L’établissement des faits comme activité typique de l’avocat·e
L’établissement de faits en lien avec des litiges pendants ou imminents relève de l’activité typique de l’avocat·e. Par conséquent, cette activité est couverte par le secret professionnel. En outre, la remise, même volontaire, d’informations à une autorité tierce – in casu la FINMA – en vertu d’une obligation de collaborer, ne saurait faire perdre le caractère secret de celles-ci.
Faits
Dans le cadre d’une procédure pénale pour concurrence déloyale, le Ministère public zurichois soupçonne un employé d’avoir donné aux investisseurs des indications trompeuses, voire inexactes, quant au profil de risque et aux perspectives d’un fonds d’investissement.
Il requiert de la banque la remise d’un rapport d’enquête interne effectuée par une étude d’avocat. Ce rapport porte notamment sur l’employé et a d’ailleurs déjà été communiqué à la FINMA dans le cadre d’une procédure d’enforcement.
La société fournit ces documents au Ministère public et exige leur mise sous scellés. Le Bezirksgericht de Zurich rejette la demande de levée des scellés du Ministère public. Ce dernier recourt contre cette décision au Tribunal fédéral, lequel doit trancher la question de savoir si le rapport d’enquête est couvert par le secret professionnel de l’avocat.
Droit
Afin de déterminer si le rapport d’enquête pouvait être valablement séquestré, deux questions se posent. D’abord, il y a lieu de déterminer si – et dans quelle mesure – celui-ci est protégé par le secret professionnel de l’avocat. Cela suppose, d’une part, de savoir si l’établissement des faits constitue une activité typique de la profession d’avocat et, d’autre part, de préciser l’étendue de la protection accordée le cas échéant. Enfin, il sied de déterminer si la transmission du rapport à un tiers – in casu la FINMA – annihile le caractère secret de celui-ci.
À la teneur de l’art. 264 al. 1 let. d CPP, les objets et documents portant sur des contacts entre l’avocat et une autre personne ne peuvent être séquestrés. Sont protégées par le secret de l’avocat les informations lui étant confiées dans le cadre de son activité typique. Dès lors qu’une gestion diligente du mandat suppose, outre l’examen de la situation juridique, l’établissement des faits pertinents, celui-ci relève de l’activité typique. Cependant, les tâches relevant de la compliance, ou de la surveillance, constituent des activités atypiques.
Par ailleurs, le fait que les services d’enquête interne ne soient pas exclusivement offerts par des avocats n’y change rien. En effet, la notion d’activité typique – et donc protégée par le secret – est plus large que la stricte représentation en justice, laquelle bénéficie du monopole de l’avocat (cf. art. 2 al. 1 LLCA). La question pertinente est bien plus celle de savoir si la délégation des tâches d’investigations internes à une étude élude les prescriptions légales de documentation, notamment celles en matière de blanchiment d’argent.
En l’espèce, l’étude était chargée d’établir les faits pertinents en vue d’éventuels litiges imminents ou pendants dont elle assumait le conseil et la représentation. Par conséquent, cette activité est typique et bénéficie du secret professionnel.
Ensuite, il y a lieu de définir l’étendue du secret professionnel. En particulier, se pose la question de savoir si les documents annexés au rapport d’enquête bénéficient également d’une protection, dès lors qu’ils constituent des preuves dites « préexistantes ».
Au sens de l’art. 264 al. 1 CPP, la notion de contacts de l’avocat couvre tout ce qui est introduit dans la relation de confiance entre l’avocat et son client. Ainsi, tant les documents détenus par l’avocat que ceux reçus de la part de ce dernier par le mandant sont protégés. Cependant, les pièces détenues par le client ne sont pas couvertes par le secret professionnel du seul fait qu’elles ont fait l’objet de discussions avec l’avocat ou qu’une copie lui en a été délivrée. En outre, le fait de remettre des moyens de preuves à un avocat dans le seul but de les dissimuler constitue un abus de droit. Ces moyens peuvent donc être saisis le cas échéant.
En l’espèce, il y a lieu de distinguer l’ensemble des données remises à l’étude en vue d’être analysées d’une part et le résultat de l’analyse d’autre part. Seul celui-ci est protégé dès lors qu’il constitue le résultat de l’activité de l’étude. Par conséquent, l’ensemble du rapport d’enquête et ses annexes est couvert par le secret professionnel. À l’inverse, les documents, sur lesquels se base l’enquête interne, peuvent être saisis auprès de la banque, nonobstant qu’ils aient été annexés au rapport d’enquête.
Enfin, la question se pose de savoir si le rapport d’enquête a perdu son caractère secret par sa remise à la FINMA. Le caractère secret d’une information présuppose une double condition : D’un point de vue objectif, le fait ne doit être connu que d’un cercle restreint de personnes. De plus, il ne doit pas être notoire ou généralement accessible. D’un point de vue subjectif, le maître du secret doit avoir un intérêt à ce qu’il ne soit pas révélé ou, à tout le moins, une volonté correspondante.
