1er juillet 2024, a été ajoutée à cette disposition : « il ne s’éteint toutefois pas de manière anticipée si la mère participe, en tant que députée, à des séances d’un parlement ou d’une commission parlementaire au niveau fédéral, cantonal ou communal pour lesquelles une suppléance n’est pas prévue ». Faute de disposition transitoire, la nouvelle exception n’est toutefois pas applicable au cas d’espèce.

Conformément à l’art. 25 OAPG, le droit de la mère à l’allocation s’éteint le jour où celle-ci reprend une activité lucrative, même partielle (cf. ATF 139 V 250, c. 4.1). À l’inverse, la reprise prématurée d’une activité accessoire marginale ne pouvant pas être qualifiée d’activité lucrative partielle est admise et ne donne pas lieu à une extinction du droit à l’allocation de maternité. Selon la jurisprudence, le salaire de minime importance de l’art. 34d al. 1 RAVS, soit CHF 2’300 par année civile (CHF 2’200 jusqu’au 31.12.10), constitue un critère objectif indiquant la limite au-delà de laquelle une activité accessoire marginale reprise prématurément par la mère est à considérer comme une activité lucrative au sens de l’art. 16d al. 3 première partie LAPG et de l’art. 25 OAPG (cf. ATF 139 V 250, c. 4.6).

Selon l’instance inférieure, la conseillère nationale avait obtenu pour ses activités de parlementaire un revenu de CHF 65’160 pendant les douze mois précédant la naissance, ce qui dépasse largement les CHF 2’300 annuels précités. La conseillère a fait valoir qu’il conviendrait de retenir une activité lucrative uniquement si la mère a effectivement réalisé un revenu « absolu » supérieur à CHF 2’300 pendant la durée du congé maternité. Or le Tribunal fédéral rappelle que le montant de CHF 2’300, même s’il se réfère à une année, n’est pas à considérer comme une franchise. Le salaire déterminant de la mère ne peut donc pas être proratisé (cf. no. 2129 Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG). En d’autres termes, c’est le fait de reprendre une activité qui génère un revenu supérieur à CHF 2’300 par année qui est pertinent, et non le montant effectivement généré pendant les 14 semaines suivant l’accouchement.

Compte tenu du revenu annuel lié au mandat de conseillère nationale, celui-ci ne constitue donc pas une activité accessoire marginale mais bien une activité lucrative menant à l’extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité au sens de l’art. 16d al. 3 première partie LAPG et de l’art. 25 OAPG.

Partant, le recours est rejeté.

Note

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral relève qu’il ressort de la lettre claire de la loi que la tolérance d’une activité lucrative accessoire marginale pour un revenu annuel de moins de CHF 2’300 n’est pas à considérer comme une franchise. Le droit à l’allocation de maternité s’éteint en effet de manière anticipée « si la mère reprend une activité lucrative » (art. 16d al. 3 première partie LAPG) (à noter que la version allemande mentionne la reprise de « son activité lucrative »  (traduction libre) : « wenn die Mutter ihre Erwerbstätigkeit wiederaufnimmt », tandis que la version italienne reprend la formulation française), respectivement « le jour » où celle-ci reprend une activité lucrative (art. 25 OAPG). Le Tribunal fédéral ne voit pas de motif de s’en écarter. De plus, il note que l’interprétation de ce montant en tant que franchise conduirait à tolérer une activité lucrative plus importante en cas de bas revenu.

Suite à la révision de l’art. 16d al. 3 LAPG entrée en vigueur le 1er juillet 2024, une tolérance vis-à-vis des activités parlementaires a été consacrée afin d’éviter l’extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité lorsqu’une suppléance n’est pas prévue. Cette modification apporte une clarification bienvenue aux différentes pratiques aux niveaux cantonal et communal dans l’interprétation de la législation fédérale (cf. FF 2023 934, p. 5), même s’il ne peut être pas exclu qu’elle mène à des pressions sur les parlementaires concernées pour qu’elles participent aux séances.

La nouveauté législative fait suite à diverses initiatives déposées par les cantons de Zoug (19.311), Bâle-Campagne (20.313), Lucerne (20.323) et Bâle-Ville (21.311). Parmi les options examinées figuraient aussi l’extension de la dérogation aux membres du pouvoir exécutif et/ou du pouvoir judiciaire, l’extension à toutes les femmes, ainsi que la réduction de l’allocation au prorata. Sur ce point, la Commission des institutions politiques du Conseil des États reconnaît dans son rapport concernant les initiatives cantonales en la matière que « toute dérogation entraîne une inégalité de traitement entre les bénéficiaires de la dérogation et les autres mères qui exercent une activité lucrative », précisant que la dérogation « ne doit pas affaiblir la protection de la maternité, une tâche indispensable de la collectivité publique ». C’est la raison pour laquelle il faudrait « limiter autant que possible le cercle des bénéficiaires d’une telle dérogation » (cf. FF 2023 934, pp. 7-9).

