La condamnation des activistes du climat par le Tribunal fédéral

ATF 147 IV 297 | TF, 26.05.2021, 6B_1295/2020*

Les catastrophes naturelles liées au dérèglement climatique ne représentent pas un danger imminent au sens de l’art. 17 CP.

Faits

Le 22 novembre 2018, 12 activistes du climat se prêtent à une manifestation non-autorisée dans une succursale de la banque Credit Suisse à Lausanne. Dans les locaux, les manifestant-e-s miment une partie de tennis en référence à Roger Federer, l’un des représentants publicitaires du groupe bancaire. L’objectif de l’action est d’alerter l’opinion publique sur les investissements de Credit Suisse en matière d’énergies fossiles. Malgré les injonctions du responsable de la succursale, puis de la police, les manifestant-e-s refusent de sortir. Pour les manifestant-e-s, l’inaction politique et l’inefficacité des méthodes licites justifient la mise en place d’actions de désobéissance civile.

Après avoir été acquitté-e-s en première instance cantonale, les 12 manifestant-e-s sont condamné-e-s par la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois pour violation de domicile, empêchement d’accomplir un acte officiel et contravention au règlement général de police. Les manifestant-e-s recourent contre cet arrêt au Tribunal fédéral, lequel est amené, dans une décision de 37 pages, à déterminer si les actions de désobéissance civile des activistes du climat peuvent trouver une justification dans l’existence d’un état de nécessité licite.

Droit

  1. La validité du huis clos

L’audience au Tribunal cantonal s’étant tenue durant la pandémie de coronavirus, un huis clos partiel avait été prononcé, seule une vingtaine de journalistes, mais aucune personne de confiance, ayant été autorisé-e-s dans la salle. Partant, le Tribunal fédéral commence par examiner la question de savoir si les autorités cantonales vaudoises ont respecté le principe de la publicité de l’audience (art. 70 al. 1 CPP et 6 CEDH) et le droit des prévenu-e-s d’être accompagné-e-s par 3 personnes de confiance en cas de huis clos (art. 70 al. 2 CPP).

Le Tribunal fédéral rappelle en premier lieu que le principal but de la publicité des débats prévue à l’art. 6 CEDH est de protéger les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public. Il estime qu’en l’espèce, les manifestant-e-s ne sauraient prétendre avoir fait l’objet d’une telle justice rendue de manière opaque. L’art. 70 al. 1 let. a CPP permettant le prononcé d’un huis clos pour préserver la sécurité publique, les conditions sanitaires du mois de septembre 2020 justifiaient une telle mesure ; ce grief est donc écarté.

En cas de huis clos, l’art. 70 al. 2 CPP prévoit que les prévenu-e-s peuvent être accompagné-e-s de trois personnes de confiance. Les manifestant-e-s reprochent à l’instance précédente de s’être vu-e-s refuser l’exercice de ce droit malgré le texte clair de la loi.

Le Tribunal fédéral estime qu’on ne saurait déduire de l’art. 70 al. 2 CPP qu’un-e prévenu-e pourrait, indépendamment des circonstances, imposer la présence aux débats de ses personnes de confiance. Exerçant son pouvoir prétorien, il considère qu’en l’espèce, en limitant l’accès à la salle d’audience, le Tribunal cantonal vaudois a cherché à préserver un intérêt de santé publique d’une haute importance qui doit l’emporter sur l’intérêt des prévenu-e-s à être accompagné-e-s d’une ou plusieurs personnes de confiance. Considérant que les prévenu-e-s encouraient une peine peu importante, le Tribunal fédéral souscrit à cette pesée des intérêts.

Pour justifier sa position le Tribunal fédéral précise encore qu’« [o]n ne voit pas […] que l’autorité précédente aurait pu retenir à [la charge des prévenu-e-s] un propos énoncé durant l’audience et qui aurait pu être le fruit de la privation de soutien moral dont ceux-ci auraient souhaité bénéficier ».