La divulgation d’un fait à un tiers ne suffit pas nécessairement à lui faire perdre son caractère secret. En effet, une divulgation volontaire à des tiers déterminés n’implique pas que le maître du secret souhaite rendre l’information largement accessible, ni qu’il se défasse de son intérêt ou de sa volonté de la garder secrète.
À l’inverse d’une communication volontaire à un tiers quelconque, à la partie adverse, ou à une autorité judiciaire, la remise d’informations à la FINMA a eu lieu dans le cadre d’une obligation de collaborer découlant du droit de la surveillance. Ainsi, quand bien même la communication aurait été volontaire, elle ne tiendrait pas en échec le caractère secret du rapport d’enquête. Cette conclusion est d’autant plus vraie que la FINMA est elle-même soumise au secret de fonction. En vertu de ce dernier, elle peut refuser de transmettre des informations aux autorités de poursuite pénales en certaines circonstances (cf. art. 40 LFINMA).
Partant, le recours est rejeté.
Note
Cet arrêt appelle deux remarques :
1. La qualification des enquêtes internes indépendantes
Le Tribunal fédéral réserve expressément la question de savoir si des mandats qui se bornent à l’établissement des faits, à l’exclusion de prestation juridique, ou des enquêtes internes complexes, en particulier lorsqu’elles comprennent des entretiens approfondis avec les employés de l’entreprise, peuvent être qualifiés de manière générale d’activités typiques de l’avocat. Cependant, en disposant que « [c]e qui est déterminant dans la constellation à évaluer en l’espèce est plutôt de savoir si les obligations de documentation et de conservation prescrites par la loi sont contournées en les déléguant à une étude d’avocats » (c. 3.3, traduction libre), l’arrêt laisse apparaître une réponse en filigrane. Ainsi, l’établissement des faits pourrait constituer une activité typique de la profession d’avocat, si tant est que son contenu ne se recoupe pas avec une obligation légale du client correspondante. La portée de la question doit toutefois être relativisée du fait que les services d’investigations internes offerts par des avocats seront souvent connexes à une procédure pendante ou imminente.
2. La distinction entre le caractère secret des informations et l’obligation de collaborer du tiers
La question de la perte du caractère secret d’informations communiquées à un tiers doit être distinguée de celle de savoir si celui-ci peut être tenu de témoigner. En effet, lorsque des informations sont volontairement communiquées à un tiers, elles quittent la relation de confiance entre l’avocat et son client, couverte par le secret professionnel. Elles peuvent ainsi être obtenues aux mains du tiers (cf. c. 5.2).
La question pertinente est celle de savoir si une telle communication constitue une renonciation à la protection du secret professionnel. Le cas échéant, les informations ne seront plus protégées, ni dans la relation entre ce dernier et le client, ni auprès du tiers. Le Tribunal fédéral admet toutefois qu’une communication, même volontaire, dans le cadre d’une obligation de collaborer ne saurait s’interpréter comme une telle renonciation.
Cependant, autre est la question de savoir si les informations ainsi communiquées restent protégées en mains du tiers. À cet égard, le Tribunal fédéral examine, dans un arrêt connexe rendu le même jour, la question de savoir si le rapport d’enquête peut être obtenu auprès de la FINMA (TF, 06.08.2024, 7B_874/2023). Il considère que, dans le cadre de la procédure d’enforcement, le rapport était également protégé par le secret de l’avocat, nonobstant l’obligation de collaborer découlant du droit de la surveillance. Cependant, par sa remise consciente et volontaire à la FINMA, le rapport a quitté la relation de confiance protégée par le secret professionnel entre l’avocat et son client. Partant, le rapport n’était plus protégé par le secret de l’avocat en mains de la FINMA.
La lecture combinée de ces deux arrêts aboutit au résultat que la communication volontaire d’informations à une autorité tierce, dans le cadre d’une obligation de collaborer, fait perdre le caractère secret de ces informations en mains de cette autorité, sans toutefois affecter le caractère secret de celles-ci en mains de l’avocat ou de son client.
Cette solution semble cohérente d’un point de vue dogmatique. En effet, le secret professionnel de l’avocat n’est pas censé imputer une obligation de garder le secret à des tiers, sous réserve des auxiliaires de l’avocat (sur la question, cf. Chappuis Benoît / Gurtner Jérôme, La profession d’avocat, Genève / Zurich / Bâle 2021, no 689 s.). Il faut davantage considérer qu’en mains d’une autorité tierce, les informations remises volontairement ne sont plus protégées par le secret de l’avocat. Toutefois, le secret de fonction de cette autorité peut, le cas échéant, suppléer la protection offerte par ce dernier. À l’inverse, la communication, même volontaire, d’informations à une autorité ne saurait affecter le secret dont elles bénéficient dans la relation entre l’avocat et son client, à tout le moins lorsque celle-ci intervient dans le cadre d’une obligation de collaborer.
Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, L’établissement des faits comme activité typique de l’avocat·e, in: https://lawinside.ch/1488/