L’acte exécuté sans droit pour un Etat étranger (271 CP) et l’erreur sur l’illicéité (21 CP)
Si une personne a le sentiment que son comportement envisagé est contraire à la loi, elle ne peut être mise au bénéfice de l’erreur sur l’illicéité (art. 21 CP). Lorsque l’auteur vérifie au préalable la licéité de son comportement auprès d’un avocat, il ne peut s’appuyer sur son avis que si l’avocat dispose des faits de l’affaire dont il est saisi et que s’il a examiné tous les aspects juridiques.
Faits
Dans le cadre du conflit fiscal entre la Suisse et les États-Unis, une société de gestion de fortune constate qu’un certain nombre de ses clients ne sont pas déclarés auprès du fisc américain. Le président du conseil d’administration de la société s’annonce auprès du Department of Justice américain, lequel veut les noms des clients, mais refuse de déposer une demande d’assistance administrative ou judiciaire.
Avant de remettre les noms des clients au DoJ, le président du conseil administration de la société vérifie la légalité de sa démarche auprès d’une étude d’avocats. Ayant encore quelques doutes sur la légalité, il demande également un avis de droit à un professeur et à une juriste. L’avis de droit affirme que la transmission de données peut être justifiée “dans tous les cas” par l’état de nécessité licite (art. 17 CP) et par l’état de nécessité excusable (art. 18 al. 2 CP).
Fort de ces constats, le président du conseil d’administration de la société se rend aux États-Unis et transmet une clé USB qui contient les noms des clients, via une étude d’avocat, au DoJ en vue d’un Non Prosecution Agreement, sans être au bénéfice d’une autorisation au sens de l’art. 271 ch. 1 CP.
Le MPC ouvre une procédure à l’encontre du président pour violation de l’art. 271 CP. Il le condamne à 160 jours-amende à CHF 1’650 par ordonnance pénale, contre laquelle le prévenu forme opposition. Le Tribunal pénal fédéral acquitte le prévenu puisque ce dernier n’aurait pas reconnu, au moins dans le sens d’un dol éventuel, avoir commis un acte illégal pour un État étranger (arrêt du TPF SK.2017.64, résumé in : LawInside.ch/646).
Saisi d’un recours déposé par le MPC, le Tribunal fédéral est amené à préciser la distinction entre l’erreur sur les faits et l’erreur sur l’illicéité.
Droit
L’art. 271 al. 1 ch. 1 CP prévoit que celui qui, sans y être autorisé, aura procédé sur le territoire suisse pour un État étranger à des actes qui relèvent des pouvoirs publics sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire et, dans les cas graves, d’une peine privative de liberté d’un an au moins.
Le Tribunal pénal fédéral a considéré que la conscience de l’illicéité constituait un élément subjectif de l’art. 271 al. 1 ch. 1 CP. Or, l’erreur de droit ne s’interprète pas en fonction de la théorie dite de l’intention, mais découle de la théorie de la culpabilité. Selon cette seconde théorie, la conscience de l’illicéité est un élément de culpabilité indépendant et dissocié de l’intention. Dès lors, c’est à tort que l’instance précédente a analysé la conscience de l’illicéité comme élément subjectif de l’infraction reprochée. Il convient dès lors d’examiner si le prévenu a commis une erreur sur les faits (art. 13 al. 1 CP) ou une erreur sur l’illicéité (art. 21 CP).
L’art. 13 al. 1 CP prévoit que quiconque agit sous l’influence d’une appréciation erronée des faits est jugé d’après cette appréciation si elle lui est favorable. L’erreur sur les faits se distingue de l’erreur sur l’illicéité prévue par l’art. 21 CP. Selon cette disposition, quiconque ne sait ni ne peut savoir au moment d’agir que son comportement est illicite n’agit pas de manière coupable. La distinction entre ces deux erreurs ne dépend pas du fait que l’idée fausse concerne une question de droit ou des faits non juridiques. Au contraire, non seulement l’erreur sur les caractéristiques descriptives, mais aussi l’idée fausse sur les éléments constitutifs de nature juridique, sont considérés comme une erreur de fait et non comme une erreur sur l’illicéité.
En l’espèce, le prévenu avait correctement compris la notion de remise de données bancaires. Sa présomption erronée selon laquelle il avait néanmoins le droit de remettre les données clients au DoJ n’affecte donc pas son intention et ne peut au mieux que justifier une erreur sur l’illicéité.
Il y a erreur sur l’illicéité au sens de l’art. 21 CP si l’auteur n’a pas conscience de l’illicéité alors qu’il est conscient des faits qui constituent l’illicéité. Pour exclure une erreur sur l’illicéité, il suffit d’avoir le sentiment que le comportement envisagé est contraire à la loi. Si des informations sont obtenues auprès d’un avocat, il faut tenir compte du fait que l’auteur ne peut s’appuyer sur ces informations que si l’avocat disposait des faits de l’affaire dont il était saisi et que s’il a examiné dans son expertise tous les aspects juridiques. Si des questions juridiques sont débattues, l’auteur ne peut pas simplement se fier à l’avis juridique qui lui est favorable.
En l’espèce, l’avis de l’étude d’avocat n’excluait expressément pas une violation de l’art. 271 CP dans la remise des données clients au DoJ. Le prévenu a d’ailleurs demandé d’autres avis de droit. Il envisageait ainsi l’illicéité de son comportement.
Concernant l’avis de droit, le prévenu, qui disposait d’une formation de juriste, ne pouvait pas s’appuyer à la légère sur cet avis qui lui était favorable. De plus, l’avis se fondait sur l’existence d’une situation urgente menaçant l’existence de sa société, alors que tel n’était pas le cas. Le Tribunal fédéral considère ainsi que les deux avis de droits ambigus auraient incité toute personne consciencieuse – compte tenu également des intérêts en jeu – à être prudente et à procéder à de plus amples vérifications. La renommée des deux experts n’y change rien.
Partant, le prévenu ne pouvait qu’espérer que ses actes ne fussent pas constitutifs d’un comportement pénalement répréhensible. Son erreur était ainsi évitable.
Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours du MPC et renvoie la cause à l’instance précédente afin qu’elle juge le comportement reproché au prévenu.
Note
Dans un commentaire de l’arrêt rendu par le TPF, Katia Villard avait précisément critiqué, d’un point de vue dogmatique, le raisonnement du Tribunal pénal fédéral, lequel ne s’était pas fondé sur l’art. 21 CP, mais sur l’élément subjectif de l’art. 271 al. 1 ch. 1 CP afin d’acquitter le prévenu (Katia Villard, cdbf.ch/1022). L’arrêt résumé ci-dessus lui donne ainsi raison en rappelant brièvement la distinction entre la théorie dite de l’intention et la théorie de la culpabilité afin de déterminer s’il existe une erreur sur l’illicéité.
A noter qu’une thèse consacrée à l’art. 271 CP vient d’être publiée (Mc Gough Yolanda, Verbotene Handlungen für einen fremden Staat – Eine Analyse des Straftatbestands nach Art. 271 Strafgesetzbuch, thèse, Zurich 2018). Celle-ci traite également de la question de l’erreur sur l’illicéité en relation avec l’art. 271 CP (N 453 ss).
Suite à cet arrêt, la Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral a rendu l’arrêt CA.2019.6 du 5 décembre 2019.
Proposition de citation : Célian Hirsch, L’acte exécuté sans droit pour un Etat étranger (271 CP) et l’erreur sur l’illicéité (21 CP), in: https://lawinside.ch/693/
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