La conséquence du défaut de paiement d’une provisio ad litem dans la procédure de divorce

ATF 148 III 21TF, 13.09.2021, 5A_568/2020*

Le non-paiement par un époux d’une avance de frais judiciaires en faveur de l’autre époux (provisio ad litem) ne peut être sanctionné par l’irrecevabilité de la demande en divorce.

Faits

En 2017, un époux dépose une demande en divorce devant le Bezirksgericht de Zurich. Sur requête de l’épouse, il est condamné au paiement d’une avance de frais judiciaires (provisio ad litem) d’un montant de CHF 5’000. L’époux ne s’exécute pas spontanément. Par ailleurs, la poursuite intentée par l’épouse pour recouvrer cette créance se révèle infructueuse.

Quelques mois plus tard, le Bezirksgericht impartit à l’époux un nouveau délai pour le versement de la provisio ad litem et le menace de ne pas entrer en matière sur la demande en divorce s’il ne s’exécute pas.

Faute de paiement à l’échéance, le Bezirksgericht rend une décision d’irrecevabilité de la demande en divorce. LObergericht du canton de Zurich confirme cette décision sur appel de l’époux. Saisi d’un recours en matière civile, le Tribunal fédéral doit déterminer si le paiement d’une provisio ad litem est une condition de recevabilité de la demande en divorce (cf. art. 59 CPC).

Droit

L’Obergericht estime que le refus d’entrer en matière à défaut de paiement de la provisio ad litem est justifié au regard de l’art. 147 al. 1 CPC. Aux termes de cette disposition, une partie est défaillante lorsqu’elle omet d’accomplir un acte de procé­dure dans le délai prescrit ou ne se présente pas lorsqu’elle est citée à comparaître.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’obligation de verser une avance de frais judiciaires à son époux est une émanation de l’obligation d’assistance (art. 159 al. 3 CC) et de l’obligation d’entretien entre époux (art. 163 CC) (cf. ATF 142 III 36 consid. 2.3, résumé in: LawInside.ch/195, et les réf. citées). Cette obligation trouve donc son fondement dans le droit matériel et non dans le droit de procédure. Par conséquent, il est à tout le moins douteux que le versement d’une provisio ad litem soit assimilé à un acte de procédure au sens de l’art. 147 al. 1 CPC

Cette question peut toutefois demeurer ouverte. En effet, même si l’on admet que tel est le cas, il convient d’observer l’art. 147 al. 2 CPC. En effet, cette disposition prévoit que la procédure suit son cours sans qu’il soit tenu compte du défaut, à moins que la loi n’en dispose autrement. En d’autres termes, l’art. 147 al. 2 CPC instaure le principe de la continuation du procès. Or, en refusant d’entrer en matière, l’Obergericht élève le paiement de la provisio ad litem au rang de condition de recevabilité (art. 59 CPC) de la demande en divorce. Se faisant, il s’écarte du principe de la continuation du procès, ce qui requiert une base légale (cf. art. 147 al. 2 CPC).

Force est toutefois de constater que ni le CC, ni le CPC ne prévoient de base légale expresse en la matière. En particulier, le refus d’entrer en matière ne saurait se fonder sur l’art. 59 al. 2 let. f CPC – érigeant le versement des avances et des sûretés en garantie des frais de procès en tant que condition de recevabilité -, qui ne fait que répéter l’art. 101 al. 3 CPC. Selon cette disposition, le tribunal n’entre pas en matière sur la demande ou la requête si les avances ou les sûretés ne sont pas fournies à l’échéance d’un délai supplémentaire. Cela étant, il convient encore d’examiner si la loi est lacunaire à cet égard.

L’énumération des conditions de recevabilité de l’art. 59 al. 2 CPC n’est certes pas exhaustive, mais l’existence de conditions de recevabilité non écrites doit être admise avec retenue au regard de la garantie de l’accès au juge (art. 29a Cst.). Dans un ancien arrêt, le Tribunal fédéral a jugé que la condamnation au versement d’une provisio ad litem ne pouvait être assortie d’une menace d’irrecevabilité en cas de défaut de paiement (ATF 91 II 77). La doctrine, quant à elle, est divisée sur ce point. La question est donc de savoir si la jurisprudence précitée peut être maintenue sous l’empire du CPC et du nouveau droit du divorce.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral rappelle que le droit de procédure a pour fonction de mettre en oeuvre le droit matériel et ne doit pas devenir une fin en soi. À cet égard, il convient de relever que la menace d’irrecevabilité qui accompagne la condamnation au paiement d’une provisio ad litem restreint le droit matériel de l’époux à divorcer (art. 111 ss CC).

Or cette atteinte n’est justifiée par aucun intérêt prépondérant. D’une part, l’art. 99 al. 3 let. b CPC exclut la fourniture de sûretés dans la procédure de divorce, ce qui constitue un indice pour admettre que le législateur ne voulait pas que le procès en divorce dépende du paiement de quelque montant par l’un des époux. D’autre part, il n’appartient pas au tribunal civil d’assurer l’exécution des décisions entre privés. Cette tâche incombe au créancier qui peut, au besoin, faire usage des voies de la LP pour recouvrer sa créance (art. 335 al. 2 CPC). De plus, en cas de poursuite infructueuse, l’époux créancier de la provisio ad litem peut toujours requérir l’assistance judiciaire à titre subsidiaire (cf. art. 117 ss CPC). Ses intérêts sont donc suffisamment protégés.

Pour toutes ces raisons, il faut admettre que la loi ne contient pas de lacune. Dès lors, en l’absence d’une base légale, le défaut de paiement d’une provisio ad litem ne peut être sanctionné par l’irrecevabilité de la demande en divorce.

En l’espèce, il est constant que l’épouse n’est pas parvenue à recouvrer la provisio ad litem par la voie de la poursuite. La question de savoir si cette circonstance permettait à l’épouse de requérir l’assistance judiciaire peut demeurer indécise. En tout état de cause, le Bezirksgericht n’était pas autorisé à fixer à l’époux un nouveau délai pour s’exécuter et à formuler une menace de non-entrée en matière en cas de défaut. À supposer que l’art. 147 al. 2 CPC soit applicable, la procédure de divorce aurait dû suivre son cours, sans qu’il soit tenu compte du non-paiement de la provisio ad litem.

Partant, le recours est admis sur ce point.

Proposition de citation : Marc Grezella, La conséquence du défaut de paiement d’une provisio ad litem dans la procédure de divorce, in: https://lawinside.ch/1134/