Le salaire minimum genevois et l’exception applicable aux stagiaires
Il n’est pas arbitraire de considérer qu’un employeur ne peut pas se contenter de se prévaloir de sa « longue tradition » à encadrer des stagiaires, sans fournir d’autres éléments en lien avec les prétendus stages, pour prouver que les employés concernés échappent à l’exception au salaire minimum genevois prévue par l’art. 39J lit. b LIRT/GE.
Faits
En juin 2022, l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail du canton de Genève s’adresse à une société anonyme dans le cadre d’un contrôle systématique du respect du salaire minimum. Il lui demande notamment la transmission des contrats de l’ensemble du personnel depuis le 1er janvier 2020 et tout autre renseignement utile en lien avec le système de rémunération et d’enregistrement de la durée du travail.
En janvier 2023, l’Office informe la société que, sur la base des documents remis, elle ne respectait pas le salaire minimum institué par la Loi genevoise sur l’inspection et les relations de travail (LIRT) à l’égard de plusieurs employés, en particulier ceux qui étaient engagés avec des contrats intitulés « stage formation » ou « temporaires ». En effet, les informations fournies dans le cadre du contrôle ne permettent pas à l’Office de constater que l’exception au salaire minimum applicable aux stagiaires serait remplie dans ces cas.
Dès lors, l’Office demande à la société de corriger les salaires des employés concernés avec effet rétroactif au mois de novembre 2020, soit depuis qu’un salaire minimum est applicable à Genève. En sus, il attire son attention sur le fait qu’elle est passible d’une amende administrative pouvant s’élever jusqu’à CHF 30’000 (art. 39N LIRT). Après plusieurs échanges, l’Office adresse un ultime avertissement à la société, qui maintient s’être conformée à ses obligations et avoir fourni tous les justificatifs nécessaires.
Par décision du 4 septembre 2023, l’Office inflige à la société une amende administrative de CHF 27’400, réservant les procédures de contrôle et de mise en conformité au droit public. La Chambre administrative de la Cour de justice genevoise admet partiellement le recours de la société s’agissant du montant de l’amende et la réduit à CHF 25’000. La société saisit le Tribunal fédéral, qui doit déterminer si la Cour de justice a appliqué l’art. 39J lit. b LIRT de manière arbitraire.
Droit
D’après l’art. 39I LIRT, les relations de travail des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton sont soumises aux dispositions du chapitre IVB de la LIRT, intitulé « Salaire minimum ».
Se pose ensuite la question de l’application de l’art. 39J lit. b LIRT. Selon cet article, les dispositions du chapitre IVB ne sont en particulier pas applicables aux contrats de stage s’inscrivant dans une formation scolaire ou professionnelle prévue dans la législation cantonale ou fédérale.
Selon la Cour de justice, la recourante n’a pas démontré l’existence de stages de formation exemptés du salaire minimum au sens de l’art. 39J lit. b LIRT.
Dans sa version actuellement en vigueur, l’art. 56E al. 1 du Règlement d’application de la LIRT (RIRT) précise que les contrats de stage au sens de l’art. 39J lit. b LIRT sont déterminés par le conseil de surveillance du marché de l’emploi (Conseil de surveillance), statuant à l’unanimité.
En l’espèce, comme le prévoit l’art. 56E al. 3 RIRT, la Cour de justice s’est appuyée sur les critères propres aux stages et aux dispositifs assimilés sur le site Internet de l’Etat de Genève, publiés sous forme de directives émanant du conseil de surveillance.
Compte tenu du fait que la société n’a fourni aucun élément qui permettait de considérer que les personnes désignées comme stagiaires durant la période considérée effectuaient bien un stage comme partie intégrante de leur formation, la Cour de justice n’a pas appliqué le droit cantonal de manière insoutenable en considérant que la société ne pouvait pas se prévaloir de l’exception de l’art. 39J lit. b LIRT.
La société invoque enfin la protection de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst. et 9 Cst.), arguant avoir une « longue tradition » dans la formation et l’encadrement de stagiaires et avoir toujours été convaincue d’agir conformément au droit.
La société n’a aucun droit au maintien de la situation antérieure à la mise en place du salaire minimum à Genève. En tant qu’employeuse, il lui revenait de se mettre en conformité avec la législation en vigueur dès le 1er novembre 2020, étant encore précisé que l’Office lui avait donné plusieurs fois l’occasion de remédier à la situation.
Enfin, les griefs de la société s’agissant du montant de l’amende infligée sont infondés, eu égard en particulier à la gravité de l’infraction en question. Le montant de la sous-enchère salariale s’élève en effet à CHF 471’691 pour 23 employés concernés sur les 67 de la société, et ce pendant une période de deux ans. Il n’y a ni arbitraire ni violation de l’égalité de traitement dans la fixation du montant de l’amende. Le recours est rejeté.
Proposition de citation : Camille de Salis, Le salaire minimum genevois et l’exception applicable aux stagiaires, in: https://lawinside.ch/1604/