Licenciement collectif : la notion d’établissement au sens de l’art. 355d CO

TF, 18.07.2022, 4A_531/2021*

Le fait que plusieurs établissements soient proches d’un point de vue géographique n’est pas déterminant pour apprécier la notion d’établissement au sens de l’art. 335d CO et ainsi déterminer si les seuils relatifs au licenciement collectif sont atteints. Les licenciements prononcés doivent être comptabilisés séparément.

Faits

Une femme est employée par la Poste CH SA dans une filiale du canton de Vaud de l’unité « RéseauPostal ». Cette unité gère toutes les filiales, lesquelles sont généralement gérées par un « responsable filiale ».

Suite à son licenciement, l’employée conteste celui-ci notamment au motif qu’il ne respecterait pas les procédures en lien avec les licenciements collectifs, ce qui le rendrait abusif.

L’employée dépose une demande auprès du Tribunal de prud’hommes de l’arrondissement de l’Est vaudois. Elle estime que l’office postal au sein duquel elle travaille n’est pas un « établissement » au sens de l’art. 335d CO, mais que c’est au contraire l’unité « RéseauPostal », s’étendant à toute la Suisse, qui constitue un tel établissement. Partant, les seuils correspondants seraient atteints de sorte que son congé aurait dû être traité comme un licenciement collectif.

Tant le Tribunal de prud’hommes que le Tribunal cantonal rejettent ce raisonnement ainsi que la demande, en se ralliant à l’avis de l’employeuse selon lequel chaque filiale postale constitue un établissement indépendant.

L’employée interjette un recours en matière civile au Tribunal fédéral, qui est amené à déterminer si l’office postal au sein de laquelle l’employée travaille est un « établissement » au sens de l’art. 355d CO.

Droit

Les rapports de travail entre l’employée et Poste CH SA sont soumis aux art. 319 ss CO et à la CCT « Poste CH SA ».

Selon l’art. 336 al. 2 let. c CO, est abusif le congé donné par l’employeur sans respecter la procédure de consultation prévue par l’art. 335f CO pour les licenciements collectifs.

La notion de licenciement collectif est prévue à l’art. 335d CO et dépend du nombre de travailleurs dans l’établissement concerné.

Le Tribunal fédéral se penche sur la question de savoir si la notion d’établissement doit être étendue lorsque des établissements distincts – tels que les offices de poste – sont géographiquement proches au point de constituer un seul lieu d’exploitation.

La doctrine est divisée sur cette question. Un auteur souligne notamment qu’une telle comptabilisation commune de plusieurs établissements pourrait conduire à un changement de seuil et, donc, à une augmentation du nombre de licenciements nécessaires afin que la procédure de licenciement collectif soit applicable.

Le Tribunal fédéral procède donc à une interprétation littérale, téléologique et historique de l’art. 335d CO.

Selon l’interprétation littérale, l’unité déterminante pour établir si les seuils prévus à l’art. 335d CO sont atteints est celle de « l’établissement » (Betrieb) et ce bien que l’art. 335d i.i CO se réfère en français à la notion « d’entreprise » (Betrieb). Un établissement est une structure organisée, dotée en personnel, en moyens matériels et immatériels qui permettent d’accomplir les objectifs de travail et qui bénéficie d’une certaine autonomie, sans que cette autonomie ne doive être financière, économique, administrative, juridique ou ne nécessite la compétence de décider seule d’un licenciement collectif.

La réglementation relative aux licenciements collectifs a été introduite afin de rapprocher le droit suisse de l’acquis communautaire (cf. Directive 75/129/CEE du 17 février 1975). Le législateur suisse a adopté une définition relative du licenciement collectif, qui dépend du nombre de travailleurs dans l’établissement concerné.

Le but de l’art. 335d CO est d’éviter qu’un nombre important de travailleurs au profil similaire ne perdent leur emploi dans un court laps de temps et dans la même région et que, par conséquent, la recherche d’emploi ne s’en trouve compliquée et la durée de la période de chômage n’en soit prolongée.

En l’espèce, l’office de poste dans lequel l’employée travaille dispose d’un ensemble de travailleurs, d’une structure organisationnelle, de compétences propres et peut gérer seul, en vue d’exécuter ses tâches, la majeure partie de ses affaires, comme la gestion courante de ses employés, les commandes en matériel, la comptabilité de l’office et la sécurité. Il s’agit donc d’un « établissement » au sens de l’art. 335d CO.

Au vu de l’interprétation historique et téléologique de l’art. 335d CO, le fait que les établissements distincts soient proches d’un point de vue géographique n’est pas déterminant pour apprécier la notion d’établissement au sens de l’art. 335d CO  et ainsi déterminer si les seuils relatifs au licenciement collectif sont atteints. Les licenciements prononcés doivent être comptabilisés séparément.

Par conséquent, les conditions relatives au licenciement collectif (art. 335d CO) ne sont pas remplies, de sorte que l’employeuse n’était pas obligée de suivre la procédure y relative. Le congé n’est ainsi pas abusif au sens de l’art. 336 al. 2 let. c CO si bien que le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Ariane Legler, Licenciement collectif : la notion d’établissement au sens de l’art. 355d CO, in: https://lawinside.ch/1256/