La notification de l’acte introductif d’instance (art. 27 et 29 LDIP)
ATF 142 III 180 | TF, 19.02.2015, 4A_120/2015*
Faits
En 2006, suite à une demande de faillite personnelle du demandeur (domicilié aux États-Unis), un juge des faillites américain ordonna à une société créancière (siège en Suisse) de retirer une saisie immobilière conservatoire ainsi que d’autres procédures. Le demandeur affirme avoir déposé, le 18 août 2008 et suite à l’inexécution de la société, une demande de sanctions (Motion for sanctions) notifiée conformément à la Convention de la Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. Il ne produit toutefois ni cette demande ni les pièces attestant de sa notification.
Le 9 janvier 2009, le demandeur a adressé au juge des faillites américain une requête de fixation d’une audience (Motion to set hearing on ex parte proof of damages) afin de prononcer le défaut contre la société et de fixer une audience ayant pour objet la preuve du dommage ; y étaient joints un projet d’ordonnance de défaut et de fixation d’audience et une notice (Notice of motion to set hearing on ex parte proof of damages), informant la société qu’elle disposait d’un délai de 11 jours après notification pour déposer une objection écrite contre la demande de sanctions, à défaut de quoi il pourrait être statué sur la demande de sanctions sans audience. Ces documents ont été envoyés à la société par l’avocat du demandeur par pli postal. Le 22 janvier 2009, le juge des faillites a signé l’ordonnance de défaut et de fixation d’audience, constaté le défaut de la société, faute pour elle d’avoir répondu à la demande de sanctions du 18 août 2008, et fixé l’audience au 18 février 2009. Lors de cette audience, seul le conseil du demandeur a comparu. Par jugement signé du 9 mars 2009, le juge américain a condamné la société à payer au demandeur un montant de 1,4 million USD à titre de dommages-intérêts. Cet acte a été valablement notifié.
En 2012, le demandeur a adressé à l’autorité compétente une requête d’exequatur du jugement américain. Cette requête a été rejetée et la décision de rejet a été confirmée en dernière instance cantonale. Le demandeur forme en conséquence un recours en matière civile au Tribunal fédéral, lequel doit déterminer quel est l’acte introductif d’instance et si celui-ci a été valablement notifié au défendeur.
Droit
En l’absence de convention en matière de reconnaissance et d’exécution entre la Suisse et les États-Unis, le jugement ne peut être reconnu et exécuté qu’aux conditions de l’art. 25 LDIP. La reconnaissance et la déclaration de force exécutoire (art. 28 LDIP) doivent notamment être refusées si une partie établit qu’elle n’a pas été citée régulièrement, ni selon le droit de son domicile, ni selon le droit de sa résidence habituelle, à moins qu’elle n’ait procédé au fond sans faire de réserve (art. 27 al. 2 let. a LDIP). En cas de jugement par défaut, la requête doit être accompagnée d’un document officiel établissant que le défaillant a été cité régulièrement et qu’il a eu la possibilité de faire valoir ses moyens (art. 29 al. 1 let. c LDIP).
La « citation régulière » vise la notification de l’acte introductif d’instance, par lequel le défendeur est informé de la procédure ouverte contre lui et de la possibilité de faire valoir ses moyens de défense. Le défendeur est invité à procéder devant le tribunal par une première manifestation en tant que partie (mémoire, comparution, élection de domicile ou autre). L’art. 27 al. 2 let. a LDIP exige que la notification de cet acte soit valable selon les règles de l’État de domicile du destinataire. Lorsque celui-ci est domicilié en Suisse et que l’Etat d’origine est partie à la CLaH65, c’est au regard de cette convention qu’il y a lieu de contrôler la validité de la notification. Par ailleurs, la Suisse n’accepte pas que les actes judiciaires soient notifiés par voie postale au sens de l’art. 10 let. a CLaH65.
Dès lors, le Tribunal fédéral doit en premier lieu déterminer quel était l’acte introductif d’instance. Contrairement à ce que la cour cantonale a retenu, il ne s’agit pas de la citation à l’audience du 18 février 2009, mais du premier acte par lequel la société a été informée de l’existence d’une procédure ouverte contre elle et de la possibilité de faire valoir des moyens de défense. D’après le jugement américain, le fondement de la condamnation de la société réside dans la demande de sanctions du 18 août 2008 (Motion for sanctions). C’est parce que la société n’a pas répondu à cette demande que l’ordonnance du 22 janvier 2009 constate le défaut et fixe une audience. Il est par ailleurs évident que le juge n’a pas rendu une Notice of Motion to set hearing on ex parte proof of damages le 9 janvier 2009, puisqu’il s’agit d’un acte rédigé par l’avocat du demandeur, auquel sont joints la requête de fixation d’une audience et un projet d’ordonnance. Cette requête ne saurait donc être l’acte introductif d’instance. C’est donc bien la demande de sanctions qui constitue l’acte introductif d’instance.
En second lieu, le Tribunal fédéral doit examiner si l’acte introductif d’instance a été régulièrement notifié à la société. En présence d’un jugement par défaut, comme c’est le cas en l’espèce, l’art. 29 al. 1 let. c LDIP fait supporter le fardeau de la preuve de la notification régulière à celui qui demande la reconnaissance. Celui-ci doit apporter la preuve par titres que l’acte a été notifié régulièrement. Il doit ainsi produire un exemplaire de l’acte et l’attestation de notification de l’autorité compétente du domicile du défendeur défaillant. En l’absence de ces titres, la preuve n’est pas rapportée et la reconnaissance doit être refusée. En l’espèce, le demandeur n’a produit ni la demande de sanctions ni l’attestation officielle prouvant la notification régulière de celle-ci. Partant, il n’a pas prouvé à satisfaction de droit la citation régulière. Le fait que l’ordonnance du 22 janvier 2009 mentionne que la demande de sanctions aurait été notifiée le 10 octobre 2008 et que le jugement du 9 mars 2009 indique que la notification serait conforme à la CLaH65 ne suffisent pas. Par ailleurs, il ne suffit pas que la société ait eu de quelque manière connaissance de l’instance et de la possibilité de se présenter à l’audience ultérieure. La LDIP va au-delà de l’art. 34 par. 2 CL et exige la notification régulière selon les règles applicables au domicile du destinataire.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que l’instance précédente a rejeté la demande d’exequatur. Le recours est donc rejeté.
Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, La notification de l’acte introductif d’instance (art. 27 et 29 LDIP), in: https://lawinside.ch/203/