La demande de révision en raison de motifs de récusation découverts après le rendu de la sentence arbitrale
Les motifs de récusation découverts après la clôture de la procédure arbitrale ne peuvent fonder une demande de révision de la sentence arbitrale (art. 190a al. 1 let. c LDIP) que si ces motifs existent déjà au moment du rendu de la sentence.
Faits
Une société des Émirats arabes unis conclut un contrat avec une société iranienne. Cette dernière s’engage à lui livrer et lui fournir du gaz. Cependant, la société iranienne faillit à ses obligations contractuelles et ne livre jamais le gaz escompté ; un premier tribunal arbitral constate cette violation en 2014.
La société émiratie introduit une seconde procédure arbitrale en 2018 ; la procédure vise à obtenir des dommages-intérêts pour compenser le préjudice causé par la violation contractuelle de la société iranienne. Ce second tribunal arbitral se compose de trois membres, dont l’un est l’arbitre Charles Poncet. En mai 2020, le tribunal arbitral rend une sentence incidente : il y constate qu’une résiliation valable du contrat a eu lieu en 2018.
Charles Poncet anime une émission sur une télévision genevoise depuis 2022. Dans une émission de 2023, il présente sous la forme d’un one man show un monologue qui réprime le comportement de certaines personnes de confession musulmane. En particulier, l’arbitre blâme les « pachas de la vertu islamiste » qui ordonneraient aux Suissesses de se couvrir dans les piscines. L’arbitre prône également l’introduction de sanctions à l’encontre de ces personnes, car il n’est « pas question de tolérer qu’un quarteron de débiles mentaux, sectaires, puritains, bégueules, prétende imposer à autrui sa manière de faire et se mette à dicter les comportements ».
Suite à la diffusion de ce monologue, la Chambre de commerce internationale (CCI) prononce la récusation de Charles Poncet au sein de la procédure arbitrale. Sur la base de cette décision, la société iranienne forme une demande de révision de la sentence arbitrale incidente de mai 2020 auprès du Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur le moment déterminant de l’existence de motifs de récusation en lien avec une demande de révision.
Droit
L’art. 190a al. 1 LDIP offre aux parties la possibilité d’obtenir la révision d’une sentence arbitrale entrée en force. La let. c vise le cas où un motif de récusation n’est découvert qu’après la clôture de la procédure arbitrale, sans qu’une autre voie de droit soit ouverte.
À titre liminaire, le Tribunal fédéral constate que la CCI a effectivement prononcé la récusation de Charles Poncet dans la procédure d’arbitrage encore ouverte. Cela étant, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de confirmer ou d’infirmer le jugement de la CCI ; il doit uniquement déterminer si le monologue de l’arbitre justifie de réviser la sentence incidente rendue trois années auparavant. Le Tribunal fédéral procède à une analyse en deux étapes.
Premièrement, il cherche à déterminer dans quel laps de temps les motifs de récusation doivent se manifester pour fonder une demande de révision. L’art. 190a al. 1 let. c LDIP indique certes qu’un motif de récusation découvert après la clôture de la procédure peut justifier une révision ; en revanche, la disposition précitée ne précise pas à quel moment le motif de récusation doit s’être concrétisé. Autrement dit, pour admettre une révision, un motif de récusation doit-il déjà exister au moment du rendu de la sentence arbitrale, ou bien des circonstances postérieures au rendu de la sentence peuvent-elles justifier une récusation ?
Du point de vue littéral, la disposition rend possible une révision fondée sur des motifs découverts après coup « bien que les parties aient fait preuve de la diligence requise ». Cette formulation sous-entend que l’art. 190a al. 1 let. c LDIP vise uniquement les motifs de récusation qui existent déjà au moment du rendu de la sentence arbitrale. En effet, on ne peut exiger aucune diligence des parties à l’égard de faits qui ne se sont pas encore produits.