  1. L’état de nécessité licite (art. 17 CP)

Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral examine la question de savoir si les prévenu-e-s peuvent être mis-e-s au bénéfice d’un état de nécessité licite au sens de l’art. 17 CP. Le Tribunal fédéral rappelle que cette disposition ne trouve application que lorsqu’il existe un danger imminent et impossible à détourner autrement.

Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal cantonal vaudois avait reconnu que l’augmentation de la température planétaire avait des incidences concrètes et actuelles pour l’être humain (vagues de chaleurs, incendies de forêts et autres inondations) pouvant être qualifiées de danger imminent au sens de l’art. 17 CP.

Le Tribunal fédéral ne partage pas cette lecture des termes «danger imminent». Sur la base d’une interprétation littérale, historique, téléologique et systématique, le Tribunal fédéral retient que l’application de l’art. 17 CP suppose qu’un danger menace concrètement et de manière pressante (« dans les heures suivant l’acte punissable commis par l’auteur ») le bien juridique concerné, et non peser sur des biens indéfinis dans un horizon temporel incertain. Quant au caractère imminent de ce danger, le Tribunal fédéral retient qu’il se caractérise par le lien de connexité direct unissant le danger et le comportement de l’auteur.

Fort de ces constats, le Tribunal fédéral estime qu’aucun danger imminent ne planait sur les manifestant-e-s au moment de l’infraction. Il considère au demeurant que l’art. 17 CP n’est pas applicable à la défense de biens juridiques collectifs, comme l’environnement ou la santé – ce que semblent viser les manifestant-e-s en l’espèce. De l’avis du Tribunal fédéral, on ne saurait qualifier non plus de concret et imminent le danger qu’un tiers, quelque part sur le globe, souffre du réchauffement climatique. Les phénomènes naturels que craignent les manifestant-e-s pouvant frapper en tout lieu et en tout temps, sans qu’il soit possible d’identifier un bien juridique spécifiquement menacé, ils ne sauraient être qualifiés de dangers durables et imminents. Partant, l’application de l’art. 17 CP est exclue.

  1. L’état de nécessité putatif

Dans un troisième temps, le Tribunal fédéral rejette l’argumentation des manifestant-e-s selon lequel ils et elles se seraient trouvé-e-s dans un état de nécessité putatif (art. 13 CP). Un tel état permet aux tribunaux de mettre l’auteur d’une infraction au bénéfice de l’art. 17 CP lorsque, en raison d’une représentation erronée des faits, il se croit en situation de danger, alors qu’il n’en est rien. En l’espèce, le Tribunal fédéral estime que l’action des manifestant-e-s n’a pas été causée par leur confrontation fortuite à un danger mais a résulté d’un choix, celui de permettre une prise de conscience sociale relative aux catastrophes naturelles liées au changement climatique. Les manifestant-e-s ayant cherché à « provoquer des changements politiques » on ne saurait admettre qu’ils ont agi en raison d’une représentation erronée des faits.

  1. Le fait justificatif extralégal

Dans un quatrième temps, le Tribunal fédéral refuse aux manifestant-e-s le droit d’être mis-e-s au bénéfice du fait justificatif extralégal de la sauvegarde d’intérêts légitimes. À l’appui de ce refus, il offre le raisonnement suivant : les manifestant-e-s n’ont pas agi afin de protéger un bien juridique d’un danger imminent mais afin d’alerter l’opinion publique. Or l’invocation d’un fait justificatif extralégal supposerait que l’action des manifestant-e-s constituât l’unique moyen possible pour défendre les intérêts légitimes visés, soit la baisse des émissions de CO2. Selon le Tribunal fédéral, une kyrielle d’autres méthodes, licites, auraient pu être employées pour atteindre cet objectif, en particulier des manifestations autorisées, des marches, des interventions médiatiques ou culturelles.

