La qualification comme salaire d’une rémunération dont le montant est fixé à l’avance
Une rémunération dont le montant est fixé à l’avance, payable à des échéances déterminées et indépendante de l’appréciation de l’employeur doit être qualifiée de salaire. Pour cette raison, une clause subordonnant le paiement du salaire à la condition que le travailleur soit encore employé à une certaine date est illicite et nulle (art. 20 CO).
Faits
Le 2 septembre 2019, une société engage un travailleur pour un salaire annuel de CHF 448’800. Le contrat prévoit également un bonus discrétionnaire ainsi qu’une indemnité de compensation pour des actions restreintes (Restricted Stock Units ou RSU) non perçues dans son précédent emploi. Cette indemnité de CHF 700’000 est payable en trois tranches égales : la première à l’engagement, la deuxième après 12 mois de service et la troisième après 24 mois de service.
Moins d’une année après l’engagement du travailleur, la société doit licencier collectivement tous ses employés en raison de la dégradation de sa situation financière. Le contrat du travailleur est ainsi résilié au 31 août 2020. Dans ce cadre, la société propose de lui verser un montant comprenant le paiement de la deuxième tranche des RSU. Le travailleur conteste ce montant et réclame également le paiement de la troisième tranche.
Le travailleur intente une action en paiement afin de réclamer diverses indemnités ainsi que les deux dernières tranches des RSU. Après le rejet de sa demande en première instance et le rejet de son appel sur ce point par la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice genevoise, le travailleur interjette recours au Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à se prononcer sur la qualification de l’indemnité de CHF 700’000 prévue contractuellement.
Droit
Tout d’abord, le Tribunal fédéral rappelle la jurisprudence applicable en matière de rémunération et distingue 3 situations : (1) le salaire, (2) la gratification à laquelle l’employé a droit et (3) la gratification à laquelle il n’a pas droit.
Dans le cas 1, la rémunération est promise dans son principe dans le contrat et le montant doit être déterminé ou déterminable en fonction de critères objectifs. Elle ne dépend ainsi pas de l’appréciation de l’employeur et ne peut pas être subordonnée à la non-résiliation du contrat à une certaine date. Si des clauses dérogeant à ces principes sont prévues contractuellement, elles sont illicites et nulles (art. 20 CO). Dans les cas 2 et 3, la rémunération est indéterminée ou objectivement indéterminable. Dans ces cas, le paiement peut être conditionnel en respectant les limites de l’art. 27 al. 2 CC.
La Chambre des prud’hommes de la Cour de justice a considéré que la rémunération de CHF 700’000 était une gratification au sens de l’art. 322d CO sans discuter de son caractère déterminé ou indéterminé. Elle a estimé que, dans la mesure où les rapports de travail ont pris fin le 31 août 2020 et où l’exigibilité de la deuxième tranche était fixée au 2 septembre 2020, le travailleur ne pouvait pas exiger le paiement de la deuxième tranche.
En l’espèce, le Tribunal fédéral ne suit pas ce raisonnement et considère que, dans la mesure où le montant de CHF 700’000 a été prévu contractuellement et a été déterminé d’avance, il est promis dans son principe à des dates fixes et ne dépend pas du bon vouloir de l’employeur. Par conséquent, cette rémunération doit être qualifiée de salaire et le travailleur a droit au paiement de la deuxième tranche correspondant à la période durant laquelle il était employé (pro rata temporis). Toutefois, dans la mesure où les rapports de travail ont cessé le 31 août 2020, il n’y a pas de droit au paiement de la troisième tranche puisqu’elle concerne une période postérieure à la fin des rapports de travail. Finalement, la clause subordonnant le paiement du salaire à la condition que le travailleur soit encore employé à une certaine date est illicite et nulle (art. 20 CO).
Partant, le recours est partiellement admis.
Note (Par Simone Schürch)
Le Tribunal fédéral se montre très rigoureux dans l’application de sa jurisprudence relative au bonus. On peut légitimement se demander si le résultat auquel il parvient correspondait bien à la réelle intention des parties s’agissant du versement de la prime pour RSU dans le cas d’espèce. À tout le moins, le Tribunal fédéral pose une limite temporelle claire en ce sens que la troisième tranche de la prime n’était pas due, même pas au pro rata de la période travaillée. Ce point n’allait à notre sens pas de soi puisqu’en cas de (re)qualification d’un bonus en salaire, celui-ci est dû au pro rata si la relation de travail se termine en cours d’année.
Se pose également la question de savoir si les mêmes contraintes s’appliquent en matière de primes d’ancienneté. Le versement de telles sommes est typiquement prévu dans des documents internes rédigés à l’attention du personnel, et a généralement portée contractuelle. Est-ce que le même traitement serait réservé à l’employé licencié juste après avoir atteint l’âge donnant droit à une telle prime ? Suite à cet arrêt il faudrait très vraisemblablement répondre de façon affirmative.
Dans tous les cas, l’arrêt sert de rappel aux employeurs quant à l’importance de prévoir explicitement des possibilités de réduire ou supprimer le versement de telles primes dans certains cas. Spécifiquement, l’employeur doit disposer d’une certaine marge de manœuvre lui permettant de déterminer si la prime est due. Conditionner le versement à l’absence de résiliation est également un élément qui dans l’examen de la nature de ces montants penche pour une qualification en tant que gratification.
Proposition de citation : Sébastien Picard and Simone Schürch, La qualification comme salaire d’une rémunération dont le montant est fixé à l’avance, in: https://lawinside.ch/1612/