Dans son rapport, le Conseil fédéral note que le projet favorise la conciliation entre maternité et mandat de parlementaire (cf. FF 2023 1357, p. 3). Relevant la tâche essentielle de la protection de la maternité, mais également l’importance du système suisse et de son parlement de milice, il estime que la situation des femmes parlementaires est particulière. Par conséquent, celles-ci « ne devraient pas avoir à choisir, pendant leur congé de maternité, entre continuer à percevoir l’allocation de maternité ou y renoncer pour remplir leur mandat démocratique ». À noter que l’interdiction de travailler dans les huit semaines qui suivent l’accouchement (art. 35a al. 3 LTr) ne leur est pas applicable.

Quand bien même ces évolutions doivent être saluées, les réflexions qui précèdent devraient se poursuivre. Le système actuel, imposant aux mères de choisir entre congé maternité et activité lucrative alors que le second parent bénéficie le cas échéant d’un droit à l’allocation d’une brève durée (cf. art. 16k LAPG), contribue à ancrer les rôles familiaux traditionnels. La mère est ainsi placée obligatoirement dans le rôle de parent principal, ou « primary caregiver ». Si la mère effectue une tâche professionnelle ne rentrant pas dans la définition d’activité accessoire marginale avant la fin des 98 jours, elle perd son droit aux allocations de maternité alors que l’autre parent ne peut pas bénéficier d’une prolongation du droit à l’allocation. Sans que cela ne mène à affaiblir la protection du congé de maternité ou ne remette en question cet acquis social important, il conviendrait de poursuivre les réflexions engagées par la Commission des institutions politiques du Conseil des États concernant la réduction de l’allocation de maternité au prorata (cf. FF 2023 934, p. 8) ou, plus généralement, d’envisager des modèles plus flexibles et réalistes permettant de concilier au mieux carrière et vie familiale. Il est disproportionné aujourd’hui qu’une simple réponse à un courriel puisse mener à l’extinction totale du droit à l’allocation de maternité. Quid de la participation à une conférence par un personne experte dans un domaine, ou à une audience unique représentant l’aboutissement d’années de travail pour une avocate ? Une certaine flexibilité dans la modulation du congé de maternité – dans l’unique cas où cette flexibilité serait souhaitée – serait bienvenue. Il pourrait par exemple être permis aux bénéficiaires de décider, après un certain nombre de semaines, de poser certains jours de congé de maternité au moment où elles le souhaitent, à l’instar des jours de congé de l’autre parent qui ne doivent pas être pris de manière consécutive (cf. art. 16j al. 1 et 2 LAPG, selon lequel l’allocation à l’autre parent peut être perçue dans un délai-cadre de six mois dès la naissance de l’enfant ; cf. ég. art. 16k al. 3 et 4 LPAG, selon lequel le congé peut être pris sous la forme de semaines ou de journées). Comme le relevait Jean-Louis Duc en 2006 déjà, l’objectif de protection de l’enfant pourrait aussi être atteint en donnant la possibilité à la mère de bénéficier d’un congé de maternité à mi-temps (selon sa proposition : étalé sur 196 jours, soit deux fois 98 jours ; selon l’auteure après une certaine période de congé à temps plein, par ex. reflétant l’interdiction de travailler de huit semaines après l’accouchement de l’art. 35a al. 3 LTr). Dans le cas d’une reprise temporaire du travail, une renaissance du droit après la reprise du congé, sous déduction de la période perdue, pourrait également être envisagée. Nous rejoignons enfin cet auteur lorsqu’il affirme que « le principe du « tout ou rien » ne devrait pas avoir de place dans cette discussion » (cf. Jean-Louis Duc, Assurance-maternité, questions choisies in L’arbre de la méthode et ses fruits civils, Recueil de travaux en l’honneur du Professeur Suzette Sandoz, Piotet/Tappy [éd.], 2006, pp. 219-220; cf. ATF 139 V 250, c. 4.6). Des solutions comme celles qui sont précitées sont toutefois généralement rejetées, au motif notamment que « le congé-maternité ne doit pas seulement permettre à la mère de se reposer des fatigues de la grossesse et de l’accouchement, mais également lui permettre de disposer du temps nécessaire pour s’occuper intensément de son nouveau-né durant les premiers mois » (FF 2002 6998, p. 7021 ; cf. par ex. l’ATF 148 V 253, c. 6.2.1 – 6.2.3, rejetant toute discrimination fondée sur le sexe).

Ce travail a été soutenu par le Pôle de recherche universitaire « Human Reproduction Reloaded » de l’Université de Zurich.

Proposition de citation : Marie-Hélène Peter-Spiess, L’extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité suite à la reprise d’une activité lucrative, in: https://lawinside.ch/1505/