  1. La liberté d’expression et de réunion (art. 10 et 11 CEDH)

Enfin, le Tribunal fédéral s’interroge sur la question de savoir si la condamnation des manifestant-e-s est compatible avec la liberté d’expression et de réunion garantie aux art. 10 et 11 CEDH. Selon le Tribunal fédéral, la jurisprudence de la CourEDH invoquée par les manifestant-e-s serait sans pertinence car elle aurait trait à la liberté d’expression et de réunion sur le domaine public. Or, bien qu’accessibles au public, les locaux de Credit Suisse n’étant pas un espace de transit ou destiné à accueillir un nombre important de personnes, les garanties de la CEDH ne s’y appliquent pas. Le Tribunal fédéral estime que les libertés invoquées par les manifestant-e-s ne permettent pas de se réunir sur le fonds d’un propriétaire privé. Partant, ils et elles ne sauraient se prévaloir de leur liberté d’expression et de réunion si bien que leur condamnation ne viole pas les art. 10 CEDH et 11 CEDH.

Le recours est donc pour l’essentiel rejeté et la condamnation des manifestant-e-s est confirmée.

Note

« [I]l est indéniable […] que la doctrine est en Suisse une source du droit » (c. 1.2.3). C’est avec cette lecture libre et originale de l’art. 1 CC que le Tribunal fédéral amorce une argumentation à notre sens critiquable, et ce à quatre principaux égards :

  1. Le huis clos partiel (art. 70 al. 1 CPP) et le refus du Tribunal fédéral de recourir au correctif de l’art. 70 al. 2 CPP

Se fondant sur l’art. 70 al. 1 CPP, le Tribunal fédéral commence par confirmer la validité du huis clos partiel prononcé par la Cour cantonale et consistant à n’autoriser dans la salle d’audience que les journalistes. Le Tribunal fédéral confirme que, le jour de l’audience d’appel, après une pesée des intérêts, l’intérêt public à la préservation de la sécurité sanitaire devait l’emporter sur l’intérêt privé des manifestant-e-s à a la préservation de leurs garanties procédurales (art. 6 ch. 1 CEDH, 14 du Pacte ONU II, 30 al. 3 Cst ou encore 69 CPP).

Dans ce considérant, le Tribunal fédéral envisage seulement abstraitement l’intérêt public à la préservation de la santé publique. En effet, il ne tient pas compte du fait que, concrètement, lorsque l’audience d’appel a été tenue (le 22 septembre 2020), dans le Canton de Vaud, les manifestations privées étaient autorisées jusqu’à 100 personnes et les manifestations publiques l’étaient bien au-delà de 100 personnes, moyennant un concept de protection adéquat et le port du masque. Les cinémas, salles de théâtres ou de concerts pouvaient alors accueillir plusieurs centaines de personnes, l’intérêt privé à l’épanouissement culturel devant l’emporter face à l’intérêt public au ralentissement de la pandémie.

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a insisté sur l’importance «d’évaluer, dans chaque cas concret et individuel, sur la base d’une pesée globale des intérêts […] des prévenu-e-s, du public et des médias, si l’exclusion du public [en application des art. 69 et 70 CPP] est envisageable» (traduction libre de l’ATF 143 I 194, c. 3.6.1 in fine ; dans ce sens ég. Bulak, La liberté d’expression face à la présomption d’innocence : justice et médias en droit italien et suisse à l’aune de la Convention et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, thèse, 2014, p. 36). L’analyse abstraite à laquelle se prête aujourd’hui le Tribunal fédéral rompt avec cette jurisprudence de la première Cour de droit public, rendant incertaine la façon dont la pesée des intérêts prévue à l’art. 70 al. 1 CPP doit s’entreprendre.

