Le recours contre les décisions et ordonnances visées par l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC

TF, 19.02.2025, 4A_623/2024*

Lorsque le recours est prévu par la loi au sens de l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC, la décision notifiée de manière indépendante contre laquelle une partie ne recourt pas ne peut plus être contestée par les voies de droit ouvertes contre la décision finale.

Faits

Une société anonyme accorde un prêt à un particulier. Ce dernier ne paie plus les mensualités convenues, si bien que la société prêteuse ouvre action contre lui pour recouvrer la somme restante.

Le Bezirksgericht zurichois accorde la mainlevée provisoire à hauteur de CHF 25’031, intérêts en sus. Le poursuivi intente une action en libération de dette. Par décision du 12 août 2022, le Bezirksgericht rejette sa demande d’assistance judiciaire, motif pris que la cause est dépourvue de chances de succès. Le demandeur ne recourt pas contre cette décision. Par jugement du 8 avril 2024, le Bezirksgericht rejette l’action au fond.

Le demandeur saisit l’Obergericht, demandant notamment l’annulation de la décision du 12 août 2022 et l’octroi de l’assistance judiciaire pour la procédure de première instance. L’Obergericht n’entre pas en matière sur son recours contre la décision du 12 août 2022, le considérant comme tardif.

Par le biais d’un recours en matière civile, subsidiairement par un recours constitutionnel subsidiaire, le demandeur saisit le Tribunal fédéral. Ce dernier doit déterminer si le rejet de l’assistance judiciaire peut encore être contesté a posteriori avec la décision finale de première instance.

Droit

La valeur litigieuse minimale de CHF 30’000 pour le recours en matière civile n’étant pas atteinte (art. 74 al. 1 lit. b LTF), le Tribunal fédéral commence par s’interroger sur l’existence d’une question juridique de principe dans le cas d’espèce. En effet, selon l’art. 74 al. 2 lit. a LTF, même lorsque la valeur litigieuse minimale n’est pas atteinte, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe.

Il y a question juridique de principe lorsqu’il existe un intérêt général et urgent à ce qu’une question litigieuse soit clarifiée par le Tribunal fédéral, afin de parvenir à une application et à une interprétation uniformes du droit fédéral et d’éliminer une insécurité juridique importante. La notion de question juridique de principe doit être interprétée respectivement. En particulier, si la question soulevée ne concerne que l’application de principes jurisprudentiels à un cas concret, il ne s’agit pas d’une question juridique de principe.

Savoir si le rejet de l’assistance judiciaire peut encore être contesté en attaquant la décision finale est certes une question importante de procédure civile, mais le Tribunal fédéral n’y voit pas une question juridique de principe. En conséquence, il traite le recours comme un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 LTF). Le recourant fait valoir que l’instance précédente aurait violé les art. 29 Cst et 6 § 1 CEDH en refusant d’entrer en matière sur son recours relatif à l’assistance judiciaire. Selon lui, cet élément devrait pouvoir être contesté encore avec la décision finale.

L’art. 319 lit. b ch. 1 CPC prévoit la recevabilité des recours contre les « autres décisions et ordonnances d’instruction de première instance » dans les cas prévus par la loi (décisions dites qualifiées ou « qualifiziert »). Lorsque la loi ne prévoit pas de recours contre ces autres décisions et ordonnances de première instance, il n’est recevable qu’en cas de préjudice difficilement réparable, en application de l’art. 319 lit. b ch. 2 CPC (décisions dites simples ou ordinaires, ou « einfach » ou « gewöhnlich »).

Selon l’art. 121 CPC, les décisions refusant ou retirant totalement ou partiellement l’assistance judiciaire peuvent faire l’objet d’un recours. Il s’agit donc d’un cas d’application de l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC, puisque le recours est prévu par la loi. La condition du préjudice difficilement réparable n’a dès lors pas à être remplie.

Le Tribunal fédéral relève que, s’agissant de la question qui l’occupe, la doctrine est partagée. Selon l’opinion majoritaire, il y aurait alors une obligation de recours dans le délai de dix jours prévu par l’art. 321 al. 2 CPC, sous peine de forclusion. À l’inverse, d’autres soulignent que la loi n’exclut pas expressément la possibilité de contester ultérieurement les « autres décisions et ordonnances d’instruction de première instance » avec la décision finale, comme elle le fait par exemple à l’art. 237 al. 2 CPC pour les décisions incidentes.

Le Tribunal fédéral se rallie à la doctrine majoritaire. Selon lui, la possibilité de recours prévue par la loi doit être considérée implicitement comme une incombance (« Anfechtungsobliegenheit », c. 2.2.3). Dans les cas des recours prévus par la loi, une contestation ultérieure ne serait pas appropriée, respectivement ne servirait pas l’économie de la procédure.

On peut donc attendre des parties qu’elles fassent usage de cette possibilité de recours dans le délai et selon le principe de la bonne foi (art. 52 CPC), faute de quoi il faut supposer qu’elles acceptent la décision. Par ailleurs, une obligation générale de recours s’agissant des décisions qualifiées au sens de l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC, indépendamment de la contestation de la décision finale, sert également la sécurité juridique.

Il découle de ce qui précède que l’Obergericht n’a pas violé le droit fédéral en considérant le recours contre la décision de rejet de l’assistance judiciaire comme tardif. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Camille de Salis, Le recours contre les décisions et ordonnances visées par l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC, in: https://lawinside.ch/1555/