L’envoi d’un dispositif avant la décision motivée en procédure d’appel et la rectification du jugement
Faits
Deux époux intentent une procédure de divorce. Le tribunal de première instance liquide le régime matrimonial et les deux époux déposent un appel contre ce jugement. Le Tribunal cantonal rend sa décision et communique, dans un premier temps, uniquement le dispositif du jugement. Trois mois après, il envoie ensuite la décision motivée. Celle-ci diffère cependant du dispositif. L’épouse saisit le Tribunal fédéral qui doit déterminer si une autorité peut, en procédure d’appel, notifier le dispositif sans la motivation et à quelles conditions elle peut ensuite le corriger.
Droit
En procédure de première instance, l’art. 239 CPC permet à l’autorité de communiquer sa décision sans la motivation. En procédure d’appel, l’art. 318 al. 2 CPC prévoit que « l’instance d’appel communique sa décision aux parties avec une motivation écrite ». Si cette disposition oblige l’autorité à rendre une décision motivée sans qu’une des parties le réclame, elle ne dit encore rien sur la possibilité de communiquer un dispositif avant le jugement motivé.
A cet égard, le Tribunal fédéral relève que les travaux préparatoires du CPC n’ont pas exclu la communication d’un dispositif séparé avant la décision motivée. La motivation obligatoire des jugements en procédure d’appel dans le but d’assurer une cohésion de la jurisprudence et un contrôle des décisions par le Tribunal fédéral ne s’oppose pas à l’envoi d’un dispositif avant le jugement entièrement rédigé. Sur ce point, le Tribunal cantonal n’a donc pas violé le droit.
Dans sa jurisprudence relative aux décisions de première instance (cf. art. 239 CPC), le Tribunal fédéral considère que la remise écrite d’un dispositif vaut communication de la décision et que cette dernière n’est pas reportée jusqu’à l’envoi du jugement motivé (ATF 137 III 127 consid. 2). Il doit en aller de même en procédure d’appel. Par contre, le Tribunal fédéral précise qu’à l’instar des décisions de première instance, les dispositifs qui ne sont pas motivés n’ont pas de caractère exécutoire, sous réserve d’éventuelles sûretés. Dans le cas d’espèce, le Tribunal cantonal était donc lié par sa décision dès qu’il a envoyé le dispositif de la décision.
En vertu du principe de dessaisissement, le juge ne peut alors plus corriger sa décision. Seul un recours peut rectifier une erreur de fait ou de droit. L’art. 334 CPC prévoit toutefois la rectification du jugement qui permet uniquement de corriger une erreur de rédaction ou de pures fautes de calcul dans le dispositif, comme une opération erronée (addition ou lieu d’une soustraction ou une fausse addition). De telles erreurs doivent résulter à l’évidence du texte de la décision, sous peine de la modifier matériellement.
Dans le cas présent, l’autorité n’a pas seulement commis une erreur de plume. En effet, la différence entre le dispositif et le jugement rédigé provient du sort d’une créance au titre de liquidation du régime matrimonial résultant du partage d’un bien en copropriété. Le Tribunal fédéral souligne que l‘attribution de ce montant faisait partie du raisonnement juridique de l’autorité précédente qui ne pouvait donc pas corriger le dispositif au moyen de la rectification. Partant, le Tribunal fédéral admet la violation de l’art. 334 CPC.
Le Tribunal fédéral constate ensuite qu’il ne peut pas réformer le dispositif, car la motivation complète du jugement n’explique pas le résultat ressortant du dispositif qui liait l’autorité. Il qualifie le manquement du Tribunal cantonal d’erreur procédurale particulièrement grave (Justizpanne) et lui renvoie l’affaire pour nouvelle décision.
Proposition de citation : Julien Francey, L’envoi d’un dispositif avant la décision motivée en procédure d’appel et la rectification du jugement, in: https://lawinside.ch/340/