La pesée des intérêts abstraite à laquelle se prête le Tribunal fédéral est critiquable. En effet, si, selon une analyse concrète, le 22 septembre 2020 l’intérêt privé à l’épanouissement culturel devait l’emporter sur l’intérêt public au ralentissement de la pandémie, il aurait dû en aller de même de l’intérêt privé des manifestant-e-s à la préservation de leurs garanties procédurales. Cela est d’autant plus vrai que le principe de publicité des débats sert non seulement un intérêt privé (la protection des justiciables contre une justice secrète) mais aussi un intérêt public (la confiance dans les tribunaux). Il s’agira d’observer à l’avenir comment la Cour de droit pénal et la première Cour de droit public entendent accorder leurs violons sur ce point.

Après avoir validé le huis clos partiel prononcé par le Tribunal cantonal vaudois, le Tribunal fédéral confirme que c’est à bon droit que l’instance précédente a refusé aux manifestant-e-s le droit d’être accompagné de trois personnes de confiances (art. 70 al. 2 CPP). Il fonde sa position sur les deux arguments suivants :

  • Une pesée des intérêts : l’intérêt à la préservation de la santé publique l’emporte sur l’intérêt privé des manifestant-e-s à bénéficier d’une application de l’art. 70 al. 2 CPP ;
  • Une analyse ex post de la violation de l’art. 70 al. 2 CPP : ce non-respect de l’art. 70 al. 2 CPP n’ayant pas eu d’incidence causale sur la qualité de la défense des manifestant-e-s.

D’abord, la pesée des intérêts à laquelle se prête le Tribunal fédéral en application de l’art. 70 al. 2 CPP ne s’autorise d’aucun fondement légal, jurisprudentiel ou doctrinal. Le texte de loi est pourtant suffisamment clair : l’art. 70 al. 2 CPP prévoit qu’«en cas de huis clos, le prévenu, la victime et la partie plaignante peuvent être accompagnés de trois personnes de confiance au maximum».

Il ressort de la doctrine que l’art. 70 al. 2 CPP offre aux prévenu-e-s un droit et non une simple possibilité (CR CPP-Mahon/Jeannerat, N 12 ad art. 70 CPP ; BSK- StPO-Saxer/Turnheer, N 15 ad Art. 70 StPO ; dans ce sens ég. Piquerez/Macaluso, Procédure pénale suisse, 3e éd. 2011, N 617) qui «ne dépend pas d’une décision du tribunal, contrairement à ce que prévoyaient certains codes cantonaux» (CR CPP-Mahon/Jeannerat, N 12 ad art. 70 CPP).

En dépit de ces avis doctrinaux, le Tribunal fédéral considère qu’«[o]n ne saurait [déduire de l’art. 70 al. 2 CPP] que le prévenu pourrait, indépendamment des circonstances, imposer la présence aux débats de ses personnes de confiance». Il considère donc, comme l’a fait le Tribunal cantonal, qu’une pesée des intérêts peut justifier de ne pas appliquer l’art. 70 al. 2 CPP.

Or, si une telle pesée des intérêts est bien prévue à l’art. 70 al. 1 let. a CPP, elle est totalement absente de l’al. 2. Ceci est de nature à montrer que, une fois le huis clos partiel prononcé suite à une pesée des intérêts, l’intérêt public a suffisamment été pris en considération et ne saurait plus entrer en ligne de compte dans l’application du deuxième alinéa.

En effet, l’art. 70 al. 2 CPP a notamment pour vocation d’assurer les fonctions essentielles du principe de publicité (BSK- StPO-Saxer/Turnheer, N 15 ad Art. 70 ; cf. ég. Bulak, op. cit., p. 246). Il s’agit d’un palliatif permettant de préserver les garanties procédurales, notamment des prévenu-e-s, lorsqu’un tribunal fait application de l’art. 70 al. 1 CPP. Il y a donc quelque chose d’insatisfaisant à voir le Tribunal fédéral valider une application de l’art. 70 al. 1 CPP en raison d’un intérêt public (abstrait), puis, se prévaloir exactement du même intérêt public (toujours abstrait) pour refuser l’application de l’art. 70 al. 2 CPP, lequel devrait venir jouer un rôle correctif.

