La bonne foi dans l’indication erronée d’un délai de recours
ATF 141 III 270 | TF, 17.06.2015, 5A_878/2014*
Faits
Dans le cadre d’une action révocatoire faisant suite à un prononcé de faillite d’une société anonyme, les défendeurs obtiennent du Juge instructeur de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois la suspension de la procédure civile jusqu’à droit connu sur une procédure pénale parallèle. Le jugement incident a été notifié le 22 mai 2014 aux parties. Dans la section consacrée aux voies de droit, le jugement indiquait que les parties pouvaient déposer un recours dans les 30 jours qui suivaient la notification de la décision.
Par recours déposé le 19 juin 2014 auprès de la Chambre des recours civile du Tribunal cantonal vaudois, le demandeur conclut à l’annulation du jugement incident de suspension. La Chambre des recours déclare le recours irrecevable, faute d’avoir été déposé dans les 10 jours qui suivent la notification du jugement incident conformément à l’art. 321 al. 2 CPC.
Contre cette décision, le demandeur forme un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Il demande que l’arrêt de la Chambre des recours soit annulé et que celle-ci entre en matière sur son recours, en vertu du principe de la protection de la bonne foi.
Le Tribunal fédéral doit dès lors se prononcer sur la question de savoir si la bonne foi du demandeur quant à la mention erronée du délai de recours figurant dans un jugement doit être protégée.
Droit
Le Tribunal fédéral commence par rappeler qu’un jugement de suspension de procédure est une décision incidente (art. 93 LTF) de nature provisionnelle (art. 98 LTF). En principe, un recours contre un jugement incident n’est ouvert qu’aux conditions alternatives de l’art. 93 LTF. Exceptionnellement, la voie de recours au Tribunal fédéral contre une décision incidente est toujours ouverte, et donc indépendamment des conditions de l’art. 93 LTF, lorsque le recours porte sur une décision de suspension de procédure et que le recourant invoque la violation du principe de célérité de l’art. 29 al. 1 Cst. Tel est le cas en l’espèce, dès lors que le recours – déclaré irrecevable – auprès de la Chambre de recours civile portait sur la violation du principe de célérité. Le recours au Tribunal fédéral contre la décision incidente de la Chambre est partant ouvert indépendamment de la question de savoir si l’une des deux conditions de l’art. 93 LTF est remplie.
Sur le fond, le Tribunal fédéral rappelle qu’en vertu du principe de la protection de la bonne foi ancré aux art. 5 al. 3 et 9 Cst., le justiciable qui se fie à une indication erronée venant d’une autorité ne doit subir aucun préjudice. Toutefois, le justiciable n’est pas protégé s’il s’est aperçu de l’erreur ou qu’il aurait dû s’en apercevoir en prêtant l’attention commandée par les circonstances. Les exigences de vérification sont plus strictes lorsque le justiciable est représenté par un avocat. On attend dans tous les cas d’un avocat qu’il procède à un contrôle sommaire des indications relatives aux voies de droit.
De manière générale, le Tribunal fédéral retient que lorsque la partie pouvait déceler l’erreur dans la mention des voies de droit et du délai de recours par une lecture de la loi, elle ne peut invoquer la protection de sa bonne foi. Ce n’est que lorsqu’il est nécessaire de consulter la jurisprudence ou la doctrine pour se rendre compte de l’indication erronée de l’autorité que le justiciable qui se fie de bonne foi à celle-ci est protégé. Partant, le critère déterminant pour pouvoir invoquer la protection de la bonne foi est exclusivement celui de la conformité des indications avec le texte légal.
Dans le cas d’espèce, on a affaire à une décision de suspension de la procédure. Le Tribunal fédéral rappelle que ce type de décision entre dans la catégorie des ordonnances d’instruction au sens de l’art. 321 al. 2 CPC. Cela découle du fait que l’art. 126 al. 2 CPC, qui traite de la possibilité pour le juge de rendre une ordonnance de suspension de la procédure, se trouve au Chapitre 1 du Titre 9 du CPC relatif à la « conduite du procès » qui traite des « décisions d’instruction ». Partant, le recourant, qui était représenté par un avocat, pouvait déduire d’une interprétation systématique des art. 126 al. 2 et 321 al. 2 CPC que le délai légal de recours contre une ordonnance de suspension de procédure est de 10 jours. Compte tenu du fait que l’erreur de l’autorité pouvait être décelée à la lecture du texte légal, le recourant ne peut invoquer la protection de la bonne foi.
Le recours est rejeté.
Proposition de citation : Alborz Tolou, La bonne foi dans l’indication erronée d’un délai de recours, in: https://lawinside.ch/64/
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