La demande de renseignements concernant une société détenue par un contribuable
Faits
En 2012, les autorités fiscales françaises ont adressé à l’Administration fédérale des contributions (ci-après : l’AFC) une demande d’assistance administrative en matière fiscale au sujet d’un contribuable français en vue d’obtenir des informations sur une société suisse dont celui-ci serait l’unique actionnaire et à qui il aurait transféré en 2009 la propriété sur des marques. Selon la demande, le contribuable ne déclarait plus de revenu résultant de l’exploitation de ces marques depuis le transfert. Les autorités requérantes souhaitaient dès lors connaître l’assujettissement de la société, le taux d’impôt appliqué en 2010, le montant de l’impôt payé, l’activité exercée, les ressources matérielles et humaines, ainsi que les versements effectués au contribuable.
Après avoir obtenu ces informations, l’AFC a décidé de les transmettre. Suite à un recours de la société, le Tribunal administratif fédéral (ci-après : le TAF) a partiellement annulé la décision et exclu la transmission des informations de la société concernant la situation de celle-ci (activité, nombre d’employés, locaux). L’AFC interjette en conséquence un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, qui doit déterminer si la transmission des informations concernant la situation propre de la société contrevient au droit interne suisse (art. 28 par. 3 CDI CH-F).
Droit
Selon la Convention de double imposition entre la Suisse et la France, les autorités fiscales s’échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer la Convention ou la législation fiscale interne (art. 28 par. 1 1ère phrase CDI CH-F). L’art. 28 par. 3 let. c CDI CH-F réserve cependant le droit interne suisse en précisant que l’Etat requis n’est pas obligé de fournir des renseignements qui ne pourraient pas être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre Etat contractant, soit des renseignements allant au-delà de ceux dont disposent les autorités fiscales ou de ceux dont celles-ci peuvent obtenir par application de la procédure normale d’établissement de l’impôt.
Le Tribunal fédéral doit premièrement déterminer si la société suisse représente une personne concernée par la demande de renseignements, afin de savoir si elle peut être tenue de fournir à l’AFC les renseignements requis. La jurisprudence considère que des informations sur une société potentiellement pertinentes pour l’imposition du contribuable visé par la taxation constituent des renseignements vraisemblablement pertinents. En l’espèce, la société est entièrement détenue par le contribuable, qui l’a fondée. Les renseignements requis visent à déterminer si elle dispose d’une existence réelle. Partant, elle est concernée par la demande et tenue de transmettre tous les renseignements requis vraisemblablement pertinents en sa possession, sous réserve de l’art. 28 par. 3 CDI CH-F.
Dans un second temps, le Tribunal fédéral doit examiner si les renseignements transmis par l’AFC auraient pu être obtenus par application de la procédure interne, c’est-à-dire en application de la LIFD. La LIFD distingue entre les obligations de procédure du contribuable (art. 123 – 126 LIFD) et celles des tiers (art. 127 – 129 LIFD). Le contribuable a une obligation générale de collaboration (art. 126 al. 1 LIFD) alors que les tiers ne sont tenus de fournir que des informations relatives au contribuable qui fait l’objet d’une procédure. Selon la jurisprudence, l’obligation du contribuable s’étend également à la fourniture de renseignements pertinents pour la taxation de ses partenaires en affaires, à condition que cela puisse présenter de l’importance pour sa propre taxation, et ce même si le but principal de la demande de l’autorité fiscale concerne la situation fiscale de ses partenaires en affaires. Tel est notamment le cas en présence d’une situation de Durchgriff, où l’autorité attribue fiscalement le revenu d’une personne morale dont l’existence procède d’une construction abusive au propriétaire économique de celle-ci. Dans ce cas, la taxation de toutes les personnes concernées, y compris de la personne morale, est affectée par la « réattribution fiscale » du revenu. L’autorité fiscale peut donc requérir de la société contribuable des renseignements en vertu de l’art. 126 al. 1 LIFD, même si le motif principal de la demande vise une autre personne.
En l’espèce, les renseignements requis sur la société suisse visent à établir si celle-ci a une existence réelle ou représente une structure artificielle justifiant un Durchgriff. Or, si une telle construction est reconnue, la taxation de la société serait affectée, puisque ses revenus seraient fiscalement réattribués à son actionnaire unique, en l’espèce le contribuable français. En vertu du droit interne, la société suisse aurait donc été tenue de communiquer ces informations sur la base de l’art. 126 LIFD. Partant, l’AFC n’a pas violé l’art. 28 par. 3 CDI CH-F en décidant de transmettre les informations relatives à la société elle-même.
Le recours est admis et la décision réformée dans le sens où les informations peuvent être transmises aux autorités françaises.
Note
Le TAF a également exclu la transmission du taux et de la quotité d’impôt payé par la société au motif que ces renseignements n’étaient pas vraisemblablement pertinents. Ce point n’a pas été attaqué par l’AFC, raison pour laquelle le Tribunal fédéral ne l’a pas examiné.
Sur la notion de pertinence vraisemblable, cf. Simone Schürch, www.lawinside.ch/185/
Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, La demande de renseignements concernant une société détenue par un contribuable, in: https://lawinside.ch/208/