Bostock v. Clayton County: La protection des minorités sexuelles dans le monde du travail
U.S. Supreme Court: Bostock v. Clayton County, 590 U.S. ___ (2020)
La Cour Suprême des États-Unis retient que le Titre VII du Civil Rights Act de 1964 interdit à tout employeur-euse de discriminer ses employé-e-s en raison de leur orientation sexuelle ou d’un changement de genre. En effet, il est impossible de discriminer une personne en raison du fait qu’elle est homosexuelle ou transgenre sans discriminer cette personne en raison de son sexe, ce qui est précisément interdit par le Civil Rights Act.
Faits
Dans l’État de Géorgie, Gerald Bostock est licencié car la société qui l’emploie apprend qu’il fait partie d’une League amateur gay de softball. Dans l’État de New York, Donald Zarda est licencié pour des raisons similaires. Enfin, dans l’État du Michigan, Aimee Stephens est licenciée car, alors qu’elle s’était présentée comme étant un homme lorsqu’elle a été embauchée, elle annonce à la société qui l’emploie qu’elle souhaite poursuivre sa vie en tant que femme.
Les trois employé-e-s entreprennent chacun-e-s une action civile contre leurs employeuses respectives pour violation du Titre VII du Civil Rights Act. Les trois procédures atteignent la Cour Suprême des États-Unis, laquelle les joint. Elle doit se prononcer sur la question de savoir si le Titre VII du Civil Rights Act édicté en 1964 par le Congrès interdit à un-e employeur-euse de discriminer ses employé-e-s en raison de leur orientation sexuelle ou de leur changement de genre.
Droit
Le §2000 e-2 (1) du Titre VII du Civil Rights Act dispose que « [i]t shall be an unlawful employment practice for an employer […] to discriminate against any individual […] because of such individual’s […] sex ». La Cour Suprême est amenée à interpréter cette norme et en particulier les termes « because of sex » afin de déterminer si cette norme protège également les homosexuel-le-s et les personnes transgenres.
Sous la plume d’un de ses juges les plus conservateurs (Justice Gorsuch, lequel a été nommé par le Président Trump pour remplacer Justice Scalia, qui lui-même est considéré comme l’un des juges les plus conservateurs de l’histoire de cette institution), la Cour Suprême des États-Unis offre l’analyse suivante :
Justice Gorsuch commence par rappeler qu’il a coutume d’adopter une méthodologie interprétative essentiellement littérale:
« This Court normally interprets a statute in accord with the ordinary public meaning of its terms at the time of its enactment. After all, only the words on the page constitute the law adopted by Congress and approved by the President. If judges could add to, remodel, update, or detract from old statutory terms inspired only by extratextual sources and our own imaginations, we would risk amending statutes outside the legislative process reserved for the people’s representatives« .
Justice Gorsuch explique alors que le terme « sexe » du §2000 e-2 se réfère à la distinction biologique entre femmes et hommes. Partant, on ne saurait faire correspondre le terme « sexe » aux termes « orientation sexuelle » ou « changement de genre ».
Ensuite, il interprète les termes « à cause de » (because of) et estime qu’ils signifient également « en raison de ». Il en déduit que le « sexe » d’une personne doit être une cause de la discrimination mais ne doit pas nécessairement être la seule cause de cette discrimination. Il ressort de cette interprétation littérale qu’un-e employeur-euse viole le Titre VII du Civil Rights Act lorsqu’il-elle licencie un-e employé-e notamment à cause de son sexe.
Justice Gorsuch continue ensuite avec ce qui constitue probablement le cœur de son argumentation. Il considère qu’il est impossible de discriminer une personne en raison du fait qu’elle est homosexuelle ou transgenre sans discriminer cette personne en raison de son sexe. À l’appui de cette position, il offre l’exemple suivant : Imaginons deux employés, tous deux attirés par les hommes. Aux yeux de la société qui les emploie, ces deux employés sont en tous points identiques à l’exception près que l’un d’entre eux est un homme alors que l’autre est une femme. Si l’employeuse licencie l’employé de sexe masculin au seul motif qu’il est attiré par les hommes, elle le pénalise pour des raisons qu’elle accepte lorsqu’il s’agit de son employée de sexe féminin. L’employeuse choisit donc de licencier un employé en se fondant (en partie) sur son sexe et ce faisant viole le §2000 e-2 (1) du Titre VII du Civil Rights Act. Dans le même ordre d’idée, imaginons la même employeuse qui licencie une personne transgenre laquelle s’est identifiée comme homme à la naissance mais s’identifie maintenant comme femme. Admettons maintenant que cette même employeuse ne licencie pas une autre employée, en tous points identiques à la première, à la différence qu’elle s’est toujours identifiée comme femme. En licenciant une personne s’identifiant comme homme à la naissance pour des caractéristiques qu’elle accepte chez une employée s’identifiant comme femme à la naissance, l’employeuse discrimine en raison du sexe et viole ainsi le 2000 e-2 (1) du Titre VII du Civil Rights Act.
Justice Gorsuch répond ensuite à une partie des arguments soulevés dans les dissenting opinions.
