La fouille de téléphones portables
Dans le cadre d’une mise sous scellés, le propriétaire identifie de manière suffisante les données bénéficiant de la protection du secret qui se trouvent sur des appareils électroniques saisis en indiquant le nom des applications qui contiennent ces données. Si l’intérêt au maintien de la sphère privée prime l’intérêt à la poursuite pénale, le Tribunal des mesures de contrainte doit trier ces informations avant d’autoriser le Ministère public à fouiller les appareils.
Faits
Le Ministère public Zürich-Limmat mène une enquête pénale à l’encontre d’un prévenu soupçonné d’infraction qualifiée à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup). Lors d’une perquisition de son domicile, le Ministère public saisit deux téléphones portables et une tablette. Les appareils sont mis sous scellés suite à la demande du prévenu. Ce dernier se prévaut d’un intérêt au maintien du secret, invoquant que les appareils contiennent des photos intimes, des conversations personnelles et des correspondances avec ses avocats.
Estimant que le prévenu n’a pas rempli son devoir de motivation, le Tribunal des mesures de contrainte admet la demande de levée des scellés du Ministère public et l’autorise à fouiller les appareils sans procéder à un tri des données.
Le prévenu recourt contre cette ordonnance auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit en particulier examiner si le prévenu a suffisamment identifié les données bénéficiant de la protection du secret, à savoir les photos intimes et conversations personnelles, d’une part, et la correspondance d’avocat, d’autre part.
Droit
Selon l’art. 248 al. 1 CPP, les documents, enregistrements et autres objets qui ne peuvent être ni perquisitionnés ni séquestrés parce que l’intéressé fait valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner ou pour d’autres motifs sont mis sous scellés et ne peuvent être ni examinés, ni exploités par les autorités pénales.
Il incombe au propriétaire qui requiert la mise sous scellés de motiver suffisamment ses intérêts au maintien du secret. Ceci vaut en particulier lorsqu’une grande quantité de données est en cause. Il doit au moins brièvement exposer et rendre vraisemblable les intérêts qu’il fait valoir. Il doit notamment identifier les données bénéficiant de la protection du secret, mais n’est toutefois pas tenu d’exposer le contenu de ces données (cf. ég. ATF 142 IV 207 résumé in LawInside.ch/268/). Si le prévenu ne satisfait pas à cette incombance, le Tribunal des mesures de contrainte n’est pas tenu d’examiner d’office le contenu des documents et objets saisis afin d’identifier d’éventuels secrets.
Dans le cas d’espèce, le prévenu prétend que toutes les photos qui sortent du cadre de la procédure, particulièrement les photos intimes de sa petite amie et de son ex-femme, ainsi que les historiques de conversations avec sa petite amie, son ex-femme, ses parents, frères et sœurs et son filleul constituent des secrets privés. Selon lui, ces données strictement personnelles devaient être triées faute de rapport avec l’enquête pénale. Il indique que les photos se trouvent sur les appareils saisis dans l’application « photos ». Il invoque que si on lui accordait le droit de consulter le dossier avant le tri, il serait en mesure d’identifier chaque photo concernée. Il a en outre précisé que les historiques de conversations se trouvaient dans les applications « Whatsapp », « Threema » et « E-Mail ».
Le Tribunal fédéral relève que le prévenu a indiqué de manière suffisamment précise l’emplacement des photos et conversations intimes qui n’étaient pas pertinentes pour l’enquête pénale. Le Tribunal fédéral ne voit pas comment le prévenu aurait pu identifier les données de manière plus précise sans avoir accès aux appareils saisis. Par ailleurs, il n’est pas établi dans quelle mesure les photos intimes et les conversations du prévenu avec sa petite amie et sa famille seraient pertinentes aux fins de l’enquête pénale.
Ainsi, l’intérêt du prévenu à la protection de sa sphère privée (art. 13 al. 1 Cst.) l’emporte sur l’intérêt à la poursuite pénale. Comme le prévenu a suffisamment rempli son devoir de motivation (art. 248 al. 1 CPP cum art. 42 al. 1 et 2 LTF), l’instance précédente doit procéder au tri de ces données manifestement non pertinentes.
Le Tribunal fédéral constate également que le prévenu a également rempli son devoir de collaboration et de motivation en ce qui concerne la correspondance d’avocat. Le prévenu a indiqué de manière concrète que la correspondance avec ses deux avocats, qui est soumise au secret absolu, se trouvait sur les trois appareils saisis dans les applications « Photos », « Whatsapp », « Threema », « Téléphonie » et « E-Mail ». Les noms des deux avocats étant connus, le Tribunal fédéral soulève que ceux-ci peuvent facilement être retrouvés avec la fonction de recherche sur les appareils. Le tri de cette correspondance peut donc être effectué sans effort particulier.
Il ressort de ce qui précède que le Tribunal des mesures de contrainte aurait dû identifier et trier la correspondance d’avocat. En autorisant le Ministère public à fouiller intégralement les appareils et à utiliser les résultats de la fouille à l’encontre du prévenu, le Tribunal des mesures de contrainte a violé le droit fédéral.
Partant, le Tribunal fédéral admet le recours, annule l’ordonnance attaquée et renvoie la cause au Tribunal des mesures de contrainte pour nouvel examen.
Proposition de citation : Noé Luisoni, La fouille de téléphones portables, in: https://lawinside.ch/1040/