L’avocat n’est généralement pas un confident nécessaire (art. 173 CP)

ATF 145 IV 462TF, 09.09.2019, 6B_127/2019*

L’avocat n’est généralement pas un confident nécessaire, de sorte qu’il doit être qualifié de tiers. Son mandant peut donc être reconnu coupable de diffamation ou de calomnie s’il lui confie des faits attentatoires à l’honneur de la partie adverse.

Faits

Lors d’un différend portant sur la construction d’un catamaran, l’acheteur, par l’intermédiaire de son avocat, indique au vendeur qu’il le tient personnellement responsable des déboires et du grave préjudice financier qu’il a subis. En effet, il semble que l’argent versé au vendeur ait été utilisé pour la construction d’autres navires, ce qui pouvait relever d’une infraction pénale. Le vendeur avait en outre astucieusement amené l’acheteur à lui verser le montant de € 125’000.- en lui faisant croire qu’à défaut de paiement, le bateau serait perdu. Enfin, une éventuelle procédure de faillite relèverait de la banqueroute.

Suite à ces propos, le vendeur porte plainte contre l’acheteur pour calomnie, diffamation et injure. Le Ministère public du canton de Genève rend une ordonnance de non-entrée en matière, ordonnance confirmée par la Chambre pénale de recours. Celle-ci a estimé en substance que l’avocat était un confident nécessaire et qu’aucun propos attentatoire à l’honneur n’avait été communiqué à un tiers.

Saisi par le vendeur, le Tribunal fédéral doit ainsi clarifier si l’avocat est un confident ou un tiers au regard des dispositions sur la diffamation et la calomnie.

Droit

Après avoir rappelé le principe in dubio pro duriore, le Tribunal fédéral cite les dispositions sur la diffamation (art. 173 CP) et la calomnie (art. 174 CP). Celles-ci imposent de communiquer à un tiers un fait attentatoire à l’honneur. À défaut de tiers, la diffamation et la calomnie sont exclues. En revanche, un jugement de valeur adressé à un tiers ou à la victime peut remplir les conditions de l’injure (art. 177 CP). Le droit pénal ne protège pas l’honneur professionnel, sauf si on reproche à une personne un comportement pénalement répréhensible ou clairement contraire aux valeurs morales.

Selon la jurisprudence, est considéré comme un tiers, toute personne autre que l’auteur et le sujet des propos qui portent atteinte à l’honneur. La majorité de la doctrine estime que cette définition est trop large : l’avocat ne devrait pas être assimilé à un tiers, car il constitue un confident nécessaire pour son client. Dès lors, des propos attentatoires à l’honneur communiqués à un avocat ne devraient pas constituer une diffamation ou une calomnie.

Le Tribunal fédéral passe en revue sa jurisprudence sur la question et constate qu’il qualifie généralement l’avocat de tiers. Il n’existe pas de raison de s’écarter de cette pratique.

Dans le cas concret, le Tribunal fédéral retient que le client avait vraisemblablement communiqué à son avocat les propos litigieux sur le vendeur afin qu’ils les utilisent contre ce dernier. Par conséquent, l’avocat ne pouvait pas être considéré comme un confident. L’autorité précédente a donc violé le droit en confirmant l’ordonnance de non-entrée en matière sur ce seul élément.

Le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie l’affaire à l’instance précédente pour nouvelle décision.

Note

Après avoir rappelé sa jurisprudence selon laquelle l’avocat est normalement un tiers, le Tribunal fédéral ne se limite pas à en tirer les conséquences dans le cas concret. Il précise plutôt que « les faits constatés par l’arrêt entrepris ne permettent pas de penser que X aurait communiqué des propos susceptibles d’être attentatoires à l’honneur du recourant à son avocat en comptant sur le fait que ce dernier ne les communiquerait pas plus loin […]. L’avocat ne saurait dans ces conditions être considéré comme un  » confident «  ». Le Tribunal fédéral semble donc retenir, mais sans le dire expressément, que l’avocat peut être un confident nécessaire. Dans le cas contraire, il aurait pu s’abstenir de préciser les circonstances dans lesquelles le prévenu avait confié les propos à son avocat. Il aurait toutefois été préférable que le Tribunal fédéral indique clairement si et à quelles conditions on peut qualifier l’avocat de confident nécessaire.

À notre avis, on devrait pouvoir tirer de cette jurisprudence qu’un avocat constitue un confident nécessaire pour autant que son client lui confie des faits qu’il doit garder pour lui. En pratique, on voit toutefois peu de situations où le prévenu pourrait invoquer ce moyen de défense. En effet, si les autorités pénales ouvrent une procédure, cela devrait signifier que l’avocat ait divulgué les faits qu’il était censé garder pour lui.

Dès lors, l’avocat doit être très prudent lorsqu’il écrit à la partie adverse pour lui reprocher des faits rapportés par son client. Même si le courrier ne contient pas de jugement de valeur, ce qui exclut l’injure, il constitue la preuve que le client a communiqué à son avocat des faits potentiellement attentatoires à l’honneur sur la partie adverse. Dans cette mesure, il ne reste plus qu’au client la possibilité d’invoquer la preuve libératoire de l’art. 173 ch. 2 CP qui prévoit que « l’inculpé n’encourra aucune peine s’il prouve que les allégations qu’il a articulées ou propagées sont conformes à la vérité ou qu’il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies ».

À ce sujet, le Tribunal fédéral relève dans l’arrêt résumé que si le client converse avec son avocat de propos qui ne sont pas absolument dénués de fondement, il lui suffira d’invoquer certains indices à l’appui de ses déclarations pour établir sa bonne foi au sens de l’art. 173 ch. 2 CP et échapper à toute condamnation pénale. Le Tribunal fédéral atténue donc un peu la sévérité de la qualification de principe de l’avocat en tant que tiers.

Proposition de citation : Julien Francey, L’avocat n’est généralement pas un confident nécessaire (art. 173 CP), in: https://lawinside.ch/830/