L’exigence du ménage commun en cas d’adoption d’une personne majeure

TF, 13.11.2024, 5A_885/2023*

L’adoption d’une personne majeure fondée sur l’éducation et les soins fournis durant sa minorité (art. 266 al. 1 ch. 2 CC) ne requiert pas une cohabitation ininterrompue. En particulier, lorsqu’un enfant de parents divorcés partage son temps entre deux foyers, il peut former « ménage commun » avec son beau-parent.  

Faits 

Les père et mère d’un enfant, né en 1975, divorcent en 1977. La garde de ce dernier est attribuée à sa mère.  

Dès 1984, le père vit en ménage commun avec sa nouvelle partenaire, avec laquelle il se mariera en 1993. L’enfant passe régulièrement du temps à leur foyer. En particulier, il séjourne chez eux un week-end sur deux, ainsi qu’une partie des vacances.  

En 1991, l’enfant, alors âgé de 16 ans, part à l’étranger pour se former à la maçonnerie durant trois ans. À son retour, il s’installe dans la résidence secondaire de son père. Sa mère biologique décède en 2014.  

En 2022, la belle-mère dépose une requête auprès de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève en vue d’adopter son beau-fils, lequel consent à la démarche. La Chambre civile rejette la requête, décision confirmée en appel par la Chambre de surveillance. La belle-mère saisit alors le Tribunal fédéral, qui doit examiner si la condition du ménage commun est réalisée.   

Droit 

L’art. 266 al. 1 CC permet la création d’un lien de filiation entre deux personnes majeures en présence de justes motifs. Ces derniers peuvent résulter des soins dispensés par l’adoptant à l’adopté en raison d’une infirmité (ch. 1), de l’éducation et des soins offerts par ce premier à ce dernier durant sa minorité (ch. 2) ou «d’autres justes motifs» démontrant une relation affective forte (ch. 3).  

Le texte légal ne pose l’exigence d’un ménage commun, d’une durée d’un an au moins, entre adoptant et adopté qu’en lien avec le ch. 3. Doctrine et jurisprudence ont toutefois étendu cette condition aux autres hypothèses (ch. 1-2). Cela étant, son interprétation peut varier selon le motif de l’adoption.  

Au sens strict, la notion de ménage commun suppose que les personnes concernées vivent sous le même toit et mangent à la même table sans interruption notable. Or, elle a principalement été développée en relation avec l’art. 266 al. 1 ch. 3 CC. Elle doit donc être relativisée en relation avec le ch. 2 CC. Sur la base de cette disposition, l’intensité du lien entre l’adoptant et l’adopté est inhérente au rôle qu’assigne le motif même de l’adoption. En effet, lorsqu’un adoptant a pris en charge un enfant durant sa minorité en assurant son éducation et ses besoins affectifs et matériels, le lien parental se crée au fil du temps, indépendamment d’une cohabitation ininterrompue sous le même toit. Un enfant de parents divorcés peut alterner entre deux foyers et nouer une relation forte avec le conjoint de son parent sans que cette alternance remette en cause l’existence d’un véritable cadre éducatif.  

Partant, lorsque le droit aux relations personnelles est effectivement exercé de manière régulière, l’enfant forme avec le parent n’ayant pas le droit de garde une communauté analogue à celle avec son parent gardien. Son quotidien s’organise alors entre ces deux foyers. 

Par ailleurs, il convient de modérer l’exigence liée au caractère récent du ménage commun. Le critère de la persistance des liens des intéressés au moment de la demande apparaît prédominant.  

En l’espèce, l’adoption repose sur l’éducation et les soins fournis durant la minorité de l’adopté (art. 266 al. 1 ch. 2 CC). Pendant près de sept ans, le beau-fils a passé un week-end sur deux et une partie de ses vacances au foyer de son père et sa belle-mère. Il n’est donc pas exclu que la belle-mère ait contribué à l’éducation et au bien-être affectif de l’enfant. Or, la Cour de justice a rejeté le recours en raison de l’absence d’une cohabitation ininterrompue, sans examiner ni le rôle effectif de la belle-mère dans l’éducation de son beau-fils, ni la relation actuelle qu’elle entretient avec lui. Par conséquent, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie l’affaire à la Cour de justice. 

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, L’exigence du ménage commun en cas d’adoption d’une personne majeure, in: https://lawinside.ch/1557/