Le raisonnement du Tribunal fédéral frappe par ailleurs d’un point de vue méthodologique. Alors qu’il propose une solution qui s’écarte radicalement du texte de la loi (et de la doctrine), il ne s’emploie pas à démontrer que sa solution s’inspirerait d’un pluralisme méthodologique pragmatique permettant de dégager le véritable sens de la norme. Plutôt, le Tribunal fédéral fait là une démonstration de sa force prétorienne en rappelant que la loi n’est pour lui qu’un indice interprétatif parmi d’autres et qu’il n’est pas lié par les avis doctrinaux, qu’il avait pourtant qualifiée préalablement de source du droit.

On ne peut être qu’étonné, voire un peu inquiet, de la légèreté avec laquelle le Tribunal fédéral s’affranchit complètement du texte d’une disposition légale destinée à préserver les garanties fondamentales de la défense, sans avoir procédé à une analyse autre que celle – non prévue par la loi – de la relation entre l’intérêt public à préserver la santé collective et l’intérêt privé à bénéficier de garanties procédurales fondamentales. Le Tribunal fédéral semble renégocier ainsi les contours de l’art. 36 Cst. (utilisé ici pour restreindre les droits prévus à l’art. 30 al. 3 Cst. duquel découle l’art. 70 CPP). Base légale, aptitude, nécessité et proportionnalité au sens étroit ne sont pas convoquées dans cette mise en œuvre innovante d’une des dispositions constitutionnelles les plus fondamentales de l’ordre juridique suisse.

On relèvera encore que, l’analyse ex post à laquelle se prête le Tribunal fédéral pour justifier l’interprétation qu’il fait de l’art. 70 al. 2 CPP n’emporte pas la conviction. Le Tribunal fédéral explique qu’«[o]n ne voit pas […] que l’autorité précédente aurait pu retenir à [la charge des manifestant-e-s] un propos énoncé durant l’audience et qui aurait pu être le fruit de la privation de soutien moral dont ceux-ci auraient souhaité bénéficier». Cette motivation est critiquable à deux endroits :

  • Premièrement, elle envisage l’art. 70 al. 2 CPP exclusivement comme disposition destinée à apporter un soutien moral aux prévenu-e-s. Or, comme vu précédemment, cette disposition sert plutôt de correctif en cas de huis clos partiel et doit permettre d’assurer les fonctions essentielles du principe de publicité (BSK StPO-Saxer/Turnheer, N 15 ad Art. 70).
  • Secondement, elle suggère que les autorités pénales pourraient refuser aux parties à une procédure pénale l’accès à des droits fondamentaux (le droit de faire appel à un défenseur [CPP 158 al. 1 let. c], de demander l’assistance d’un-e interprète [CPP 158 al. 1 let. d] ou encore celui d’être entendu [CPP 107]), puis, une fois la procédure terminée, constater que ces violations n’ont pas eu d’incidence causale sur la qualité de la défense et donc ne pas les sanctionner. Si une telle pratique venait à s’imposer, les autorités judiciaires s’immisceraient gravement dans le travail des avocat-e-s.
  1. L’art. 17 CP : La notion de danger imminent retenue par le Tribunal fédéral

Le Tribunal fédéral refuse de mettre les manifestant-e-s au bénéfice de l’excuse de l’état de nécessité licite (art. 17 CP ), motifs pris qu’ils et elles ne se seraient pas trouvé-e-s face à un danger imminent. Contrairement à l’instance précédente, qui avait reconnu que le dérèglement climatique fait courir des dangers imminents à l’Humanité et en l’occurrence aux manifestant-e-s, le Tribunal fédéral estime que, pour que cette condition soit remplie, le danger doit menacer concrètement et de manière pressante le bien juridique concerné. Le caractère imminent de ce danger se caractérise par le lien de connexité direct unissant le danger et le comportement de l’auteur.

