La pratique de la représentation en justice en Suisse à titre permanent par un avocat ressortissant d’un État membre de l’UE ou de l’AELE (art. 27 et 28 LLCA)

TF, 26.02.2025, 2C_271/2024*

Pour pratiquer la représentation en justice en Suisse à titre permanent et requérir son inscription au tableau (art. 27 et 28 LLCA), un avocat ressortissant d’un État membre de l’UE ou de l’AELE habilité à exercer dans son État de provenance n’a plus besoin de démontrer qu’il entend pratiquer de manière stable et durable en Suisse ; il suffit qu’il démontre qu’il ait l’intention de s’établir en Suisse (revirement de jurisprudence).

Faits

Un avocat germano-autrichien exerce en Autriche et au Liechtenstein, endroit dans lequel il réalise 90% de son chiffre d’affaires. En 2023, il obtient une autorisation de séjour pour activité lucrative en Suisse d’une durée de 5 ans ; il ouvre un cabinet dans le canton de Saint-Gall.

Il demande ensuite à l’Anwaltskammer du canton de Saint-Gall de l’inscrire au tableau des avocats des États membres de l’UE ou de l’AELE autorisés à pratiquer la représentation en justice en Suisse. Le Président de l’Anwaltskammer rejette la demande, tout comme l’Anwaltskammer. Puis, le Verwaltungsgericht du canton de Saint-Gall confirme le rejet de la demande.

L’avocat forme alors recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur les conditions d’inscription au tableau pour les avocats étrangers.

Droit

L’instance précédente a estimé que l’avocat germano-autrichien ne pouvait pas être admis à pratiquer de manière permanente au sens de l’art. 27 LLCA car il n’exerçait pas de manière stable et durable en Suisse. Cette circonstance se vérifiait au vu des 90% de chiffre d’affaires que l’avocat réalisait au Liechtenstein.

L’art. 27 LLCA autorise l’avocat ressortissant d’un État membre de l’UE ou de l’AELE habilité à exercer dans son État de provenance à pratiquer la représentation en justice en Suisse à titre permanent, à condition qu’il soit inscrit au tableau. L’art. 28 LLCA ne prévoit qu’une seule condition pour obtenir l’inscription au tableau : il doit produire une attestation d’inscription auprès de l’autorité compétente de son État de provenance.

Cela étant, le Tribunal fédéral avait par le passé posé des conditions supplémentaires pour obtenir une inscription au tableau, lesquelles s’inspiraient de développements européens sur la question. Ainsi, il avait jugé qu’une activité « permanente » en Suisse était nécessaire pour être inscrit au tableau (TF, 09.08.2004, 2A.536/2003, consid. 4.1). Par la suite, il avait considéré que l’activité permanente ne pouvait se concrétiser que lorsque l’activité en Suisse constituait « le centre de gravité de l’activité professionnelle de l’avocat » (TF, 19.12.2011, 2C_694/2011, consid. 4.4).

La jurisprudence européenne a cependant largement évolué pendant les dernières années. En particulier, la CJUE a considéré que les réglementations nationales ne pouvaient pas subordonner l’inscription d’un avocat étranger à des conditions supplémentaires ; obliger l’avocat à être présent dans la seconde étude de manière permanente viole le droit applicable (cf. parmi d’autres CJUE, 07.05.2019, C-431/17, para. 27 ; 17.07.2014, C-58/13, para. 39 ; 19.09.2006, C-193/05, para. 71).

Ces développements doivent être repris par la jurisprudence suisse, car la LLCA vise à permettre l’intégration au marché unique européen. Partant, un avocat peut demander son inscription au tableau à condition qu’il produise une attestation d’inscription auprès de l’autorité compétente de son État de provenance et qu’il ait l’intention de s’établir en Suisse. En principe, cette seconde condition est remplie lorsque l’avocat veut exploiter une étude en Suisse et prend des dispositions en ce sens. A ce sujet, une activité qui perdure au-delà de 90 jours doit être considérée comme permanente, d’autant plus qu’il s’agit de la limite temporelle à pouvoir fournir librement des prestations de services en Suisse (cf. art. 21 ss LLCA).

En l’espèce, le chiffre d’affaires réalisé par l’avocat au Liechtenstein n’était donc pas pertinent pour déterminer s’il exerçait une activité permanente en Suisse. Il convenait plutôt de prendre en compte le fait que l’avocat a ouvert une étude à Saint-Gall et y dispose d’une adresse postale. Rien n’indique qu’il entend exercer en Suisse de manière ponctuelle ; selon ses déclarations, il souhaite transférer l’essentiel de son activité en Suisse. Par conséquent, le Verwaltungsgericht du canton de Saint-Gall a violé les art. 27 et 28 LLCA en rejetant l’inscription au tableau de l’avocat.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Proposition de citation : Arnaud Lambelet, La pratique de la représentation en justice en Suisse à titre permanent par un avocat ressortissant d’un État membre de l’UE ou de l’AELE (art. 27 et 28 LLCA), in: https://lawinside.ch/1593/