Du point de vue systématique, tant la let. a que la let. b de l’art. 190a al. 1 LDIP offrent la possibilité de réviser des sentences arbitrales qui ont été influencées par des évènements intervenus avant le rendu de cette dernière. Cette interprétation doit également prévaloir pour l’art. 190a al. 1 let. c LDIP. De surcroît, il ne serait pas souhaitable qu’une partie puisse annuler une sentence arbitrale valable en raison de circonstances postérieures au rendu de celle-ci ; par exemple, le fait qu’un/e arbitre et un/e conseil nouent une liaison amoureuse plusieurs années après le rendu d’une décision arbitrale incidente ne saurait en motiver la révision. Cette appréciation rejoint également les lignes directrices de l’International Bar Association en matière de conflits d’intérêts : elles statuent que le devoir d’impartialité et d’indépendance des arbitres s’éteint après la sentence arbitrale finale. Fort de ces constats, le Tribunal fédéral conclut que l’art. 190a al. 1 let. c LDIP n’autorise une révision que sur la base de motifs de récusation qui existaient déjà au moment du rendu de la sentence.
En l’espèce, il est incontesté que les propos de l’arbitre ont été tenus trois ans après le rendu de la sentence. Ils ne peuvent ainsi fonder une demande de révision au sens de l’art. 190a al. 1 let. c LDIP.
Deuxièmement, la société iranienne soulève que même si la déclaration de l’arbitre date de 2023, les préjugés de l’arbitre à l’encontre des personnes de confession musulmane préexisteraient à la sentence arbitrale incidente. À tout le moins, les déclarations de 2023 créeraient un doute légitime quant aux convictions de l’arbitre en 2020, doute qui justifie d’annuler la sentence incidente.
Le Tribunal fédéral rejette cet argumentaire. En effet, se baser sur les déclarations de l’arbitre trois ans après le rendu de la sentence pour conclure à sa prévention se heurte à deux écueils.
D’une part, selon la règle ordinaire du fardeau de la preuve, il incombe à la partie qui souhaite obtenir l’annulation d’un jugement d’établir les circonstances afin de bénéficier de l’application d’une disposition légale ; à défaut, elle devra supporter l’échec d’une telle démonstration. Or, considérer que l’arbitre faisait déjà siens en 2020 les préjugés qu’il a émis en 2023 reviendrait précisément à renverser le fardeau de la preuve et chargerait la partie adverse de démontrer le contraire.
D’autre part, les propos tenus en 2023 créent certes un doute légitime à l’égard des convictions de l’arbitre en 2020. Toutefois, ce doute légitime apparaît insuffisant pour attester d’une prévention. En effet, les arbitres changent d’avis, de convictions et de préjugés ; on ne peut envisager, sans autre preuve qui corrobore la prévention de l’arbitre, d’admettre que des propos émis plus de trois ans après le rendu d’une sentence arbitrale ont influencé cette dernière. Autrement, cela forcerait les arbitres à ne jamais changer d’opinion et accorderait une trop grande place à la subjectivité et au procès d’intention.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Note :
Lors des échanges d’écritures, les parties débattent de la possibilité pour le Tribunal fédéral de revoir la décision de récusation d’un organisme privé tel que la CCI. Trancher cette question n’était pas indispensable en l’espèce, la récusation de Charles Poncet par la CCI n’étant, en tant que telle, pas litigieuse. Néanmoins, le Tribunal fédéral l’analyse de manière détaillée. Sa conclusion est la suivante : la décision de l’organisme privé sur la récusation ne peut faire l’objet d’un recours au Tribunal fédéral. En revanche, la partie mécontente de la décision sur la récusation peut contester la sentence arbitrale, en faisant valoir la composition irrégulière du tribunal arbitral (art. 190 al. 2 let. a LDIP).
Proposition de citation : Arnaud Lambelet, La demande de révision en raison de motifs de récusation découverts après le rendu de la sentence arbitrale, in: https://lawinside.ch/1462/