Il faut le reconnaitre, cette analyse est le fruit d’un effort interprétatif méticuleusement mené par le Tribunal fédéral. En effet, contrairement à la méthode (ou plutôt à l’absence de méthode) qu’il a utilisée pour interpréter l’art. 70 al. 2 CPP (cf. supra), lorsqu’il recherche le sens de l’art. 17 CP, il met scrupuleusement en œuvre tous les outils interprétatifs à sa disposition.

Le Tribunal fédéral refuse l’application de l’art. 17 CP car il n’existe pas de lien de connexité direct entre les dangers liés au réchauffement climatique et le comportement des manifestant-e-s.

La logique qu’épouse le Tribunal fédéral consiste donc à dire que, comme les dangers que l’Humanité court en 2020 ne peuvent plus être évités par les actions d’aujourd’hui, l’art. 17 CP ne saurait s’appliquer. Les manifestant-e-s ne peuvent pas se proclamer protecteur des intérêts de la population, car leur action ne pourra avoir un impact que dans une dizaine d’années.

C’est en recourant à cette même logique que le Tribunal fédéral avait dénié aux aînées pour le climat un intérêt digne de protection (art. 25a PA) pour agir en responsabilité contre l’Etat (ATF 146 I 145, rés. in lawinside.ch/916) ; les (in)actions des gouvernements en 2020 n’étant pas susceptibles de porter atteinte aujourd’hui à qui que ce soit. Près de chez nous, les juges de la Cour Constitutionnelle allemande sont pour leur part très récemment arrivé à un résultat opposé (arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 24 mars 2021, BvR 2656/18, BvR 96/20, BvR 78/20, BvR 288/20, BvR 96/20, BvR 78/20, cf. en part. cons. 90). Dans un arrêt de 127 pages, embrassant la réalité climatique, les juges allemand-e-s anticipent les charges colossales qui pèseront à compter de 2031 sur les justiciables du fait des inactions des gouvernements en 2021. La Cour constitutionnelle allemande s’en remet notamment à l’impératif de sauvegarde intertemporelle des libertés fondamentalesIntertemporale Freiheitssicherung» ; arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 24 mars 2021, BvR 2656/18, BvR 96/20, BvR 78/20, BvR 288/20, BvR 96/20, BvR 78/20, cf. en part. cons. 116 ss).

À l’inverse des autorités judiciaires de nombreux pays (en  matière d’état de nécessité licite, cf. les arrêts mentionnés dans notre commentaires de la décision de première instance in lawinside.ch/875/; en matière de responsabilité des états, cf. not. l’arrêt de la Cour de Cassation allemande mentionné supra, l’arrêt ECLI:NL:HR:2019:2006 de la Haute Cour d’appel des Pays-Bas du 20 décembre 2019 dans l’affaire Urgenda c. Etat des Pays-Bas, l’arrêt du Tribunal administratif de Paris du 14 janvier 2021 dans l' »affaire du siècle », ou encore les arrêts de la Haute Cour de Lahore des 4 avril 2015, 14 avril 2015 et 25 janvier 2018 dans l’affaire Leghari c. Pakistan), dans l’arrêt que nous commentons ici, le Tribunal fédéral se réfugie derrière une argumentation juridique bien ficelée pour éviter de souscrire à un certain sens de la justice climatique, laquelle suppose toujours de reconnaitre, dans une logique d’intertemporalité, que les actions d’aujourd’hui n’auront des incidences que demain.

Le texte normatif de l’art. 17 CP n’est nullement responsable du résultat auquel est parvenu notre Haute Cour. Comme elle l’a montré dans son analyse de l’art. 70 al. 2 CPP (cf. supra), quand elle souhaite s’affranchir du texte de la loi et des méthodes interprétatives usuellement appliquées, elle le fait.

On ne peut que regretter le résultat auquel parvient le Tribunal fédéral. Aussi solidement construite soit son interprétation, écrire en 2021 que les catastrophes naturelles causées par le réchauffement climatique ne constituent pas un danger imminent présente quelque chose d’anachronique. Les centaines de victimes des récentes inondations en Europe en sont la preuve. Une fois encore, le Tribunal fédéral rate le virage la justice climatique.

