Compétence du tribunal de commerce et procédure applicable à des prétentions formées après la fin d’un bail

TF, 11.09.23, 4A_263/2023*

La procédure simplifiée n’est pas applicable, au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC, aux actions ayant pour objet des prétentions pécuniaires formées après la fin d’un bail, en dehors d’une procédure en consignation, en protection contre les loyers et fermages abusifs, en contestation de la résiliation ou en prolongation du bail.

Faits

Une société d’assurance loue des locaux commerciaux situés à Zurich à une grande enseigne de commerce de détail. Au terme de plusieurs procédures relatives à la fin du contrat de bail, sa reconduction, respectivement sa prolongation au-delà du mois de janvier 2014, la locataire restitue les locaux à la bailleresse en février 2020.

En septembre 2021, la bailleresse introduit une action devant le Handelsgericht de Zurich, concluant au paiement de 44’805’529 francs, correspondant à la différence entre les loyers qu’elle a effectivement perçus durant la période d’occupation litigieuse et la rémunération selon les conditions usuelles du marché pour les surfaces de vente. Par décision du 16 mars 2023, le Handelsgericht déclare la demande irrecevable, faute de compétence matérielle.

Sur recours de la bailleresse, le Tribunal fédéral est amené à déterminer la compétence du Handelsgericht à l’aune de sa jurisprudence relative à l’applicabilité de la procédure simplifiée aux affaires relevant du droit du bail.

Droit

La compétence matérielle du Handelsgericht repose principalement sur le caractère commercial de l’affaire en cause (cf. art. 6 al. 2 CPC), lequel est incontesté en l’espèce. Il convient néanmoins de prendre en compte l’art. 243 CPC. À la teneur de cette disposition, les affaires mentionnées à l’al. 2 sont soumises à la procédure simplifiée indépendamment de leur valeur litigieuse. Il s’agit notamment des litiges ayant pour objet la protection contre les congés ou la prolongation du bail (al. 2 let. c). Selon l’al. 3, la procédure simplifiée n’est pas applicable aux litiges pour lesquels une instance unique au sens des art. 5 et 8 CPC ou un tribunal de commerce au sens de l’art. 6 CPC est compétent. La jurisprudence considère toutefois que le type de procédure applicable prime la compétence matérielle du tribunal de commerce lorsque la cause relève de la procédure simplifiée au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC. Par conséquent, les litiges soumis à la procédure simplifiée sont exclus de la compétence du tribunal de commerce. La question de savoir si l’affaire en cause est soumise à la procédure simplifiée apparait ainsi déterminante.

Le Tribunal fédéral expose sa jurisprudence relative à la portée de l’art. 243 al. 2 let. c CPC et rappelle que la notion de « protection contre les congés » au sens de cette disposition doit être interprétée de manière large. En raison du but de protection du locataire de la procédure simplifiée et sa maxime inquisitoire sociale (cf. art. 247 al. 2 let. a CPC), il se justifie de traiter de la même manière les litiges portant sur l’inefficacité des congés que ceux relevant de la protection contre les congés stricto sensu (annulation du congé ou prolongation du bail) (ATF 142 III 402, c. 2 ; résumé in Lawinside.ch/288). Ainsi, la procédure simplifiée est applicable dès que le tribunal est amené à se prononcer sur la fin d’un bail, peu importe que ce soit en raison d’une résiliation ordinaire ou extraordinaire, de l’inexistence d’une relation contractuelle, de l’expiration d’un contrat à durée déterminée ou de la requalification d’un contrat de bail à durée déterminée en contrat de durée indéterminée (ATF 142 III 690, c. 3.1-3.2 ; résumé, in : Lawinside.ch/335).

Cette interprétation large de l’art. 243 al. 2 let. c CPC a été saluée en doctrine, certains auteurs déplorent néanmoins les difficultés de délimitation qu’elle suscite entre, d’une part, la notion de « protection contre les congés » au sens de la troisième section du huitième titre du Code des obligations et au sens de la disposition précitée d’autre part. En vertu de la révision du Code de procédure civile du 17 mars 2023, cette problématique de délimitation n’aura plus de portée dans la question de la compétence matérielle du tribunal de commerce, dans la mesure où l’art. 6 al. 2 let. d nCPC exclut les litiges relevant du droit du bail de sa compétence.

Le Handelsgericht s’est déclaré incompétent, au motif que la procédure simplifiée était applicable. Les procédures concernant les conséquences financières d’une prolongation ou d’une prolongation « à froid » (« Kalte Erstreckung ») pendante doivent être qualifiées de procédure de prolongation au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC. Il convient donc d’apprécier si la procédure a – directement ou indirectement – pour objet de déterminer la validité, voire la durée, d’un bail encore en cours.

En l’espèce, la bailleresse ayant introduit sa demande après la restitution des surfaces louées, la prolongation a pris fin et ses prétentions ne relèvent ni de la protection contre les congés, ni de la prolongation du bail au sens de l’art. 243 al. 2 let. c CPC. Partant, de telles prétentions financières ne sauraient faire l’objet d’une procédure simplifiée. Le Tribunal fédéral motive une telle solution par le fait que ni l’asymétrie entre les parties, ni l’urgence de l’affaire ne justifie l’application de la procédure simplifiée – et de la maxime inquisitoire sociale – à une telle cause indépendamment de sa valeur litigieuse.

Partant, le recours est admis et la cause est renvoyée Handelsgericht pour examen au fond de la cause.

Note

L’art. 6 al. 2 let. d nCPC, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025, prévoit que, pour être réputé commercial, un litige ne doit relever ni du droit du bail, ni du droit du travail. Cette modification intervient avant tout afin d’éviter d’exclure ces affaires de la compétence des tribunaux ordinaires ou des juridictions spéciales instituées par les cantons, notamment des tribunaux des baux et des tribunaux des prud’hommes (Message relatif à la modification du code de procédure civile suisse, FF 2020 2607, p. 2634). Une telle solution se justifie en particulier par le fait que de tels litiges emportent davantage d’intérêts sociaux que commerciaux. En conséquence, il convient de concentrer de telles procédures auprès des mêmes juridictions.

Outre les questions relatives à la compétence des tribunaux de commerce, la règle posée par cet arrêt concernant le type de procédure applicable devrait également s’appliquer sous le nouveau droit. Ainsi, l’interprétation de l’art. 243 al. 2 let. c CPC devrait guider les tribunaux ordinaires ou les tribunaux des baux et des prud’hommes dans la détermination du type de procédure applicable (cf. Koller, Die mietrechtliche Rechtsprechung des Bundesgerichts im Jahr 2022, in RJB 159/2023 p. 240 s.).

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, Compétence du tribunal de commerce et procédure applicable à des prétentions formées après la fin d’un bail, in: https://lawinside.ch/1380/