La responsabilité de l’institution indépendante de l’administration (art. 19 al. 1 LRCF)
TF, 29.07.2025, 2C_416/2024, 2C_417/2024*
La responsabilité d’une institution indépendante de l’administration ordinaire au sens de l’art. 19 al. 1 LRCF suppose que celle-ci agisse, en vertu d’une base légale suffisante, en tant que délégataire d’une tâche de droit public de la Confédération. L’art. 19 LRCF ne s’applique pas lorsque l’entité ne fait que participer à l’exécution de cette tâche en tant qu’auxiliaire.
Faits
Un requérant d’asile, hébergé dans un centre fédéral d’asile, décède. Les proches du défunt forment auprès du Département fédéral des finances (DFF) une action en responsabilité. Ils réclament des dommages-intérêts ainsi qu’une indemnité, faisant valoir que les collaborateurs du centre fédéral d’asile n’ont pas prodigué les soins requis, alors même que la pathologie cardiaque du défunt était connue.
Le DFF transmet la cause à la société de droit privé exploitant le centre fédéral d’asile. Il estime que l’exploitante du centre est compétente pour rendre une décision en matière de responsabilité en lien avec le comportement de ses collaborateurs. Par décision, l’avocat mandaté par l’exploitante du centre ouvre la procédure en responsabilité et ordonne qu’elle soit menée par ses soins. Les proches du défunt contestent sans succès cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral.
Ils forment alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si la société exploitant le centre fédéral d’asile est compétente pour mener la procédure en responsabilité.
Droit
L’art. 19 al. 1 let. a LRCF prévoit qu’une institution indépendante de l’administration ordinaire, chargée par la Confédération d’exécuter des tâches de droit public, répond du dommage causé à un tiers par l’un de ses organes ou employés dans l’exercice de ses activités. Selon l’art. 19 al. 3 LRCF, l’institution statue sur les réclamations contestées de tiers qui sont dirigées contre elle.
Les entités responsables selon l’art. 19 LRCF sont des organisations extérieures à l’administration fédérale ordinaire. Il peut s’agir d’organisations de droit privé. L’application de l’art. 19 LRCF suppose que l’organisation extérieure se voie confier une tâche de droit public de la Confédération. Cette disposition ne s’applique pas lorsque la Confédération fait appel à des particuliers pour des activités auxiliaires dans l’accomplissement de ses tâches. Dans ce cas, la Confédération demeure responsable. L’art. 19 LRCF présuppose donc que l’organisation externe agit en tant qu’administration, et non pas pour le compte de l’administration. Enfin, le fait de confier une tâche de droit public selon l’art. 19 LRCF est soumis à la réserve de la loi selon l’art. 178 al. 3 Cst. Il faut ainsi une base légale formelle suffisamment précise prévoyant la délégation de la tâche publique en cause.
En l’espèce, l’exploitante du centre fédéral d’asile est une organisation externe à l’administration fédérale qui accomplit une tâche de droit public. Elle assure en effet l’hébergement et l’encadrement des requérants d’asile. À ce propos, il reste à déterminer si l’exploitante agit en tant que délégataire d’une tâche de droit public ou en tant que simple auxiliaire.
L’hébergement des requérants d’asile relève de la compétence de la Confédération. Il appartient au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) de gérer les centres fédéraux pour requérants d’asile (cf. art. 24 al. 1 et 3 LAsi). Le SEM peut confier à des tiers des tâches visant à assurer le fonctionnement des centres (art. 24b al. 1 LAsi). À cet égard, la collaboration entre le SEM et l’exploitante du centre repose sur un accord-cadre, conclu sur la base de l’art. 24b LAsi. Cet accord prévoit les prestations d’assistance fournies dans les centres fédéraux.
Après une analyse des rapports entre le SEM et l’exploitante du centre, le Tribunal fédéral constate que les prestations fournies comprennent principalement des tâches administratives liées à l’hébergement et l’encadrement des requérants. Ces prestations doivent être fournies selon les prescriptions du SEM. L’exploitante du centre ne dispose que d’une marge de manœuvre très limitée dans l’exécution de ses prestations.
Dans ces circonstances, l’exploitante du centre ne fournit que des prestations d’assistance à l’administration, en participant à l’accomplissement d’une tâche de droit public qui incombe au SEM. Cette tâche n’est donc pas confiée à l’exploitante du centre, de sorte que l’art. 19 LRCF ne s’applique pas, et ce indépendamment de l’existence d’une base légale suffisante.
Par conséquent, l’exploitante du centre n’est ni une entité responsable au sens de la LRCF, ni compétente pour mener une procédure en responsabilité. La Confédération répond directement.
Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et transmet la cause au DFF.
Note
Dans une autre affaire, le Tribunal fédéral a retenu que Securitas SA s’était vue confier une tâche relevant de la puissance publique en assurant des prestations de sécurité et d’ordre dans les centres pour requérants d’asile (cf. ATF 148 II 218, consid. 4.3, résumé in : LawInside.ch/1227). À l’inverse de la délégation comme en l’espèce de tâches administratives en matière d’hébergement et d’encadrement, l’externalisation de tâches de police liées à la sécurité doit reposer sur une base légale formelle suffisamment précise (cf. art. 178 al. 3 Cst.). Dès lors qu’une telle base légale fait défaut, Securitas SA ne pouvait répondre du dommage selon l’art. 19 LRCF. La Confédération demeure donc également dans ce cas le sujet direct de la responsabilité (cf. ATF 148 II 218, consid. 5 et 6, résumé in : LawInside.ch/1227).
Proposition de citation : Tobias Sievert, La responsabilité de l’institution indépendante de l’administration (art. 19 al. 1 LRCF), in: https://lawinside.ch/1661/




