Le droit de préemption en cas de copropriété et de droit de superficie

ATF 146 III 217 |  TF, 08.01.19, 5A_127/2019*

Pour rendre un droit de préemption caduc, un droit de préemption « de même rang ou de rang préférable » selon l’art. 681 al. 2 CC doit exister au moment de la conclusion du contrat donnant naissance au cas de préemption. L’acquéreur d’un droit de superficie et de parts de PPE qui, au moment de la conclusion du contrat, n’est pas inscrit en tant que copropriétaire au registre foncier, n’est pas titulaire d’un droit de préemption sur le droit de superficie. Ainsi, l’art. 681 al. 2 CC ne trouve pas application et le propriétaire existant d’une part de PPE bénéficie d’un droit de préemption sur le droit de superficie.

Faits

Une société est propriétaire d’un bien-fonds sur lequel elle établit un droit de superficie distinct et permanent. Ce droit est immatriculé au registre foncier. Sur le bien-fonds grevé du droit de superficie se trouve une propriété par étages (PPE) de 32 parts.

Par contrat de vente du 9 juin 2011, la société vend le droit de superficie ainsi que 27 parts de PPE à une autre société (la société acquéreuse). Celle-ci est inscrite comme propriétaire du droit de superficie et des 27 parts de PPE au registre foncier le 7 juillet 2011.

Ayant été informé de la conclusion du contrat de vente le jour suivant l’inscription de la société acquéreuse au registre foncier, un propriétaire d’une part de PPE (le propriétaire) déclare exercer son droit de préemption légal sur le droit de superficie. La société acquéreuse conteste ce droit.

Le propriétaire actionne la société acquéreuse et conclut entre autres à ce que l’existence de son droit de préemption soit constatée et à ce que la société acquéreuse soit condamnée à lui transférer la propriété du droit de superficie.

Débouté par la première instance cantonale, le propriétaire voit son appel admis et la cause est renvoyée à l’instance précédente. La société acquéreuse recourt alors au Tribunal fédéral qui doit déterminer si le propriétaire bénéficie d’un droit de préemption sur le droit de superficie. Il s’agit en particulier de déterminer le moment auquel doit exister le droit de préemption « de même rang ou de rang préférable » aux termes de l’art. 681 al. 2 CC.

Droit

S’agissant de la recevabilité, le Tribunal fédéral qualifie la décision attaquée de décision incidente au sens de l’art. 93 al. 1 LTF. Constatant que plusieurs expertises judiciaires ont été requises dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral considère que l’admission du recours permettrait d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. Les conditions de l’art. 93 al. 1 lit. b LTF étant remplies, le Tribunal fédéral peut entrer en matière.

Selon l’art. 681 al. 2 CC, le droit de préemption est caduc lorsque l’immeuble est aliéné à une personne qui est titulaire d’un droit de préemption de même rang ou de rang préférable.

La question objet du présent arrêt est celle de savoir à quel moment le droit de préemption « de même rang ou de rang préférable » de l’acquéreur doit exister pour que le droit de préemption du propriétaire devienne caduc. Selon une interprétation littérale, le droit de préemption devrait exister au moment où l’immeuble est aliéné à l’acquéreur.

L’aliénation peut correspondre au moment de la conclusion du contrat de vente ou au moment de l’inscription au registre foncier. Dans le cas d’espèce, la société acquéreuse ne bénéficiait pas d’un droit de préemption lors de la conclusion du contrat de vente en juin 2011, dès lors qu’elle n’était pas encore inscrite au registre foncier à ce moment-là. C’est seulement avec l’inscription au registre foncier en juillet 2011 que la société acquéreuse est devenue copropriétaire et ainsi titulaire du droit de préemption.

Le Tribunal fédéral considère que la réponse à cette question peut être trouvée au moyen d’une interprétation historique des art. 681 al. 2 et 682 al. 1 CC.

L’art. 681 al. 2 CC reprend le principe de l’art. 682 al. 1 CC selon lequel le droit de préemption du copropriétaire peut uniquement être exercé lorsqu’une part est aliénée à un acquéreur qui n’est pas copropriétaire. D’après la doctrine et la jurisprudence, le cas de préemption de l’ancien art. 682 al. 1 CC survenait au moment de la conclusion du contrat de vente (Verpflichtungsgeschäft). La jurisprudence a également clarifié que seul l’acquéreur qui est déjà copropriétaire (et donc valablement inscrit au registre foncier à la suite du Verfügungsgeschäft) bénéficie d’un droit de préemption. Le Tribunal fédéral ne voit aucune raison d’octroyer un droit de préemption à celui qui, en vertu d’un contrat de vente, ne dispose que d’une prétention contractuelle au transfert d’une part de copropriété. Le droit de préemption nécessite donc l’existence d’un lien réel avec la chose. De ce fait, l’acquéreur qui à la survenance d’un cas de préemption n’est pas inscrit comme copropriétaire au registre foncier, ne bénéficie pas d’un droit de préemption. Le droit de préemption de même rang ou de rang préférable selon l’art. 681 al. 2 CC doit exister au moment de la conclusion du contrat, à défaut de quoi le copropriétaire peut exercer son droit de préemption contre l’acquéreur d’une part de copropriété qui n’est pas encore inscrit au registre foncier.

Ce raisonnement est corroboré par le but que poursuivent les droits de préemption légaux. Dans les cas de la copropriété et du droit de superficie, le droit de préemption vise un double objectif. D’une part, il favorise la conversion de la copropriété en propriété exclusive et, d’autre part, il sert à éviter qu’un tiers indésirable n’entre dans la relation juridique. Si l’inscription au registre foncier était le moment déterminant auquel doit exister le « droit de préemption de même rang ou de rang préférable », le tiers serait déjà partie à la relation juridique dès lors qu’il serait déjà propriétaire. Le droit de préemption serait alors d’emblée sans objet, ce qui n’est pas soutenable.

En l’espèce, l’acquisition du droit de superficie ainsi que de 27 des 32 parts de copropriété du bien-fonds grevé du droit de superficie par la société acquéreuse a entraîné la survenance du cas de préemption. Lors du moment déterminant, à savoir la conclusion du contrat de vente entre la société venderesse et la société acquéreuse, cette dernière n’était pas encore titulaire d’un droit de préemption légal de même rang ou de rang préférable dès lors qu’elle n’était pas encore inscrite au registre foncier en tant que propriétaire du droit de superficie et des 27 parts de PPE. Partant, le propriétaire était titulaire d’un droit de préemption légal sur le droit de superficie.

Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours de la société acquéreuse.

Proposition de citation : Noé Luisoni, Le droit de préemption en cas de copropriété et de droit de superficie, in: https://lawinside.ch/964/