L’avocat/e et l’administration d’office d’une succession

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TF, 25.03.2024, 2C_164/2023*

Lorsque la fonction d’administrateur d’une succession est dévolue à un avocat en raison de son statut, ses activités à ce titre sont soumises à la LLCA. Par ailleurs, lors du prononcé d’une sanction disciplinaire, il doit être tenu compte des mesures prononcées mais radiées du registre en raison de l’écoulement du temps (cf. art. 20 LLCA).

Faits

L’office des successions (Erbschaftsamt  ; ci-après : l’ « Office ») du canton de Zoug désigne successivement un avocat comme exécuteur testamentaire puis administrateur d’une succession (art. 554 al. 2 CC).

En sa qualité d’exécuteur testamentaire et d’administrateur de la succession, l’avocat solde un compte bancaire du de cujus et transfère le solde (CHF 7’699.25) sur un compte de son étude. Il fait de même avec un avoir de la succession auprès d’une autre banque (EUR 9’807.70).

L’unique héritière de la succession verse un acompte de CHF 3’885 à l’avocat après le début de son mandat. Lorsque l’avocat lui transmet une facture de CHF 783 de la part de l’Office pour l’ouverture de la succession, l’héritière refuse de la régler, considérant que ces frais font partie de la succession. L’avocat informe l’Office qu’il ne dispose pas de fonds provenant de la succession pour payer la facture, qui devait donc être envoyée directement à l’héritière.

Malgré plusieurs rappels et nouveaux délais fixés par l’Office, l’avocat ne dépose pas de rapport final en tant qu’administrateur de la succession, que l’Office finit par clôturer. Par ailleurs, il n’entreprend aucune autre démarche en sa qualité d’exécuteur testamentaire, malgré les relances de l’héritière. En particulier, cette dernière impartit plusieurs fois des délais à l’avocat pour lui présenter un décompte des prestations liées à l’acompte qu’elle lui a versé, pour lui reverser les avoirs retirés des comptes du de cujus et pour mettre fin à son mandat, sans réponse.

En parallèle d’une plainte pénale, l’héritière saisit la Commission de surveillance des avocats du canton de Zoug (ci-après : la « Commission »). Cette dernière considère que l’avocat a enfreint l’art. 12 lit. a, lit. h et lit. i LLCA et prononce à son encontre une interdiction temporaire de pratiquer de quatre mois. L’avocat saisit l’Obergericht sans succès et porte l’affaire par-devant le Tribunal fédéral, qui doit en particulier déterminer si l’avocat administrateur d’office d’une succession est soumis à la LLCA.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que l’applicabilité de la LLCA à l’avocat dans sa fonction d’exécuteur testamentaire est incontestée. En revanche, la question se pose de savoir si l’activité d’administrateur d’office d’une succession exercée par un avocat tombe sous le coup de la LLCA.

Selon l’art. 2 al. 1 LLCA, la LLCA s’applique aux personnes titulaires d’un brevet d’avocat qui pratiquent, dans le cadre d’un monopole, la représentation en justice. Toutefois, en matière disciplinaire, une conception large de l’exercice de la profession d’avocat est retenue afin de protéger le public et de préserver la réputation et la dignité de la profession. L’activité lucrative des avocats relève ainsi du droit disciplinaire lorsqu’ils sont chargés d’une activité déterminée au regard de leurs compétences et connaissances particulières.

En l’espèce, il ressort des faits constatés par l’instance précédente que le recourant a été chargé, dans un contrat de mariage et de succession datant de 1999, d’être l’exécuteur testamentaire du défunt en raison de sa profession d’avocat, sans qu’il n’y ait une relation de confiance personnelle préalable entre les personnes concernées. C’est sur cette base que l’Office a nommé le recourant comme administrateur de la succession (cf. art. 554 al. 2 CC), considérant manifestement qu’il était apte à exercer cette fonction en raison de son activité d’avocat. Cette fonction d’administrateur de la succession est donc indirectement liée à la profession d’avocat du recourant et doit être soumise aux règles professionnelles applicables aux avocats.

Selon la LLCA, l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence (art. 12 lit. a LLCA), conserve séparément les avoirs qui lui sont confiés de son patrimoine (art. 12 lit. h LLCA) et, lorsqu’il accepte un mandat, informe son client des modalités de facturation et le renseigne périodiquement ou à sa demande sur le montant des honoraires dus (art. 12 lit. i LLCA).

Au regard des faits du cas d’espèce, le Tribunal fédéral considère que ces trois dispositions ont bien été violées, l’interprétation de l’instance inférieure devant être confirmée. Elle a par ailleurs suffisamment tenu compte d’une incapacité de travail de cinq mois du recourant, sur les onze concernés.

Enfin, la sanction prononcée, soit l’interdiction temporaire de pratiquer pendant quatre mois, est proportionnée et se justifie au regard des très nombreuses mesures disciplinaires antérieures dont le recourant a fait l’objet. Le Tribunal fédéral tranche ici également la question, encore controversée jusqu’alors, de savoir si les mesures disciplinaires radiées du registre cantonal des avocats (art. 20 LLCA) doivent être prises en compte dans la fixation de la sanction, en répondant par l’affirmative. Il précise toutefois que l’écoulement du temps doit jouer un rôle important dans la pesée des intérêts en cause.

En revanche, la publication de l’interdiction temporaire de pratiquer dans la feuille officielle cantonale (cf. §23 al. 1 lit. d EG BGFA ; loi zougoise d’application de la LLCA) est une sanction de droit cantonal contraire à la LLCA, exhaustive dans le domaine des mesures disciplinaires. Cette sanction n’est donc pas admissible au regard de la primauté du droit fédéral. Partant, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours.

Proposition de citation : Camille de Salis, L’avocat/e et l’administration d’office d’une succession, in : https://www.lawinside.ch/1439/