L’exploitabilité de preuves recueillies de manière illicite pour élucider des infractions à la LCR
En fonction des circonstances concrètes, la violation grave d’une règle de la circulation (art. 90 al. 2 LCR) et la conduite sans permis (art. 95 al. 1 let. b LCR) – qui sont des délits – peuvent constituer des infractions graves au sens de l’art. 141 al. 2 CPP. Dans un tel cas, les preuves recueillies de manière illicite au sens de cette norme peuvent néanmoins être exploitées.
Faits
Un motocycliste est notamment reconnu coupable de violations intentionnelle de règles fondamentales de la circulation (art. 90 al. 3 et 4 LCR), de violations graves de règles de la circulation (art. 90 al. 2 LCR) et de conduite sans droit (art. 95 al. 1 let. b LCR) par le Tribunal criminel du canton de Lucerne, qui le condamne à une peine privative de liberté.
Sur appel du motocycliste, cette condamnation est confirmée par le Tribunal cantonal lucernois. Les deux instances cantonales fondent notamment leurs décisions sur le contenu d’une caméra GoPro et d’une carte SD saisies lors d’une perquisition au domicile du père du motocycliste après que celui-ci a lui-même commis une infraction à la LCR.
Le motocycliste introduit un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral, qui doit en particulier se prononcer sur la question de l’exploitabilité des images contenues sur les supports saisis lors de la perquisition.
Droit
Le Tribunal fédéral examine dans un premier temps la licéité de la perquisition et de la saisie effectuées au domicile du père du motocycliste. L’art. 197 al. b CPP subordonne ces mesures de contrainte à l’existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction. Ceux-ci doivent être importants et concrets (ATF 141 IV 87).
Les art. 244 et 246 CPP précisent les conditions auxquelles des locaux, respectivement des documents et enregistrements, peuvent faire l’objet d’une perquisition. Si des traces et objets sans lien avec l’infraction mais laissant présumer la commission d’autres infractions sont découverts lors d’une perquisition, ils sont mis en sûreté (art. 243 al. 1 CPP). Ces découvertes fortuites peuvent ensuite donner lieu à l’ouverture d’une nouvelle procédure pénale et y être utilisées comme moyens de preuve, pour autant que la mesure de contrainte initiale ait été licite (TF, 04.02.2021, 6B_1409/2019).
En revanche, lorsqu’une mesure de contrainte n’est pas fondée sur des soupçons suffisants mais constitue une recherche indéterminée de preuves (« fishing expedition »), les preuves ainsi recueillies ne sont en principe pas exploitables (ATF 139 IV 128).
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral constate que la perquisition au domicile du père du motocycliste et la saisie d’une caméra GoPro et d’une carte SD n’étaient pas admissibles. D’une part, elles n’étaient pas aptes ou nécessaires à l’élucidation de l’infraction reprochée au père. D’autre part, il n’existait pas de soupçons suffisants de commission d’autres infractions.
Dans un second temps, le Tribunal fédéral doit donc déterminer dans quelle mesure ces preuves recueillies de manière illicites peuvent être exploitées dans le cadre de la procédure initiée suite à leur découverte.
L’art. 141 al. 2 CPP prévoit que les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves. Plus l’infraction est grave, plus l’intérêt public à la découverte de la vérité l’emporte sur l’intérêt privé du prévenu à ce que la preuve soit écartée (ATF 147 IV 9, résumé in : www.lawinside.ch/974/).
Les violations des art. 90 al. 3 et 4 LCR reprochées au motocycliste sont des crimes (art. 10 al. 2 CP) par lesquels il a accepté de courir un risque important d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort. Compte tenu des circonstances concrètes, le Tribunal fédéral considère donc qu’elles doivent être qualifiées d’infractions graves justifiant l’exploitabilité des preuves illicites au sens de l’art. 141 al. 2 CPP.
Les autres infractions reprochées au motocycliste sont en revanche des délits. De plus, le Tribunal fédéral a jusqu’à présent refusé de considérer les violations de l’art. 90 al. 2 LCR comme des infractions graves au sens de l’art. 141 al. 2 CPP (ATF 147 IV 16, résumé in : www.lawinside.ch/998/). La mise en danger du bien juridique visée par cette infraction est en effet moindre que dans le cas de l’art. 90 al. 3 et 4 LCR.
Le Tribunal fédéral revient toutefois sur cette précédente jurisprudence. Dans le cas concret, il considère en effet que deux des délits commis par le motocycliste doivent être qualifiés d’infractions graves au sens de l’art. 141 al. 2 CPP en raison de l’importance de la mise en danger ainsi créée. Il s’agit premièrement d’un dépassement combiné à un excès de vitesse alors qu’un motocycliste arrivait en sens inverse (art. 90 al. 2 LCR) et deuxièmement d’une conduite sans permis (art. 95 al. 1 let. b CPP) commise lors du même trajet. Le Tribunal fédéral considère en effet que l’intérêt public à l’élucidation de ces infractions doit prévaloir sur l’intérêt du motocycliste à ce que les preuves soient écartées.
En revanche, les autres infractions reprochées au motocycliste ne pouvaient pas justifier l’exploitation des preuves recueillies de manière illicite.
Partant, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et renvoie la cause à l’autorité précédente pour nouvelle décision.
Proposition de citation : Quentin Cuendet, L’exploitabilité de preuves recueillies de manière illicite pour élucider des infractions à la LCR, in: https://lawinside.ch/1373/