L’interdiction des chauffages électriques et la garantie de la propriété

ATF 149 I 49 | TF, 23.03.2023, 1C_37/2022*

Une norme cantonale prévoyant l’interdiction des chauffages et des chauffe-eau électriques dès 2030 est compatible avec la garantie de la propriété (art. 26 Cst).

Faits

Le 28 novembre 2021, les électeurs et électrices du canton de Zurich acceptent, à une majorité de 62%, la modification de la loi cantonale sur l’énergie adoptée en avril 2021 par le Grand Conseil zurichois. Cette modification avait pour objectif l’adaptation de la loi au Modèle de prescriptions énergétiques des cantons (MoPEC), adopté par la Conférence des directeurs cantonaux en 2015.

En particulier, la modification de la loi comprend une interdiction des chauffages et des chauffe-eau électriques dès 2030, assortie de dispositions pénales pour les contrevenant·es.

Deux particuliers exercent un recours de droit public contre cet acte normatif cantonal auprès du Tribunal fédéral, qui doit déterminer si l’interdiction des chauffages et chauffe-eaux électriques dès 2030 est compatible avec la garantie de la propriété (art. 26 Cst).

Droit

Lorsque la compatibilité d’un acte normatif cantonal avec le droit supérieur est en cause, l’élément déterminant est de savoir s’il est possible d’effectuer une interprétation conforme du premier par rapport au second. Le Tribunal fédéral n’annule une norme cantonale que si elle se soustrait à toute interprétation conforme au droit supérieur. Il convient en particulier de tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits fondamentaux, de la possibilité d’une protection suffisante lors d’un contrôle concret ultérieur, des circonstances concrètes d’application et des effets sur la sécurité juridique.

Le Tribunal fédéral rappelle qu’il n’existe aucun droit au maintien d’une situation juridique en vigueur. Une modification doit toutefois respecter le droit supérieur, et notamment les droits fondamentaux, dont fait partie la garantie de la propriété (art. 26 Cst).

Toute restriction d’un droit fondamental doit respecter les conditions de l’art. 36 Cst, à savoir reposer sur une base légale suffisante, être d’intérêt public ou justifiée par la protection de droits fondamentaux de tiers, et être proportionnée. L’interdiction contestée des chauffages et chauffe-eau électriques, assortie de dispositions pénales, constitue une atteinte à la garantie de la propriété. Il faut donc que les normes en cause respectent les conditions de l’art. 36 Cst.

La condition de la légalité étant remplie en l’espèce, le Tribunal fédéral analyse plus avant celle de l’intérêt public. Selon sa jurisprudence, tout intérêt public est en principe susceptible de justifier une atteinte à la propriété, pour autant que l’objectif visé ne soit pas de nature purement fiscale ou ne contrevienne pas à d’autres normes constitutionnelles. Font notamment partie des intérêts publics susceptibles de légitimer des atteintes à la propriété la protection de l’environnement (art. 74 Cst) et le mandat constitutionnel d’un approvisionnement énergétique respectueux de l’environnement (art. 89 al. 1 Cst). Il convient de procéder à une pesée des intérêts entre ceux-ci et ceux de la garantie de la propriété (art. 26 Cst).

Le chauffage électrique présente des inconvénients, notamment en termes d’efficacité. Le Conseil fédéral invitait déjà les cantons, dans son Message du 21 août 1996 relatif à la loi sur l’énergie, à veiller à ce que l’électricité ne soit qu’exceptionnellement utilisée à des fins de chauffage (FF 1996 IV 1117). L’Office fédéral de l’énergie (OFEN) recommande, dans son rapport explicatif concernant la révision de l’ordonnance sur les exigences relatives à l’efficacité énergétique, d’interdire les chauffages électriques et d’imposer l’assainissement des installations existantes. Le Tribunal fédéral souligne également le risque d’une pénurie d’électricité, ce qui contribue à l’urgence d’une consommation économe.

En se basant sur des rapports de l’OFEN, le Tribunal fédéral met également en évidence l’existence d’alternatives plus efficaces que les chauffages électriques, notamment les chauffages à pellets et à distance ainsi que les pompes à chaleur, qui permettent des économies d’énergie conséquentes. Le critère de l’efficacité est central dans l’analyse.

Il découle de ces considérations qu’il existe un intérêt public considérable (erheblich) à une utilisation économe de l’énergie, respectueuse de l’environnement (c. 4.2), et qu’une interdiction des chauffages électriques poursuit donc un intérêt public suffisant.

S’agissant de la proportionnalité, et plus précisément du principe de nécessité, le Tribunal fédéral relève que l’interdiction n’a pas été édictée de manière soudaine et imprévisible. Elle constitue au contraire l’aboutissement d’une évolution de longue date visant à interdire les chauffages électriques. Les principes d’aptitude et d’exigibilité sont également respectés.

L’interdiction en cause respecte donc les conditions de l’art. 36 Cst et constitue une atteinte justifiée à la garantie de la propriété (art. 26 Cst). La question d’une éventuelle indemnisation au sens de l’art. 26 al. 2 Cst devra être examinée au cas par cas. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

La problématique du lien entre garantie de la propriété et systèmes de chauffage plus durables a fait dernièrement l’objet d’un nouvel arrêt du Tribunal fédéral (1C_391/2022). Le 3 mai 2023, le Tribunal fédéral a tenu une séance publique pour délibérer de la validité d’une initiative communale prévoyant que, dans certaines zones à bâtir, le chauffage soit exclusivement assuré par des énergies renouvelables dès 2030 (Hochdorf, Lucerne). Contrairement au Kantonsgericht, le Tribunal fédéral a retenu que cette initiative était valable. Si elle était acceptée, il reviendrait aux autorités compétentes d’adopter d’ici 2030 une règlementation sur la prise en charge des coûts, rendant l’initiative compatible avec la garantie de la propriété.

Proposition de citation : Camille de Salis, L’interdiction des chauffages électriques et la garantie de la propriété, in: https://lawinside.ch/1303/