La destitution d’un·e juge à la suite d’une dénonciation manifestement infondée visant un·e collègue
La destitution d’un·e juge, prévue en tant que sanction disciplinaire par le droit cantonal, n’est pas arbitraire lorsque le·la juge a, par son comportement, porté atteinte à la dignité de la magistrature (art. 80 al. 1 lit. g LOG/TI). En l’espèce, le juge avait dénoncé son collègue, président du Tribunal, pour pornographie (art. 197 CP), en ne pouvant ignorer que la plainte était infondée.
Faits
En octobre 2020, le Grand Conseil tessinois élit un nouveau juge au Tribunal pénal cantonal (le Tribunal), composé de cinq juges.
En avril 2024, le président et deux juges signalent au Conseil de la magistrature une situation difficile avec leurs deux autres collègues, ce qui compromettrait le bon fonctionnement du Tribunal. Le Conseil de la magistrature ouvre une procédure disciplinaire à l’encontre des deux juges dénoncés et tente une conciliation entre les cinq juges.
En juin 2024, dans le cadre d’une procédure disciplinaire pendante à l’encontre du président, une secrétaire du Tribunal transmet au Conseil de la magistrature une photo qu’il lui avait envoyée antérieurement. Celle-ci montre une femme assise sur un banc entre deux grandes statues de forme phallique, portant l’inscription « Ufficio penale ».
En juillet 2024, les deux juges précédemment dénoncés déposent plainte contre les trois autres pour diffamation, calomnie et, à l’encontre du président du Tribunal, pour pornographie (art. 197 CP) en lien avec la photo envoyée à la secrétaire. L’affaire est largement reprise par les médias tessinois.
En septembre 2024, une nouvelle procédure disciplinaire est ouverte contre les deux juges dénoncés à l’origine. Il leur est en particulier reproché d’avoir dénoncé, sans fondement, le délit infamant de pornographie à l’encontre du président du Tribunal.
En décembre 2024, le Conseil de la magistrature prononce la destitution avec effet immédiat des deux juges. Le juge le plus fraîchement élu saisit la Commission de recours de la magistrature, sans succès. Il exerce ensuite un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui doit déterminer si le droit cantonal a été appliqué de manière arbitraire s’agissant de la destitution du juge.
Droit
Selon l’art. 80 al. 1 lit. g de la Legge sull’organizzazione giudiziaria tessinoise (LOG/TI), le Conseil de la magistrature peut prononcer la destitution d’un magistrat si celui-ci manque à ses devoirs dans l’exercice de ses fonctions ou si, par son comportement, il porte atteinte à la dignité de la magistrature.
En l’espèce, le motif invoqué pour justifier la destitution du juge est le dépôt d’une plainte pénale pour pornographie (art. 197 CP) à l’encontre du président du Tribunal. Il s’agit donc de déterminer s’il était arbitraire de considérer que cette dénonciation par le juge justifiait sa destitution, en particulier alors que les faits reprochés au président faisaient déjà l’objet d’une procédure disciplinaire.
Dans sa décision de destitution, le Conseil de la magistrature estime que le juge a déposé plainte contre le président pour un délit infamant, tout en sachant qu’il n’existait pas de fondement. Son but était de discréditer le président dans l’opinion publique, auprès des autorités politiques et de ses collègues pour l’avoir lui-même dénoncé. Ce faisant, il savait pertinemment que cela nuirait à l’image de la magistrature dans son ensemble. Pour le Conseil de la magistrature, le juge a agi au mépris des devoirs fondamentaux de tout magistrat et en violation de la relation de confiance devant nouer les autorités au public. Cela justifie sa destitution avec effet immédiat, ce qu’a ensuite confirmé la Commission de recours de la magistrature.
Cette analyse ne prête pas le flanc à la critique. À juste titre, l’autorité précédente a estimé que le recourant, en tant que magistrat actif dans le domaine pénal, ne pouvait ignorer que la photographie litigieuse ne constituait manifestement pas de la pornographie au sens de l’art. 197 CP. Dès lors, il ne pouvait qu’être conscient que cette plainte infondée ne ferait que jeter de l’huile sur le feu dans un environnement de travail déjà très perturbé par de graves conflits interpersonnels.
Enfin, au moment du dépôt de la plainte, le président faisait déjà l’objet d’une procédure disciplinaire pour les mêmes faits. Or, plutôt que de faire preuve de la réserve et de la prudence qui s’impose aux magistrats s’agissant d’une procédure en cours, le juge a au contraire aggravé le conflit en déposant une plainte pénale manifestement infondée sur le plan juridique et destinée à créer un grand retentissement médiatique.
S’agissant enfin de la proportionnalité, la sanction n’a pas pour but de punir l’auteur pour la faute commise, mais d’assurer le bon fonctionnement de l’institution à laquelle il appartient. Or, dans les circonstances du cas, il n’était pas arbitraire de considérer que la destitution du juge était la seule sanction susceptible de rétablir un climat de confiance au sein du Tribunal.
Le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Camille de Salis, La destitution d’un·e juge à la suite d’une dénonciation manifestement infondée visant un·e collègue, in: https://lawinside.ch/1633/