Il exclut d’abord l’interprétation du mot « discriminer » proposée par Justice Alito, selon laquelle il n’y aurait une discrimination que lorsqu’un groupe de personne (et non un individu) est traité différemment. Selon Justice Alito, le Titre VII préconiserait d’observer comment une mesure affecte les femmes dans leur ensemble par rapport aux hommes dans leur ensemble et non une femme individuellement par rapport au reste des employés. Justice Gorsuch considère qu’une telle interprétation mènerait à des résultats absurdes. En effet, admettons qu’un employeur licencie une femme car celle-ci aurait refusé ses avances sexuelles. L’employeur ne peut pas se défendre en argumentant que, bien qu’il ait traité cette femme plus mal qu’il n’aurait traité un homme, il accorde de manière générale un traitement préférentiel à l’ensemble de ses employées de sexe féminin. Justice Gorsuch explique que l’employeur doit alors être tenu responsable d’avoir réservé à cette femme un traitement inéquitable en partie à cause de son sexe. Dans le même ordre d’idée, une société ne pourrait pas se réfugier derrière le fait qu’elle discriminerait à la fois les hommes et les femmes en raison de leur sexe. Si elle licenciait une femme parce qu’elle n’est pas assez féminine et un homme parce qu’il n’est pas assez masculin, elle mettrait le groupe des hommes et des femmes sur un pied d’égalité. Il n’en demeure pas moins que dans ces deux cas, l’employeuse licencierait deux individus en partie en raison de leur sexe et violerait ainsi le Titre VII du Civil Rights Act.
Ensuite, Justice Gorsuch répond à l’argument de Justice Kavanaugh selon lequel, lorsque le sens littéral d’un mot s’écarte de son sens ordinaire, c’est ce dernier qui devrait prévaloir. Justice Gorsuch reconnaît que dans une discussion ordinaire, une personne homosexuelle qui se serait fait licencier à cause de son orientation sexuelle ne dirait pas « j’ai été licenciée en raison de mon sexe » mais expliquerait « j’ai été licenciée en raison de mon orientation sexuelle ». Partant, le sens ordinaire du mot « sexe » n’équivaut pas à « orientation sexuelle » ou « changement de genre ». Cela étant dit, Justice Gorsuch relève que ce n’est pas ce genre de sens commun qui doit contrôler le travail de la Cour. En effet, alors que dans une conversation de tous les jours un-e employé-e licencié-e ne mentionnera le plus souvent à ses interlocuteurs que la cause principale ou directe de son licenciement, la Cour est pour sa part amenée à identifier si le sexe (dans son sens biologique) a joué un quelconque rôle causal dans la mesure prise par l’employeur. Comme vu précédemment, il n’y a nul besoin que le sexe soit la cause principale du licenciement.
Enfin, Justice Gorsuch répond à l’argument de Justice Kavanaugh selon lequel, depuis l’entrée en vigueur du Civil Rights Act en 1964, le Congrès n’a jamais inscrit dans le Titre VII une interdiction de discriminer en raison de l’orientation sexuelle, alors qu’il l’a fait dans d’autres lois. Il s’agirait donc d’un silence qualifié du législateur et la Cour ne saurait l’ignorer. Justice Gorsuch explique alors :
“Those who adopted the Civil Rights Act might not have anticipated their work would lead to this particular result. Likely, they weren’t thinking about many of the Act’s consequences that have become apparent over the years, including its prohibition against discrimination on the basis of motherhood or its ban on the sexual harassment of male employees. But the limits of the drafters’ imagination supply no reason to ignore the law’s demands. When the express terms of a statute give us one answer and extratextual considerations suggest another, it’s no contest. Only the written word is the law, and all persons are entitled to its benefit”.
Et Justice Gorsuch de conclure:
“Judges are not free to overlook plain statutory commands on the strength of nothing more than suppositions about intentions or guesswork about expectations. In Title VII, Congress adopted broad language making it illegal for an employer to rely on an employee’s sex when deciding to fire that employee. We do not hesitate to recognize today a necessary consequence of that legislative choice: An employer who fires an individual merely for being gay or transgender defies the law”.
Partant, par six voix (Gorsuch, Roberts, Ginsburg, Breyer, Sotomayor et Kagan) contre trois (Alito, Thomas, Kavanaugh), la Cour Suprême des États-Unis donne une suite favorable aux actions intentées par les trois employé-e-s.
Note
Dans l’ATF 145 II 153 (résumé in LawInside.ch/752), le Tribunal fédéral a été amené à trancher une affaire presque identique à celle tranchée par la Cour Suprême des États-Unis. Le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la question de savoir si une discrimination en raison de l’orientation sexuelle pouvait constituer une discrimination selon l’art. 3 LEg. Tout comme le §2000 e-2 (1) du Titre VII du Civil Right Act, l’art. 3 al. 1 LEg interdit en effet de discriminer les travailleur-euse-s en raison du sexe.
De façon similaire à la Cour Suprême des États-Unis, sur la base d’une interprétation historique de la loi, le Tribunal fédéral avait alors considéré que le terme « sexe » correspond à la distinction biologique entre femmes et hommes. Partant, selon le Tribunal fédéral, une discrimination selon l’art. 3 LEg existe lorsque le fait d’être traité différemment repose sur l’appartenance à un sexe déterminé ou sur un critère qui ne peut être rempli que par un homme ou une femme.
Cependant, et contrairement à la Cour Suprême des États-Unis, le Tribunal fédéral avait finalement retenu qu’une discrimination en raison de l’orientation sexuelle ne pouvait pas constituer une discrimination au sens de l’art. 3 LEg. En effet, l’homosexualité concernant tant les hommes que les femmes, une discrimination ne se fonde pas sur l’appartenance à un sexe déterminé ou sur un critère qui ne peut être rempli que par un homme ou une femme.
Amené à interpréter un texte légal identique au §2000 e-2 (1) du Titre VII du Civil Rights Act et selon une méthodologie semblable à celle utilisée par la Cour Suprême des États-Unis, le Tribunal fédéral est cependant arrivé à une conclusion diamétralement opposée. Quant à son résultat, la position du Tribunal fédéral se trouve être plus conservatrice que celle d’un des juges les plus conservateurs de la Cour Suprême des États-Unis.
Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, Bostock v. Clayton County: La protection des minorités sexuelles dans le monde du travail, in: https://lawinside.ch/925/