La durée maximale de la détention administrative en vue du renvoi ou de l’expulsion (art. 79 LEI)
L’autorité administrative qui, sur la base de l’art. 76 LEI, ordonne la détention d’une personne en vue de l’exécution de l’expulsion judiciaire (art. 66a ss CP) n’a pas à prendre en compte, au regard de la durée maximale de détention de l’art. 79 LEI, la durée de détentions administratives antérieures faisant suite à une décision de renvoi dans la procédure d’asile (art. 44 et 45 LAsi).
Faits
Suite à une décision de renvoi prononcée dans la procédure d’asile (art. 44 et 45 LAsi), un ressortissant étranger est placé en détention administrative du 13 août 2009 au 11 novembre 2010, puis du 19 novembre 2015 au 4 janvier 2016, sans que le renvoi ne puisse être exécuté. Le 24 septembre 2018, il est condamné à une peine privative de liberté de 150 jours pour vol et violation de domicile. Le juge pénal ordonne également son expulsion pour une durée de 5 ans, en application de l’art. 66a al. 1 CP. Après l’exécution de sa peine, l’autorité administrative compétente ordonne la mise en détention administrative du ressortissant étranger pour une durée de 6 mois, en raison du risque de soustraction à l’expulsion. Les instances de recours cantonales réduisent la durée de cette détention à 3 mois. Le Secrétariat d’État forme un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral doit examiner si la durée de la détention administrative résultant d’une décision de renvoi dans la procédure d’asile et celle prononcée en vue de l’exécution d’une expulsion judiciaire au sens des art. 66a ss CP doivent s’additionner pour calculer la durée maximale de la détention prévue à l’art. 79 LEI (anciennement LEtr).
Droit
L’art. 79 LEI prévoit que la durée totale d’une détention ordonnée en vertu du droit des étrangers (cf. art. 75 à 78 LEI) ne doit pas excéder 6 mois. À certaines conditions, cette durée peut être prolongée de 12 mois au maximum. Selon la jurisprudence fédérale, pour calculer la durée totale d’une détention ordonnée en vertu du droit des étrangers, il convient en cas de détentions multiples d’additionner les durées de détention d’une seule et même procédure de renvoi. En revanche, si la décision de mise en détention intervient dans le cadre d’une nouvelle procédure de renvoi indépendante des procédures antérieures, les délais légaux recommencent à courir et une détention est à nouveau admissible pour la durée maximale prévue à l’art. 79 LEI (cf. notamment ATF 143 II 113 c. 3.2).
Le Tribunal fédéral commence par préciser que la détention administrative en vue du renvoi ou de l’expulsion de l’art. 76 LEI, prononcée en l’espèce, doit être distinguée de la détention pour motifs de sûreté qui peut être ordonnée par le juge pénal sur la base des art. 220 al. 2 et 231 al. 1 let. a CPP afin de garantir l’exécution de l’expulsion judiciaire (art. 66a ss CP) (cf. ATF 143 IV 168 résumé in LawInside.ch/440/).
Il se penche ensuite sur les mesures qui peuvent fonder la détention administrative de l’art. 76 LEI et relève que le renvoi ordonné dans la procédure d’asile et celui prononcé lors de l’expulsion judiciaire diffèrent sur plusieurs points. En effet, le renvoi dans la procédure d’asile est une mesure de droit administratif (art. 44 et 45 LAsi), prononcée par une autorité administrative. Il constitue une mesure d’éloignement (Entfernungsmassnahme), qui a pour but de mettre un terme à un séjour non autorisé en Suisse. Sous réserve d’une interdiction d’entrée ordonnée conjointement, la décision de renvoi en matière d’asile n’empêche pas le ressortissant étranger de revenir en Suisse pour un séjour ne nécessitant pas d’autorisation. L’expulsion judiciaire, quant à elle, relève du droit pénal (art. 66a ss CP) et doit être ordonnée par un juge pénal. Elle ne dépend pas de la légitimité du séjour en Suisse, puisque l’existence d’un titre de séjour n’empêche pas le juge pénal de la prononcer. Au-delà d’une mesure d’éloignement, l’expulsion judiciaire représente également une interdiction d’entrée en Suisse (Fernhaltemassnahme) dont la violation est punissable pénalement (cf. art. 291 CP). En outre, l’expulsion judiciaire et la décision de renvoi en matière d’asile peuvent être ordonnées nonobstant le prononcé préalable de l’une ou l’autre ; l’art. 26g al. 1 OERE réglant leur concours.
Aussi, la détention administrative faisant suite à une expulsion judiciaire ordonnée sur la base des art. 66a ss CP ne s’inscrit pas dans la même procédure de renvoi, au sens de la jurisprudence précitée, que celle faisant suite à un refus d’entrée en matière portant sur une demande d’asile. Par conséquent, les durées respectives de ces détentions n’ont pas à être additionnées pour calculer la durée maximale de l’art. 79 LEI.
Le Tribunal fédéral précise cependant que la durée de la détention administrative, envisagée dans son ensemble, doit toujours respecter le principe de proportionnalité. Il reconnaît que le cumul possible de la détention ordonnée à la suite d’un renvoi dans une procédure d’asile (art. 44 et 45 LAsi) et de celle ordonnée à la suite d’une expulsion judiciaire (art. 66a ss CP) peut, lorsque ces deux détentions se suivent rapidement dans le temps, violer ledit principe. Pour que l’addition des mesures se révèle proportionnée, il faut que plusieurs années se soient écoulées entre les deux procédures.
Dans le cas d’espèce, presque neuf ans se sont écoulées entre les deux types de détentions administratives, de sorte qu’il n’est pas contraire au principe de la proportionnalité de considérer que le ressortissant étranger puisse à nouveau être détenu et qu’un nouveau délai légal au sens de l’art. 79 al. 1 LEI commence à courir. Le Tribunal fédéral admet le recours et confirme l’ordre de mise en détention pour une durée de 6 mois.
Proposition de citation : Noémie Zufferey, La durée maximale de la détention administrative en vue du renvoi ou de l’expulsion (art. 79 LEI), in: https://lawinside.ch/859/