L’avocat·e qui s’en rapporte à justice
En fonction des circonstances, l’avocat·e ne viole pas son devoir de diligence en s’en rapportant à justice plutôt que de plaider que l’appel est réputé retiré lorsqu’un·e autre appelant·e fait défaut (art. 407 al. 1 lit. a CPP). En l’espèce, cette faute technique n’atteint pas le seuil de gravité nécessaire pour tomber sous le coup de l’art. 12 lit. a LLCA.
Faits
Précédemment inscrit au registre des avocat·es membres de l’UE/AELE, un avocat est inscrit au registre du canton de Genève depuis 2013.
L’avocat est nommé d’office dans un cas de défense obligatoire. Le Tribunal de police genevois condamne son mandant, le reconnaissant coupable notamment de lésions corporelles simples. Il l’acquitte toutefois de tentative de viol et de contrainte sexuelle.
En appel, la personne qui accuse le mandant de tentative de viol et de contrainte sexuelle ne se présente pas. L’avocat de l’absente, sans nouvelles récentes de sa part, demande à pouvoir représenter sa cliente sur la base de la procuration conférée plusieurs années plus tôt. Invité à se prononcer sur le défaut, le défenseur s’en rapporte à justice, tandis que le Ministère public conclut au retrait de l’appel.
Après délibération, la Chambre pénale déclare prendre acte du retrait de l’appel et révoque, faute de défense obligatoire, le mandat d’office du défenseur.
Dans son arrêt préparatoire, transmis à la Commission du barreau, la Chambre insiste également sur le fait que la défense du mandant n’est plus assurée. Selon elle, l’avocat n’aurait pas agi de manière adéquate à l’audience en se rapportant à justice plutôt que de plaider le retrait de l’appel.
La Commission du barreau prononce un avertissement à l’encontre de l’avocat pour violation de son devoir de diligence. La Chambre administrative de la Cour de justice rejette le recours de l’avocat, qui saisit le Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si le comportement de l’avocat était constitutif d’une violation de son devoir de diligence.
Droit
Selon l’art. 12 lit. a LLCA, l’avocat·e exerce sa profession avec soin et diligence. Cette première lettre de la disposition constitue une clause générale. Elle permet d’exiger de l’avocat·e qu’il·elle se comporte correctement dans l’exercice de sa profession, bien qu’il·elle dispose d’une large marge de manœuvre s’agissant notamment de sa stratégie dans la défense des intérêts de ses client·es. La grille des sanctions prévues par la LLCA débutant avec le simple avertissement, l’autorité de surveillance peut déjà appliquer le droit disciplinaire pour des manquements peu importants.
S’agissant des fautes professionnelles de nature technique, il convient d’apporter une certaine nuance à cette règle. La doctrine est d’avis que des conseils erronés, une erreur de procédure, une démarche procédurale fausse ou inadéquate d’un point de vue stratégique ou psychologique ne suffisent pas, seuls, pour constituer une faute qui relève du droit disciplinaire. Pour atteindre ce seuil, l’avocat·e doit conseiller son·sa client·e d’une manière contraire à ses intérêts, sur la base d’une erreur grossière ou d’une négligence grave, voire même agir intentionnellement à l’encontre des intérêts de son·sa client·e.
En outre, le fait que le mandant n’ait finalement pas subi de préjudice n’est pas pertinent au regard du droit disciplinaire, qui poursuit un but d’intérêt public. Il vise en effet à sauvegarder la confiance du public dans la profession d’avocat·e, sans nécessité que le mandant ne subisse un dommage.
L’art. 407 al. 1 lit. a CPP dispose que l’appel ou l’appel joint est réputé retiré si la partie qui l’a déclaré fait défaut aux débats d’appel sans excuse valable et ne se fait pas représenter. En l’espèce, l’appelante, qui concluait à la condamnation du mandant, ne s’est pas présentée. La Chambre pénale n’a pas admis que son avocat la représente sur la base d’une procuration ancienne de trois ans, s’agissant d’un cas de parole contre parole.
En l’espèce, en s’en rapportant à justice, et compte tenu de la marge d’appréciation dont il bénéficie, l’avocat n’a pas commis une faute technique atteignant le seuil de gravité nécessaire pour tomber sous le coup de l’art. 12 lit. a LLCA.
En effet, la Chambre pénale a elle-même soulevé la question de l’application de l’art. 407 CPP, compte tenu du défaut de l’appelante qui avait été dûment citée à comparaître. L’avocat de l’appelante avait déjà annoncé qu’il n’avait pas eu de nouvelle de sa mandante, qui n’avait donc a priori pas d’excuse valable pour ne pas se présenter à l’audience. Enfin, avant que le recourant ne soit appelé à s’exprimer sur l’art. 407 CPP, le Ministère public avait déjà plaidé que l’appel devait être réputé retiré.
Il découle de ce qui précède que l’autorité inférieure a violé l’art. 12 lit. a LLCA en considérant que le comportement de l’avocat tombait sous le coup de cette disposition. Le Tribunal fédéral admet le recours.
Proposition de citation : Camille de Salis, L’avocat·e qui s’en rapporte à justice, in: https://lawinside.ch/1600/