La discrimination et incitation à la haine (art. 261bis al. 1 CP)
L’acception du terme « queer » comprend aussi bien l’orientation sexuelle que l’identité sexuelle de telle sorte que la communauté queer doit être comprise comme un groupe protégé par l’art. 261bis al. 1 CP.
Faits
En septembre 2021, le polémiste Alain Soral tient les propos suivants en réaction à la publication d’un article :
« Je crois que cet article à charge est relativement malhonnête et mensonger et aussi signé par une militante communautaire, qui est une militante queer qui se bat aussi pour les migrants. Donc voilà face à quoi on est. Moi je suis un Suisse dans mon pays, qui défend l’âme suisse et l’esprit suisse, dans la grande tradition, je dirais, de Jean-Jacques Rousseau, et je suis face à des gens qui à mon avis sont ultraminoritaires. Et je rappelle que queer en anglais ça veut dire, je crois, désaxé. Donc je pense qu’entre ma vision du monde et celle d’une grosse lesbienne militante pour les migrants, je pense que je suis plus, moi, un combattant pour la paix, la fraternité et l’âme suisse que ceux qui aujourd’hui me font face et qui me harcèlent, alors que je ne leur ai rien demandé ».
Le Tribunal de police de l’arrondissement de Lausanne acquitte le polémiste du chef d’accusation de discrimination et incitation à la haine (art. 261bis al. 1 CP) et le condamne pour diffamation (art. 173 ch. 1 CP).
Sur appel du ministère public, la Cour d’appel condamne le polémiste pour diffamation ainsi que pour discrimination et incitation à la haine.
Le polémiste forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral qui doit déterminer si ses propos sont constitutifs d’une discrimination et incitation à la haine au sens de l’art. 261bis al. 1 CP.
Droit
Le Tribunal fédéral rappelle à titre préliminaire quelques principes relatifs à l’art. 261bis al. 1 CP. Aux termes de de cette disposition, dans sa nouvelle teneur depuis le 1er juillet 2020, se rend notamment coupable de discrimination raciale celui qui, publiquement, aura incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle.
S’agissant de la dernière partie de la disposition réprimant toute discrimination en raison de l’orientation sexuelle, malgré une proposition de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, les Chambres ont renoncé à inscrire la discrimination en raison de l’identité de genre en tant que comportement repréhensible.
Le Tribunal fédéral se réfère aux Principes de Jogjakarta pour définir les notions d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Par orientation sexuelle on entend la capacité qu’a chacun de ressentir une profonde attirance émotionnelle, affective et sexuelle envers des individus de sexe opposé, de même sexe ou de plus d’un sexe, et d’entretenir des relations intimes et sexuelles avec ces individus. L’identité de genre, en revanche, doit être comprise comme l’expérience intime et personnelle de son sexe profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle du corps et d’autres expressions du sexe, y compris l’habillement, le discours et les manières de se conduire.
Le polémiste conteste l’interprétation qu’a faite la cour cantonale de ses propos. Il nie notamment s’en être pris à un groupe protégé par l’art. 261bis CP, dès lors que le terme « queer » se rapporterait à l’identité de genre et non à l’orientation sexuelle.
Le Tribunal fédéral relève que le terme « queer » désigne « les personnes dont l’orientation ou l’identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants ». Son acception inclut donc aussi bien l’orientation sexuelle que l’identité sexuelle. En l’espèce, l’écrivain a qualifié la journaliste tant de « militante queer » que de « grosse lesbienne militante« . Par conséquent, dans la perspective de l’auditeur moyen non averti, les propos de l’écrivain sont à tout le moins dirigés à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes défini par son orientation sexuelle.
Selon le Tribunal fédéral, il est sans importance de savoir si les déclarations litigieuses visent l’ensemble de la communauté LGBTI ou seulement la communauté homosexuelle, étant à tout le moins certain que cette dernière est incluse dans le propos. En effet, non seulement la définition de « queer » peut inclure l’orientation sexuelle, mais surtout, l’usage du terme « lesbienne » est parfaitement univoque à cet égard.
le polémiste soutient ensuite que le discours incriminé n’exprimait pas le mépris. En effet, les termes « lesbienne » et « queer » étaient des termes neutres et revendiqués par la communauté LGBTI, de sorte qu’ils ne pouvaient constituer une atteinte en raison de l’orientation sexuelle.
Cet argument ne convainc pas le Tribunal fédéral. Le langage utilisé, rabaissant (« désaxé »), déshumanisant (« voilà face à quoi on est ») et outrancier (« grosse lesbienne »), invite l’auditeur à mépriser la journaliste en raison des caractéristiques mises en avant par le polémiste, en particulier son orientation sexuelle.
Finalement, Alain Soral invoque la violation de la liberté d’expression (art. 16 al. 1 Cst. et art. 10 al. 1 CEDH). En particulier, il se prévaut de la protection conférée aux journalistes s’exprimant dans le cadre du débat politique.
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que la liberté d’opinion est garantie et que toute personne a le droit de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion (art. 16 al. 1 et 2 Cst.). Toutefois, cette liberté peut faire l’objet de restrictions aux conditions de l’art. 36 Cst.
Au niveau international, l’art. 10 CEDH garantit la liberté d’expression. Son exercice peut être soumis à des restrictions ou à des sanctions qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique (art. 10 ch. 2 CEDH).
Dans son arrêt Monnat c. Suisse du 21 septembre 2006, la CourEDH a rappelé que l’art. 10 ch. 2 CEDH ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général. En ce sens, les mesures prises par les autorités nationales ne doivent pas être de nature à dissuader les médias de participer à la discussion de problèmes d’un intérêt général légitime.
En l’espèce, le Tribunal fédéral relève que l’entretien filmé n’intervient pas dans un contexte politique. Alain Solal se contente de s’en prendre à la personnalité de la journaliste en raison de son orientation sexuelle et d’exprimer son mépris envers de la communauté homosexuelle. De plus, il ne se prévaut d’aucun engagement auprès d’un organe de presse. Par conséquent, les propos litigieux ne relèvent pas du débat politique ou d’un débat d’intérêt général dans lequel la critique doit être plus largement admise. Notre haute Cour conclut que la restriction apportée à la liberté d’expression du polémiste respecte les conditions de l’art. 36 Cst. et que l’ingérence de la Cour cantonale était nécessaire dans une société démocratique.
Au vu de ces éléments, le Tribunal fédéral conclut au rejet du recours sur ces points et confirme la condamnation pour discrimination et incitation à la haine.
Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, La discrimination et incitation à la haine (art. 261bis al. 1 CP), in: https://lawinside.ch/1428/