  1. La kyrielle d’autres méthodes suggérées par le Tribunal fédéral

Le Tribunal fédéral refuse de mettre les manifestant-e-s au bénéfice d’un fait justificatif extralégal au motif qu’il existerait une kyrielle d’autres méthodes, licites, qui auraient pu être employées pour attirer l’attention de l’opinion publique sur le danger que court l’Humanité et donc enrayer les phénomènes propres à encourager le réchauffement climatique. À l’appui de son argument, le Tribunal fédéral mentionne les manifestations autorisées, les marches et les interventions médiatiques ou culturelles.

Cet argument n’emporte pas la conviction. Outre le fait qu’il occulte le résultat des recherches scientifiques menées depuis plus de 50 ans en psychologie sociale (selon lesquelles la désobéissance civile non violente représente le moyen le plus efficace d’influencer positivement des politiques dommageable pour l’humain; cf. à ce sujet not. Butera/Falomir-Pichastor/Mugny/Quiamzade, Minority influence. In S. G. Harkins, K. D. Williams, & J. M. Burger (Eds.), Oxford library of psychology, The Oxford handbook of social influence (2017) p. 317–337, ou encore Moscovici, Psychologie des minorités actives, passim), il y a quelque chose d’inconvenant à soutenir qu’une intervention culturelle serait capable d’infléchir les politiques climatiques, alors que nos gouvernements – qui se rencontreront à Glasgow au mois de novembre 2021 pour la 26ème fois depuis la COP 1 en 1995 afin de tenter de résoudre la crise climatique – n’y parviennent pas, bien au contraire.

  1. Le refus du Tribunal fédéral d’appliquer les art. 10 et 11 CEDH

Enfin, le Tribunal fédéral refuse d’analyser les conditions d’application des art. 10 et 11 CEDH au motif que les manifestant-e-s ne sauraient se prévaloir de ces libertés sur le fonds d’un propriétaire privé. Cette exclusion de principe ignore la jurisprudence de la CourEDH.

En effet, pour décider si un acte ou un comportement relève du champ d’application de l’exercice de la liberté d’expression garanti à l’art. 10 § 1 CEDH, la CourEDH considère qu’il faut apprécier la nature de l’acte et si celui-ci possède d’un point de vue objectif un caractère expressif (Genton/Favrod-Coune, L’acte expressif répondant à une qualification pénale, La liberté d’expression comme fait justificatif levant l’illicéité «d’infractions» commises pour s’exprimer, [en préparation], qui se réfèrent à Murat Vural c. Turquie, § 54 ; Handzhiyski c. Bulgarie, § 45).

À ce stade liminaire de l’analyse, contrairement à ce que suggère le Tribunal fédéral, lorsqu’une manifestation distille un contenu expressif, «la Cour[EDH] reconnaît l’application de l’article 10 sans considération du lieu» (Guide sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, § 17).

La CourEDH va même jusqu’à considérer que cette disposition trouve application dans la sphère privée (Herbai c. Hongrie, § 37 ; Fuentes Bobo c. Espagne, § 38), aux propos tenus dans une correspondance privée (Zakharov c. Russie, § 23 ; Sofranschi c. Moldova, § 29) ou encore lors d’une réunion tenue à huis clos (Raichinov c. Bulgarie, § 45).

Aussi, «l’article 10 de la Convention connaît un champ de protection très élargi, qu’il s’agisse de la substance des idées ou informations ou de leurs supports » (Guide sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, § 11).

Quant à l’art. 11 CEDH, la CourEDH a rappelé à maintes reprises que «le droit à la liberté de réunion est un droit fondamental dans une société démocratique et, à l’instar du droit à la liberté d’expression, l’un des fondements de pareille société. Dès lors, il ne doit pas faire l’objet d’une interprétation restrictive […]. Comme tel, ce droit couvre à la fois les réunions privées et celles tenues sur la voie publique» (Kudrevičius et autres c. Lituanie [GC]. para. 91 ; cf. ég. not. Djavit An c. Turquie, § 56).

