Art. 223 CP : l’explosion n’est pas une condition objective de punissabilité
L’explosion est un élément constitutif objectif de l’infraction prévue à l’art. 223 CP, et pas une condition objective de punissabilité. Une tentative peut donc être donnée lorsque l’explosion ne se produit pas (art. 223 cum 22 al. 1 CP). Le fait de retenir une tentative d’explosion plutôt qu’un crime impossible (art. 22 al. 1 CP) n’a pas d’incidence sur la faculté du juge d’atténuer la peine.
Faits
Une restauratrice exploite un restaurant dans des locaux loués. Après la fermeture de l’établissement pour des raisons financières, elle tente de vendre son fonds de commerce. Lors d’une visite sur place avec la restauratrice et des tiers, une acquéreuse potentielle revient sur un accord préalablement conclu et déchire le texte du contrat.
Furieuse, la restauratrice s’empare d’une bonbonne de gaz derrière le bar et bloque la porte de l’établissement. Elle tente d’ouvrir la vanne de la bonbonne, un briquet allumé à la main, en s’exclamant que puisqu’elle s’apprête à tout perdre, elle va tout faire sauter. Des personnes présentes parviennent à la maîtriser.
Suite à cet évènement, le Tribunal de première instance de La Côte condamne notamment la restauratrice pour tentative d’explosion. Son appel ayant été rejeté par le Tribunal cantonal, elle introduit un premier recours en matière pénale au Tribunal fédéral, qui admet le recours pour défaut d’examen d’un grief soulevé en appel et renvoie la cause à l’instance précédente. Statuant sur renvoi, le Tribunal cantonal vaudois modifie le dispositif du jugement de première instance et condamne la restauratrice pour crime impossible d’explosion. La restauratrice forme un nouveau recours en matière pénale au Tribunal fédéral.
Droit
L’infraction prévue à l’art. 223 CP requiert une explosion (c’est-à-dire une libération d’énergie de pression à effet destructeur) entraînant une mise en danger de la vie ou de l’intégrité corporelle de personnes ou de la propriété d’autrui. L’infraction est consommée dès que l’explosion a lieu et que les biens juridiques protégés sont mis en danger. D’un point de vue subjectif, l’intention doit porter tant sur la provocation d’une explosion que sur le fait d’entrainer sciemment l’une des conséquences envisagées par la loi.
Le Tribunal fédéral est amené à déterminer si l’explosion doit être considérée comme une condition objective de punissabilité, ainsi que le soutient la restauratrice. Il rappelle que la condition objective de punissabilité n’est pas un élément constitutif objectif ou subjectif, mais a pour fonction de limiter les poursuites pénales aux cas où un résultat dommageable s’est réellement produit. Elle pose une limite en-dessous de laquelle un comportement n’est pas assez grave pour être puni. A défaut, l’infraction est exclue et il n’est pas non plus possible de retenir une tentative.
Toutefois, Le Tribunal fédéral relève que la provocation de l’explosion constitue un élément constitutif objectif de l’infraction et que l’intention doit précisément porter sur sa survenance, ce qui exclut qu’il s’agisse d’une condition objective de punissabilité. Rien n’indique par ailleurs que le législateur ait souhaité limiter les poursuites pénales aux cas où une explosion survient (cf. FF 1918 IV 1,52). Une tentative d’explosion peut donc entrer en considération lorsque l’évènement dommageable ne se produit pas.
Le Tribunal fédéral se penche ensuite sur le degré de réalisation de l’infraction et sur la punissabilité de la restauratrice.
Il y a tentative au sens de l’art. 22 al. 1 CP lorsque l’auteur a réalisé tous les éléments subjectifs de l’infraction et manifesté sa décision de la commettre, alors que les éléments objectifs font défaut en tout ou en partie. Le seuil de la tentative est franchi lorsque l’auteur a réalisé un élément constitutif objectif de l’infraction. L’auteur n’est en revanche pas punissable si, par grave défaut d’intelligence, il ne s’est pas rendu compte que la consommation de l’infraction était absolument impossible en raison de la nature de l’objet visé ou du moyen utilisé (art. 22 al. 2 CP). Dans un tel cas, l’impossibilité doit être d’emblée reconnaissable pour toute personne de bon sens.
En l’espèce, la restauratrice a accompli tous les actes qui étaient, selon sa représentation de la situation, propres à mener inéluctablement à une explosion de la bonbonne de gaz. Même si aucune explosion n’est survenue, la consommation de l’infraction n’était pas manifestement impossible, tant à l’aune du moyen utilisé que du critère lié au caractère reconnaissable pour toute personne sensée. Dès lors, l’infraction n’était pas absolument impossible au sens de l’art. 22 al. 2 CP, de sorte que la restauratrice est punissable.
Contrairement au Tribunal cantonal, le Tribunal fédéral considère en outre que c’est une tentative inachevée et non un crime impossible qui aurait dû être retenu. Cette qualification est toutefois sans portée pratique, puisque le juge a la faculté d’atténuer la peine dans toutes les hypothèses visées à l’art. 22 al. 1 CP. La restauratrice ne dispose donc d’aucun intérêt juridique à l’annulation du jugement attaqué.
Pour ces raisons, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Yoann Stettler, Art. 223 CP : l’explosion n’est pas une condition objective de punissabilité, in: https://lawinside.ch/1566/