Partant, au stade de l’analyse du champ d’application des art. 10 et 11 CEDH, le lieu d’exercice de liberté d’expression est sans aucune pertinence (Genton/ Favrod-Coune, op. cit., [en préparation]).

C’est ainsi que dans les affaires Baldassi (où des manifestant-e-s appelaient au boycott de certains produits à l’intérieur d’un supermarché ; Baldassi et autres c/ France), Mariya Alekhina et autres c. Russie (où des militantes ont réalisé une performance protestataire consistant à interpréter une chanson punk féministe depuis l’autel de la Cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou ; Mariya Alekhina et autres c. Russie) et Cisse (où environ deux-cents migrant-e-s ont occupé l’église Saint-Bernard à Paris ; Cisse et autres c. France) la CourEDH a considéré qu’il s’agissait de formes d’expression et/ou de réunion qui relevaient du champ d’application des art. 10 ou 11 CEDH, et ce nonobstant le fait que ces lieux se situent en dehors de la voie public (cf. Genton/Favrod-Coune, op. cit., [en préparation]).

Au vu de ces nombreuses décisions de la CourEDH, il est difficile de suivre le Tribunal fédéral lorsqu’il considère que le comportement des manifestant-e-s ne tombe pas dans le champ d’application des art. 10 ou 11 CEDH au motif qu’une succursale de Credit Suisse est un lieu privé.

D’ailleurs dans un arrêt destiné à la publication du 22 avril 2021 (TF, 1B_285/2020*, rés. in crimen.ch/19), la Ière Cour droit public a reconnu à juste titre que des manifestant-e-s ayant organisé le blocus d’un bâtiment d’UBS à Bâle étaient protégé-e-s par leur liberté d’expression et de réunion. Tout comme dans l’analyse de l’art. 70 CPP (cf. supra) il y a ici une divergence d’opinions entre la Cour de droit pénal et la Ière Cour de droit public.

Si le Tribunal fédéral était entré en matière sur l’argument des manifestant-e-s, il aurait pu constater que d’un point de vue de la répression pénale, la CourEDH a constamment établi que l’art. 10 § 2 CEDH ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression, notamment par la répression pénale, dans le domaine des questions d’intérêt général (Castells c. Espagne, § 43 ; Wingrove c. Royaume-Uni, § 58).

Il aurait aussi observé que, toujours selon la CourEDH, on compte parmi les questions d’intérêt général celles qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité. Tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important, ou qui ont trait à un problème dont le public aurait un intérêt à être informé (Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], § 171).

La CourEDH a souligné à plusieurs reprises l’importance des art. 10 et 11 CEDH non seulement pour les «informations» ou «idées» accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (Handyside c. Royaume-Uni, § 49 ; Observer et Guardian c. Royaume-Uni, § 59).

Si le Tribunal fédéral avait accepté d’entrer en matière sur la violation des art. 10 et 11 CEDH, il aurait certainement constaté que l’action des manifestant-e-s débordait de contenus expressifs aussi bienveillants qu’inquiétants qui mériteraient d’occuper une place de choix dans un débat d’intérêt général.

Or, aux dires de la CourEDH, l’art. 10 § 2 CEDH ne laisse aucune place pour des restrictions à la liberté d’expression par la répression pénale dans le domaine des questions d’intérêt général. Si le Tribunal fédéral avait accepté d’ouvrir la Convention Européenne des Droits de l’Homme, il aurait été difficile d’imaginer une autre issue que l’acquittement.

L’auteur de ce résumé participe à la défense de manifestant-e-s pour le climat dans d’autres causes.

Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, La condamnation des activistes du climat par le Tribunal fédéral, in: https://lawinside.ch/1074/

1 réponse

Les commentaires sont désactivés.